Élection présidentielle en Algérie : pour Zoubida Assoul, « la compétition ne s’annonce pas loyale »
Première candidate déclarée à l’élection présidentielle, la patronne de l’UCP s’inquiète des conditions dans lesquelles le scrutin sera organisé. Et le fait qu’il ait été avancé de trois mois n’est pas de nature à la rassurer.
Présidentielle en Algérie : qui face à Abdelmadjid Tebboune ?
L’élection algérienne, avancée au 7 septembre, devrait logiquement se solder par une victoire du chef de l’État sortant et de son « Algérie nouvelle ». En dépit de ce faible suspense, les candidats et candidates ne manquent pas, et dénoncent les conditions de la campagne et les restrictions de liberté à l’encontre de l’opposition.
Présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP) et figure du Hirak, Zoubida Assoul est à ce jour l’unique candidate déclarée à la présidentielle du 7 septembre, initialement prévue en décembre. Même le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, laisse encore planer le doute sur sa volonté de briguer un second mandat.
Un mois après l’annonce de sa candidature, officialisée début mars, Zoubida Assoul s’est longuement confiée à Jeune Afrique sur son parcours, ses appréhensions et son désir de changement.
Jeune Afrique : Avez-vous été surprise par l’annonce d’un scrutin présidentiel anticipé ?
Zoubida Assoul : Au départ, nous avions des informations selon lesquelles le chef de l’État allait annoncer le changement de la date de l’élection présidentielle lors de la session extraordinaire des deux chambres du Parlement, fin décembre 2023.
Finalement, cette session a été consacrée à la présentation du bilan de ses quatre années de gestion. Or on ne réunit pas le Parlement juste pour dresser un bilan à un an de la fin d’un mandat présidentiel.
L’annonce a finalement été faite le 21 mars lors d’un conclave de personnalités d’un format inédit. L’article 97 de la Constitution permet au chef de l’État de consulter les présidents des deux chambres du Parlement et le président de la Cour constitutionnelle lorsqu’il s’agit de décréter l’état d’urgence ou d’exception. C’est la seule disposition qui permet de consulter ces trois personnalités. Je pense qu’en les réunissant toutes les trois, le président Tebboune a voulu montrer qu’il y avait un consensus autour de la décision d’organiser une élection présidentielle anticipée.
Que faisiez-vous au moment de l’annonce ?
J’étais en train de préparer la table pour la rupture du jeûne du ramadan lorsque j’ai appris la nouvelle à la télévision. J’ai immédiatement tenu une réunion par zoom avec les cadres de mon parti pour tenter de décrypter les raisons de cette décision. J’aurais préféré que le chef de l’État explique dans un discours à la nation ce qu’il l’a poussé à avancer de trois mois la date du scrutin. Jusqu’à présent, on est dans le flou.
Quelles sont les hypothèses pour expliquer ce changement de date ?
Pour avancer une élection, si l’on se réfère à l’article 91 alinéa 11 de la Constitution, il faut que le chef de l’État soit à mi-mandat ou qu’il lui reste un ou deux ans à effectuer, ou que survienne un événement majeur qui justifie la décision d’écourter le mandat présidentiel.
On n’est pas dans ce cas de figure. De l’aveu même du chef de l’État, « l’Algérie nouvelle » est stable et tout fonctionne normalement. Il n’y a pas eu non plus d’événement en ce mois de mars qui serait venu bousculer le président et le contraindre à avancer le scrutin.
Le chef de l’État est obligé constitutionnellement de mener son mandat à terme et, s’il doit l’interrompre ou l’écourter, il faut vraiment que sa décision découle d’une cause objective, telle que la maladie, la démission où l’état d’urgence ou d’exception.
Peut-être ce changement de date est-il une façon de priver les candidats de l’opposition de trois mois de préparation de leur campagne et d’explication de leur programme et de leur candidature au peuple algérien. C’est une lecture qu’on doit prendre en considération mais elle n’est pas la seule. Un dysfonctionnement au niveau des institutions pourrait aussi être derrière une telle décision.
Pensez-vous être prête à la date fixée ?
Je me suis déclarée candidate à la candidature. Vous savez qu’il faut réunir 50 000 parrainages et rassembler le double, voire le triple pour éventuellement parer au pratiques de l’administration et de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), qui peuvent supprimer certains parrainages. C’est le premier écueil que rencontre tout candidat hors système.
