Présidentielle anticipée en Algérie : l’opposition demande des explications
En annonçant, le 21 mars, que l’élection présidentielle prévue en décembre était avancée à septembre, le pouvoir a pris tout le monde de court. Passée la sidération, la classe politique manifeste son étonnement et son mécontentement.
Les Algériens vont-ils retourner aux urnes trois mois plus tôt que prévu sans qu’on leur explique le but d’une telle modification de date ? L’annonce d’une présidentielle anticipée, intervenue en fin de journée le 21 mars, à l’issue d’une réunion présidée par le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, en présence de son Premier ministre, des chefs des deux Chambres du Parlement, du chef d’état-major de l’armée et du président de la Cour constitutionnelle, a pris de court tout le monde et suscite, depuis, de nombreuses interrogations.
« Le scrutin présidentiel devait se tenir au mois de décembre. Il n’y a pas eu, en ce mois de mars, un événement majeur venu bousculer le chef de l’État et le contraindre à avancer le scrutin. Sachant que le président lui-même affirme que l’Algérie nouvelle est stable et que tout fonctionne normalement, le peuple est en droit de connaître les véritables motivations qui justifient cette décision », déclare à Jeune Afrique Zoubida Assoul, leader du parti d’opposition l’Union pour le changement et le progrès (UCP) et seule candidate à avoir, à ce jour, annoncé son intention de se présenter au scrutin prévu fin 2024.
Une opinion que partage Nabila Smail, militante et avocate engagée dans la défense des détenus d’opinion, qui explique que même si le chef de l’État a usé d’une prérogative constitutionnelle (l’article 91 alinéa 11 qui stipule que le président peut décider d’organiser une élection présidentielle anticipée), « les articles 7 et 8 du même texte donnent au peuple, source de tout pouvoir et détenteur du pouvoir constituant, le droit d’en connaitre les raisons ».
Les explications de l’APS
Officiellement, l’exécutif n’a pas réagi à ces critiques. Mais l’Agence officielle Algérie presse service (APS) s’est chargée, vendredi 22 mars, de répliquer que « cette annonce d’une élection présidentielle anticipée est le retour à la normalité en Algérie, après l’épisode de 2019 où la présidentielle n’avait pu être tenue dans les délais à cause du Hirak, ce qui avait forcé Abdelaziz Bouteflika à renoncer à un cinquième mandat ».
L’Agence avance, en outre que « le dernier sommet du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF) à Alger et la gestion des conflits et mutations géostratégiques et sécuritaires dans la région ont certainement influencé cette annonce. Les menaces extérieures sont telles, réelles et palpables, qu’écourter le premier mandat est une nécessité tactique. Une anticipation de turbulences programmées ». L’APS qualifie d’« absurdes les scénarios échafaudés par certaines voix habituelles faute de décoder la boîte noire présidentielle ».
« C’est la boîte noire qui décide dans le noir », ironise Saïd Salhi
« Pour une fois, le système l’assume publiquement via son agence officielle. C’est la boîte noire qui décide dans le noir », ironise Saïd Salhi, cadre de la Ligue algérienne des droits de l’homme, dissoute début 2023.
L’incompréhension est d’autant plus légitime, estime de son côté Zoubida Assoul, qu’il y a moins d’un mois, le 27 février, un article de cette même agence répondait au rumeurs faisant état d’un possible report du scrutin présidentiel en précisant « que les élections auront lieu en leur temps, tel que prévu par la Constitution, et ce, par respect pour le peuple algérien, seul détenteur de la souveraineté ».
Tebboune va-t-il démissionner ?
Alors comment décrypter l’annonce du 21 mars ? « À part la démission, la maladie, l’état d’urgence ou d’exception, ainsi qu’un dysfonctionnement au niveau des institutions de l’État ou une tentative de priver les candidats de l’opposition de trois mois de préparation, je ne vois pas pourquoi le président écourterait son mandat de trois mois », poursuit la candidate de l’opposition. Pour Nabila Smail, « cette décision de report cache des choses. Rien ne la justifie à part la vacance du pouvoir ou la démission ».
Le politologue Mohamed Hennad évoque aussi cette possibilité de démission « pour des raisons de santé ou une crise grave au sommet de l’État qui a fait sentir au président qu’il était impossible de continuer à assurer sa fonction jusqu’en décembre. Sinon pourquoi appellerait-il à une élection anticipée s’il était déterminé à rester en poste ? Cette hypothèse est renforcée par la présence du président de la Cour constitutionnelle au conclave », argumente-t-il.
L’inquiétude d’Athmane Mazouz
Autre opposant, Athmane Mazouz président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), estime que la décision de modifier la date du scrutin, « qui écourte le mandat actuel du chef de l’État », renforce l’idée « que le climat général n’était pas et n’est pas à la préparation sereine de la prochaine présidentielle, comme le laisse suggérer la célérité de fixer un nouvel agenda électoral. D’autant qu’aucune force politique n’a été officiellement associée ou consultée à cet effet. »
Athmane Mazouz se dit donc inquiet des retombées de l’annonce du 21 mars : « Sans présager des développements à venir, cette décision, qui fait fi de la réalité et de la complexité de la situation, ressemble à un coup de force dont on ignore à l’heure actuelle les motivations, et a fortiori les auteurs. » Le patron du RCD a toutefois annoncé qu’il réserve son analyse complète de la situation à la réunion mensuelle du secrétariat national du mouvement, qui se tiendra « dans les plus brefs délais ».
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