Dans « Bushman », un Nigérian se confronte à l’Amérique raciste des années 1960
Ce bijou de cinéma expérimental relate le parcours d’un Nigérian à San Francisco, en plein mouvement des Black Panthers. Jamais diffusé en salles au moment de sa sortie, en 1971, le film voit enfin le jour en version restaurée.
Un homme noir marche le long d’une autoroute américaine, ses baskets en équilibre sur la tête. Un motard, blanc, accepte de le tracter dans sa remorque avant de lui demander d’où il vient. « D’Afrique ? Là où les femmes se baladent les fesses et les seins à l’air », s’esclaffe le chauffeur.
Gabriel a fui son Nigeria natal et la guerre du Biafra pour s’installer et enseigner à San Francisco. « Tu prétends que tu as des choses à nous apprendre, je veux dire en charabia de chez vous », lance le conducteur, railleur. « Oui, c’est ça que j’enseigne aux soldats de la paix, le charabia de chez nous. Ensuite, ils vont en Afrique pour faire de nous des gens civilisés », rétorque, avec malice, le passager.
Avec son humour et les répliques pleines d’esprit de son héros en exil, l’ouverture de Bushman donne le ton. Un Africain instruit restera un homme de la brousse aux yeux de l’Amérique raciste des années 1960. Ce premier long-métrage – sorti en 1971 – signé David Schickele a reçu le prix du meilleur premier film au Festival international du film de Chicago, sans pourtant jamais circuler dans les salles obscures. Sans doute en raison de son avant-gardisme et de son propos à contre-courant des idées dominantes de l’époque.
Racisme systémique et intériorisé
Nous sommes en 1968, année de tumultes aux États-Unis rythmée par les mouvements contestataires étudiants, les manifestations contre la guerre du Vietnam, et par de nombreux assassinats, comme celui de Martin Luther King, le 4 avril. C’est dans ce contexte-là, en pleine naissance du mouvement des Black Panthers, que le jeune réfugié se fait le témoin de la condition des Africains-Américains.
Tourné en noir et blanc, le film suit son vagabondage entre le monde de la bourgeoisie blanche et celui de la communauté noire, en se fondant en grande partie sur l’expérience de l’acteur Paul Okpokam, qui campe Gabriel à l’écran.
Mêlant documentaire, fiction et incrustation d’images convoquant les souvenirs de sa vie dans son village nigérian, Bushman est d’une beauté plastique et formelle rare. Grâce à une mise en scène et à un travail de montage habiles, on suit le point de vue du héros au moyen de témoignages poétiques face caméra et de scènes de la vie quotidienne a priori banales, faisant état du racisme systémique américain (de la part de la police en particulier et des institutions en général). Mais aussi du racisme, plus fourbe et intériorisé, de la population blanche, pourtant bohème et intellectuelle.
Une scène sublime montre ainsi la naissance du couple interracial que Gabriel pourrait former avec une jeune bourgeoise. Une image assez inédite pour l’époque, aussitôt gâtée par le rejet de la jeune femme, allégorie de l’Amérique toute entière, incapable d’embrasser l’altérité.
Ce constat acerbe, où les frictions intimes deviennent éminemment sociales et politiques, conduit le jeune Nigérian à poursuivre son errance jusqu’à l’expulsion. Un moment clé du film où la fiction et la réalité finissent par se confondre. Grâce à sa sortie en salles plus de cinquante ans après la fin d’un tournage mis à rude épreuve par l’arrestation de son acteur principal, Bushman peut enfin s’inscrire dans l’histoire du cinéma américain.
Bushman de David Schickele, avec Paul Okpokam, en salles le 24 avril
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