L’expérience du scrutin présidentiel de 2019 a démontré que les postulants n’étaient pas tous égaux devant la loi, notamment lorsqu’il s’agit de l’accès aux services des APC [les instances municipales dont les agents contrôlent l’authenticité des signatures, NDLR] pour légaliser le parrainage des citoyens. C’est une vraie difficulté surtout que, bien évidemment, le chef de l’État a la main sur la composition de l’ANIE.
De plus, le communiqué qui annonce l’organisation du scrutin au mois de septembre ne souffle pas mot sur les conditions d’organisation de cette élection présidentielle. Ni ne précise si le dispositif électoral va être révisé ou non. S’il doit être révisé, normalement, il faut consulter les partis politiques, qui ont certainement des propositions à faire sur la composition de l’ANIE. Une structure qui n’a rien d’indépendant et qui a été installée du temps du Hirak dans le cadre de l’ancienne Constitution de feu l’ex-président Bouteflika.
C’est la fameuse commission de dialogue que présidait Karim Younes qui a élaboré le texte de création de l’ANIE. Ce texte n’est pas conforme à la Constitution de 2016 puisque celle-ci ne parlait pas de commission indépendante d’organisation des élections, mais de commission de contrôle des élections.
Vous nourrissez donc une certaine inquiétude ?
Évidemment. Sans parler de tout l’environnement, qui n’augure pas d’une élection ouverte et transparente. Je ne sais pas si le chef de l’État sortant est candidat mais en général, celui qui est déjà au pouvoir dispose de tous les moyens de l’État. Si on prend en considération ce qui est entrepris depuis maintenant un peu plus de six mois, on a l’impression que les institutions et le gouvernement sont presque dans une campagne anticipée pour un second mandat.
Si lui n’a pas fait part de ses intentions, il est certain que l’entourage du président veut le voir briguer un second mandat. C’est clairement visible à travers certaines démarches et décisions populistes sur le plan socio-économique. Il faut donc vraiment libérer l’espace public et médiatique, et mettre en application l’interdiction de l’utilisation des deniers publics à des fins électorales, qui est un principe fondamental dans la Constitution.
Quand j’ai fait ma déclaration de candidature, il y avait zéro média. On était carrément boycotté. À cela se greffe la répression. Les gens ont peur de s’exprimer, d’assister à des réunions politiques, d’écrire même sur les réseaux sociaux ou de se prononcer au profit d’un candidat. Ce scrutin ne s’annonce pas comme une compétition loyale donnant la parole au peuple.
Qu’est-ce qui pourrait vous rassurer ?
Nous n’avons pas cessé, depuis cinq ans, de demander la libération des détenus d’opinion. Je connais la majorité de ces dossiers, et rien ne justifie de garder les journalistes, les activistes et de simples citoyens en détention.
Si je dois mettre à l’épreuve la volonté politique, ça serait en fonction des mesures d’apaisement que le chef de l’État pourrait prendre pour créer un engouement autour de ce scrutin présidentiel. Qu’il lâche du lest sur le plan des libertés. L’aboutissement de ma candidature dépendra bien entendu aussi d’un certains nombre de conditions, dont l’ouverture médiatique, le droit de réunion…
Pourquoi postulez-vous si vous pensez que le scrutin est verrouillé ?
Quand on fait de la politique, on est censé se projeter et pas seulement être dans la critique ou la réaction. L’UCP, depuis sa création, n’a jamais participé à une élection parce qu’à chaque fois, on a considéré que les conditions d’une véritable compétition n’étaient pas réunies.
Après, il y a eu le Hirak, ce mouvement populaire extraordinaire qui a suscité beaucoup d’espoir. On pensait qu’on allait quand même tenir compte des millions d’Algériens qui étaient sortis dans la rue pendant plus d’une année pour réclamer pacifiquement le changement.
Malheureusement, nous sommes dans un système qui a le don de rater des occasions et des sauts qualitatifs. On a de ce fait boycotté le scrutin présidentiel de 2019 et le référendum sur la Constitution de 2020. Mais après, il fallait faire une évaluation. Qu’a-t-on gagné en boycottant la présidentielle de 2019 ? Avons-nous eu plus de liberté, d’ouverture, moins de détenus d’opinion et politiques ? À chaque fois que certains étaient libérés, d’autres les remplaçaient.
La vie politique a été au contraire complètement anesthésiée. Mon parti n’a même pas eu l’autorisation d’organiser son université d’automne, alors que la Constitution dispose que les réunions sont déclaratives.
On a donc fait ce bilan et ma responsabilité en tant que chef de parti était de dire s’il fallait ou non changer d’approche. On a essayé le boycott et vérifié sur le terrain son inefficacité. En revanche, on n’a pas tenté de mobiliser le peuple autour d’un vote pour le changement. Ne serait-ce que les Algériens qui ont manifesté dans le cadre du Hirak.
