Nadine Ndjomo, porte-voix des « bâtards » du monde entier

La romancière camerounaise a choisi de faire de la littérature une arme. En ligne de mire, les injustices que subissent les femmes et les enfants nés hors mariage.

La romancière camerounaise Nadine Ndjomo. © DR

La romancière camerounaise Nadine Ndjomo. © DR

Publié le 28 avril 2024 Lecture : 4 minutes.

S’il vous était demandé d’écrire une lettre à l’un ou l’autre de vos parents décédés – ou aux deux –, sans doute utiliseriez-vous des mots empreints de tendresse pour leur témoigner votre amour, leur accorder votre pardon pour les offenses qu’ils auraient pu vous causer ou leur dire à quel point ils ont joué un rôle fondamental dans votre développement personnel.

À travers l’héroïne de Captive (éd. Ifrikiya, 2024), Nadine Ndjomo a pris une voie différente. Elle a opté pour une approche franche, sans détours, pour exprimer ce qu’elle n’a pu dire à ses parents. « Père […], tes enfants sont devenus des prostituées, des bandits, parce que tu ne t’es pas occupé d’eux […], des nippes, des illettrés, belles de nuit, femmes de ménage […], braqueurs, gardiens de nuit, assassins, locataires du bois de Boulogne, femmes-objets, partenaires de la blennorragie… Tu es mon “père” mais tu n’es pas mon père. »

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La vie tumultueuse de Nadine Ndjomo

Pour l’éditeur, Jean-Claude Awono, le roman de Nadine Ndjomo est « une énergie [qui] surgit des entrailles de la souffrance et de la lutte pour s’affirmer », « un texte testiculaire écrit par une main féminine, une main féline qui trace ses lignes sans gants. » La narration « se défait des sentiers battus […], ramasse toutes les nuances et tous les ingrédients de l’introspection, du retour à soi, pour projeter sur le monde un dire chargé de la plus poétique manière de raconter la trivialité existentielle », poursuit-il.

« En découvrant ce texte, j’ai ressenti un grand frisson, insiste-t-il. Celui que l’on ressent lorsque l’on tombe sur quelque chose venu de l’ailleurs, des lieux lointains et magiques ».

L’histoire est inspirée de la vie tumultueuse de Nadine Ndjomo, 33 ans. Son père, éternel absent, meurt lorsqu’elle n’a que 11 ans et sa mère s’éteint quatre ans plus tard. Seule et en dépit d’un mariage forcé, Nadine persévère dans ses études. Elle tombe dans une spirale de débauche, entre cigarette et alcool. « J’ai fait un tas de bêtises, [mais] ces écarts m’ont permis de m’assagir un peu », écrivait-elle dans Débrouille-toi, tu es une femme ! (éd. L’Harmattan, 2021), son premier roman autobiographique. Comment Nadine Ndjomo est-elle parvenue à briser le plafond de verre malgré des débuts aussi chaotiques ?

« Débrouille-toi, tu es une femme »

« Je suis une “enfant bâtarde” », comme on dit souvent, confie-t-elle. J’ai vu mon père deux fois en une heure du temps. Il ne s’est jamais occupé de moi. Il a eu 35 enfants avec une trentaine de femmes. Mon frère aîné gérait les finances du foyer. Ma sœur et moi étions dans la même classe de première. À ma sœur, il a donné 11 500 francs CFA pour régler les frais d’examen du probatoire. À moi, il a dit : “Débrouille-toi, tu es une femme !” Sur le coup, je n’ai pas compris. Je lui ai demandé [de s’expliquer], et il a répondu : “Fais ce que les femmes ont l’habitude de faire. Quand elles ont besoin d’argent, elles partent chez les hommes”. Je n’ai toujours pas compris, et il m’a dit : “Si tu ne sais pas, renseigne-toi et on te dira”.  J’ai été mariée de force, alors que j’avais 16 ans et que j’étais classe de première. J’ai eu un enfant. »

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Pour payer les frais de scolarité de cet enfant, Nadine Ndjomo a dû vendre du bâton de manioc. « Il fallait que je paie moi-même mes babouches, mes vêtements et tout le reste. En plus, mon mari me battait. »

Elle écrit son premier livre après avoir fui son foyer. « J’ai gardé le manuscrit, se souvient-elle. On m’a proposé de retoucher le titre. J’ai refusé. Je voulais qu’il reste tel quel. C’était moi », précise l’auteure. « Nadine s’est fabriquée elle-même. Elle a quasiment été son père, sa mère, son frère et sa sœur, tout cela ensemble », confie son ami, Valkossa Mohamadou.

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« Microbes » de Yopougon

Dans la continuité de ce premier ouvrage, Captive est une thérapie de l’intime et un réquisitoire contre des parents démissionnaires. Au fil de ces 220 pages, une plume teintée d’ironie dessine le tableau subtil de notre société, prompte à juger les enfants des rues, « microbes » de Yopougon, Nanga-Boko de Yaoundé, tandis que leurs mères sont prises au piège de leur physique – ce don de Dieu, devenu pour elles une malédiction. Captive est aussi un réquisitoire contre la République, qui refuse d’adopter une politique d’aide aux victimes d’une sexualité non maîtrisée.

Dans l’écho des douleurs féminines résonne le silence des hommes qui s’évanouissent dans la nature une fois leur libido satisfaite. Ils laissent derrière eux les femmes, avec le fardeau des enfants. Pour Nadine Ndjomo, « la présence paternelle, c’est l’étoile qui guide l’enfant sur le chemin de son destin, c’est une nécessité capitale. » Être bâtard n’est pas une fatalité, dit-elle. Seulement, pour réussir, « on doit travailler trois fois plus que les autres pour avoir le tiers de ce qu’ils ont. »

Féministe engagée et transfuge de classe, Ndjomo prêche par l’exemple : en 2017, elle fonde l’association Read More, à Ngaoundéré, puis, en 2020, Sukulu, un journal en ligne spécialisé dans l’éducation. L’objectif de celle qui fut la première femme rédacteur en chef de L’Effort camerounais et coordinatrice adjointe du journal L’Œil du Sahel est de promouvoir l’intérêt des jeunes filles pour l’éducation en leur offrant des possibilités de bourses et de l’accompagnement scolaire.

Par le biais de ses ouvrages et de son travail, Nadine Ndjomo donne espoir à tous les bâtards et à toutes les captives du monde. Elle leur susurre de danser au rythme de leurs rêves, et de briser les chaînes de leur triste destinée.

"Captive", de Nadine Ndjomo, éditions Ifrikiya. © Editions Ifrikiya

"Captive", de Nadine Ndjomo, éditions Ifrikiya. © Editions Ifrikiya

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