En Tunisie, Mondher Zenaidi candidat, mais à quoi ?

Discret depuis son très modeste score à la présidentielle de 2014, l’ancien ministre de l’ère Ben Ali, aujourd’hui âgé de 73 ans, semble tenté par un retour sur le devant de la scène, mais sans préciser ses intentions réelles.

Mondher Zenaidi. © Facebook Mondher Zenaidi

Mondher Zenaidi. © Facebook Mondher Zenaidi

Publié le 5 avril 2024 Lecture : 5 minutes.

Disparu des écrans radars depuis sa déconvenue à la présidentielle de 2014, l’ancien ministre de l’ère Ben Ali, Mondher Zenaidi, 73 ans, est sorti du bois. S’il vit, depuis la chute de l’ancien régime, à Paris – où il a fait ses études d’ingénieur –, ce centralien n’en a pas moins, sans doute poussé par ses amis, la tentation de revenir dans le circuit politique et semble aujourd’hui estimer, dans un contexte où la classe politique a été décimée par les arrestations et éreintée par une forte émergence populiste, avoir toutes ses chances en vue du scrutin présidentiel prévu à l’automne prochain.

Crédité tout récemment de 11 % d’intentions de vote, derrière Kaïs Saïed (21,9 %), dans un sondage conduit par TunisiaMeters, ce Tunisois originaire de Sbiba (Centre-Ouest) semble décidé à revenir sur le devant de la scène malgré le camouflet électoral essuyé en 2014 – 24 160 voix, soit 0,74 % des suffrages – après une campagne durant laquelle il avait été cornaqué par Mezri Haddad. Au second tour, il s’était rallié à Béji Caïd Essebsi, fondateur de Nidaa Tounes, qui remportera le scrutin.

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« Vu le nombre de candidats à l’époque, qui se souvient qu’il était sur les rangs ? », réagit un ancien de l’ex-parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), lequel évoque un Mondher Zenaidi affable qui, durant les années Ben Ali, semblait incarner le prototype de l’homme politique dynamique, rompu aux arcanes du pouvoir, rodé aux intrigues, mais toujours courtois, donnant l’impression d’évoluer en permanence au-dessus de la mêlée.

« Il a surtout l’art de faire sentir à chacun de ses interlocuteurs qu’il est unique », se souvient l’un de ses collaborateurs, qui estime que ce temps-là est révolu et que Zenaidi n’est sans doute pas l’homme de 2024.

Lettre ouverte à Kaïs Saïed

Surtout, la Tunisie n’est plus celle de 2014. Encore moins celle d’avant 2011. Le pays, même sans moyens ni grandes prétentions, est devenu exigeant, et ne s’en laisse plus conter.

Que peut proposer un Mondher Zenaidi à une population désenchantée ? Il ne le sait peut-être pas lui-même. Cela n’a pas empêché ce fils d’un des bâtisseurs de la Tunisie moderne d’adresser au président Kaïs Saïed, le 19 mars, à la veille de la fête de l’indépendance, une lettre ouverte aux allures de réquisitoire, où il l’enjoint de se reprendre. Une sortie d’autant plus inattendue que, depuis 2014, Zenaidi ne s’était plus exprimé publiquement.

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« Entre la pandémie de Covid, la gabegie politique et le coup d’État constitutionnel de Saïed, il avait l’embarras du choix, et s’est tu », remarque un député, qui estime que Zenaidi a beau jeu de réapparaître maintenant, via des posts sibyllins, sans dévoiler ses intentions.

« Il vérifie si l’eau n’est pas trop fraîche avant de plonger dans le bain Tunisie », raille l’élu, qui a côtoyé l’ancien ministre du Commerce et de la Santé et estime que, depuis 2011, il a eu maintes fois l’occasion de faire le bilan de la période Ben Ali avant de songer à briguer un rôle ou une investiture quelconque.

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Peut-il remplacer Abir Moussi à la tête du PDL ?

Un ancien du RCD se perd aussi en conjectures et imagine que Zenaidi pourrait remplacer Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), actuellement incarcérée. « À moins que ce qui ressemble à une mise en jambe électorale ne soit un leurre et que Zenaidi fasse office de lièvre pour un autre candidat », suggère notre interlocuteur.

Comme ce dernier, certains expriment un malaise face à la dernière apparition de Mondher Zenaidi dans une vidéo où il s’adresse aux Tunisiens et qui a suscité une certaine perplexité. Un long monologue tenu par un homme qui a pris de l’âge et qui ne va pas droit au but.

L’ancien ministre y justifie son silence en arguant que la politique consiste également à observer, à analyser, à prendre de la hauteur et… à proposer. Cette prise de parole assez singulière semble inachevée : Zenaidi est candidat à quelque chose mais sans dire à quoi.

Dans le viseur de Carthage

Le fait qu’il ait valorisé dans son intervention ses compétences en matière socio-économique pourrait laisser croire qu’il brigue un portefeuille ministériel, alimentant un peu plus les spéculations sur le rôle qu’il entend jouer.

Beaucoup ne font pas cas de ces maladresses mais estiment qu’un homme qui vit loin du pays, même s’il en parle quotidiennement, n’est plus en prise directe avec la réalité tunisienne.

Tout le monde sait, en outre, que si Zenaidi n’est pas revenu en Tunisie, c’est en raison de ses démêlés judiciaires, même s’il les présente comme infondés. S’il a d’ailleurs été blanchi par la justice, il serait de nouveau poursuivi pour des faits qui concernent le ministère du Commerce à un moment où il n’en était plus le ministre.

Cela a suffi pour qu’il soit traîné dans la boue sur les réseaux sociaux. Clairement, Mondher Zenaidi dérange, jusqu’à Kaïs Saïed lui-même qui, sans le citer, avait anticipé son retour en politique en fustigeant dans un communiqué les Tunisiens qui rencontrent des personnalités et du personnel d’ambassade à l’étranger. Un message auquel Zenaidi a répondu par un post.

Quels sont ses liens avec Leïla Ben Ali ?

Le plus étonnant reste toutefois que, de toutes les critiques qui fusent contre le candidat supposé, aucune n’aborde le vrai sujet qui fâche. À savoir la nature réelle de ses liens avec Leïla Ben Ali, l’épouse de l’ancien président défunt, dont on dit qu’il était l’un des familiers.

« Il y a une omerta, comme si, malgré les années et la distance, puisqu’elle vit en Arabie saoudite, Leïla était toujours crainte et influente », relève un politologue. Un ancien de Nidaa Tounes, qui n’existe plus, regrette surtout les dérobades de Mondher Zenaidi.

Il rapporte qu’en 2019, au plus fort de la crise du parti, qui était divisé sur l’attitude à adopter vis-à-vis des islamistes, puis à cause de la rivalité entre Youssef Chahed et Hafedh Caïd Essebsi pour diriger la formation, Mondher Zenaidi avait été approché.

Après une longue discussion, Béji Caïd Essebsi avait décidé de lui confier les rênes de Nidaa Tounes, mais, une heure avant le rendez-vous qui devait officialiser cette manœuvre, Mondher Zenaidi n’a plus répondu au téléphone. Il avait ensuite embarqué pour Paris sans aucune explication. Une esquive que certains n’ont ni oubliée ni pardonnée.

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