Il faut aussi tenir compte du fait que 70 % des électeurs ont boycotté le scrutin de 2019. Selon des chiffres officiels, tous les partis représentés au Parlement ne réunissent même pas 5 % de l’électorat des législatives. C’est dire si le boycott sert finalement un système totalitaire et fermé, et si la meilleure manière de le vaincre, ce sont les urnes. Qui ne tente rien n’a rien. Mon rôle est de proposer un projet pour empêcher l’hémorragie de nos compétences, qui quittent le pays chaque année.
Quels seront vos thèmes de campagne ?
Si les conditions sont réunies et une fois le corps électoral convoqué, je vais expliquer mon programme. Mon principal thème de campagne s’inscrira dans la droite ligne de tout ce que le peuple demande depuis très longtemps, particulièrement pendant les marches du Hirak. À savoir l’État de droit.
Il faut que la loi s’applique à tous, passer du pouvoir des personnes et des clans au pouvoir des institutions. Si, demain, le peuple m’accorde sa confiance, je ne vais pas interférer dans le fonctionnement de la justice. La justice doit être indépendante pour dire le droit. Elle ne doit pas faire de politique.
De plus, pour que la justice fonctionne normalement, il faut redonner la parole aux gens qui la rendent : les magistrats doivent être écoutés, ainsi que tous les acteurs de la justice, à savoir les avocats, la police judiciaire, les experts, les huissiers…
La justice est une chaîne et chaque maillon a son importance dans son rendement et sa qualité. Il y a aussi évidemment le volet économique. Cela fait des décennies qu’on nous promet de sortir de l’économie de rente. Il faut utiliser les revenus du pétrole pour assainir l’administration, revoir notre législation et garantir l’égalité des citoyens devant la loi. Ce qui peut sauver le pays, aussi, c’est la création de millions de petites et moyennes entreprises dans tous les domaines et de développer l’agriculture
Vous avez longtemps évolué dans les rouages des institutions étatiques. Comment avez-vous basculé dans l’opposition ?
Si l’on doit juger tous les Algériens qui ont travaillé dans les institutions de l’État comme faisant partie du système, on va renvoyer les deux millions de fonctionnaires. J’ai choisi la magistrature parce que j’ai toujours été éprise de justice. J’ai commencé ma carrière en 1981 en tant que magistrate du siège à la Cour de Oum Bouaghi, puis au tribunal d’Aïn Beida et celui de Khenchela.
En 1987, j’ai été nommée directrice de la protection des mineurs puis, en 1993, inspectrice centrale. J’étais la première femme à accéder à une fonction supérieure au niveau de l’administration centrale du ministère de la Justice.
Ensuite, j’ai fait un bref parcours au secrétariat général du gouvernement de la présidence, qui est un organe qui prépare des projets de textes de loi. J’étais dans le service qui s’occupait de l’élaboration des textes de loi des secteurs de souveraineté, comme la Défense et les Affaires étrangères, et, enfin, de 1994 à 1997, j’ai été rapporteuse de la commission juridique du Conseil national de transition.
Je suis donc passée de la pratique du droit en tant que magistrate à législatrice, puis avocate. Je suis venue à la politique vraiment tardivement. J’ai été approchée par pas mal de partis, mais je n’étais pas intéressée par la politique partisane parce que je croyais naïvement qu’on pouvait changer les choses de là où on se trouvait en faisant son travail.
Avec l’expérience, on se rend compte que ce n’est pas suffisant. J’ai d’ailleurs quitté la magistrature fin 1993, à la suite d’un différend avec un ministre – qui n’est plus de ce monde – parce qu’il m’avait demandé des choses qui ne sont pas conformes à mes idéaux et à mes principes. On m’a mise alors à la retraite d’office à 42 ans, avec une année de congé spécial.
Le métier d’avocat m’offre la liberté que je recherchais. J’ai appelé le peuple à sortir dans la rue contre le cinquième mandat de Bouteflika. Le première marche du Hirak était l’un des plus beaux jours de ma vie. J’en ai pleuré tellement c’était émouvant et splendide.
À partir de juin 2019, les incarcérations ont commencé. J’ai défendu tant de détenus du Hirak que je n’ai aucune idée de leur nombre exact. Je n’ai jamais été dans la sélection, j’ai défendu aussi bien des personnalités politiques, des journalistes que de simples citoyens. C’est ma contribution pour soulager les familles des détenus qui souffrent aussi, et parfois ne peuvent pas payer les honoraires des avocats.
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