Bruno Koné : « Nous devons densifier Abidjan et lui donner de la hauteur »
Déguerpissements, nouvelles orientations d’aménagement, simplification et sécurisation du foncier urbain… Le ministre ivoirien de la Construction et de l’Urbanisme répond aux questions de Jeune Afrique.
Côte d’Ivoire : une nouvelle donne
Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.
Natif de Kouto, localité du nord de la Côte d’Ivoire, Bruno Koné, 63 ans, dirige le portefeuille de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme depuis juillet 2018. Après une carrière dans la finance et dans les télécommunications (notamment à la tête de Côte d’Ivoire Telecom, de 2003 à 2008), il a été, de 2011 à 2018, ministre des Technologies de l’information (puis de l’Économie numérique) et de la Communication, et porte-parole du gouvernement.
De la réforme du code de l’urbanisme et du foncier urbain, à la révision du schéma directeur du Grand Abidjan, en passant par les opérations de démolition menées dans certains quartiers de la capitale économique, le ministre fait le point avec Jeune Afrique sur quelques-uns des dossiers aussi sensibles qu’urgents dont il a la charge.
Jeune Afrique : Quelles réformes ont été entreprises dans le domaine foncier ces dernières années ?
Bruno Koné : Elles sont nombreuses. Nous étions régulièrement interpelés par les usagers, avec beaucoup de plaintes relatives à des litiges, à des retards… Nous avons voulu corriger tout cela par des mesures fortes, à commencer par la réforme du code de l’urbanisme et du domaine du foncier urbain [adoptée par l’Assemblée en mars]. Ce code précise les responsabilités des uns et des autres, sanctionne certaines infractions, limite le cadre d’intervention de l’État et des principaux acteurs (détenteurs de droits coutumiers, aménageurs, lotisseurs, etc.).
Nous avons également mis en place le Système intégré de gestion du foncier urbain [Sigfu], qui, par la numérisation de la chaîne foncière, permet d’accélérer le processus de délivrance des actes administratifs et de sécuriser l’information foncière. Nous avons par ailleurs pris des décrets sur le droit d’usage coutumier, le titrement massif des parcelles foncières, le projet de délimitation de terroirs villageois, la limitation à quatre mois du délai de contestation d’un titre délivré, la facilitation du crédit hypothécaire, etc. La liste est longue.
Comment gérez-vous les litiges qui existaient avant l’entrée en application de ces réformes ?
Ces mesures limiteront les litiges. Mais il est vrai que nous en avons hérité de nombreux, que nous traitons tant bien que mal. Quand nous pouvons agir, nous le faisons, et pour ceux qui sont déjà portés devant les juridictions, nous laissons la justice faire.
Tous ces litiges nous ont aidés à mieux comprendre le fonctionnement du foncier, et c’est ce qui a conduit aux réformes que nous avons mises en place pour résoudre les problèmes d’insécurité foncière. En particulier pour éviter les fréquents litiges en matière de contestation de propriété, qui proviennent de problèmes de délimitation de terroirs, d’attributions multiples, d’archives, d’interventions humaines dans les fichiers, de problèmes de chefferie dans les villages, etc.
Coordonnez-vous les déguerpissements menés depuis février par le district d’Abidjan ?
Une cellule de coordination spéciale supervisée par la primature a été mise en place [à la mi-mars], ce qui permettra désormais de mieux gérer les interventions des uns et des autres dans les opérations de déguerpissements.
Ce n’était pas le cas auparavant ?
La difficulté résidait dans le grand nombre d’acteurs, qui chacun avait une mission spécifique. Nous arrivions de temps en temps à nous parler, mais il n’y avait pas véritablement de structure de coordination.
Par exemple, le domaine public urbain est l’affaire du ministère de l’Équipement et de l’Entretien routier. Tout ce qui est de l’occupation anarchique du domaine public est de la compétence des mairies. Les installations sur des zones non constructibles relèvent du ministère de l’Assainissement, mais si elles sont établies aux abords de la lagune et occasionnent des rejets dans l’eau, elles relèvent du ministère de l’Environnement ou du ministère délégué aux Affaires maritimes. Autre exemple : les constructions neuves sont l’affaire du ministère de la Construction, les constructions habitées celle des mairies…
Nous voyons donc que de nombreux acteurs sont impliqués, mais dès qu’il y avait un problème, tous les regards se tournaient vers le ministère de la Construction. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons pris les devants à certains moments, mais nous ne pouvions pas le faire en permanence et pour tout le monde. En cela, il est bon que cette cellule soit mise en place pour permettre une coordination des opérations.
La tour F, dont la livraison est prévue pour la fin de 2025, est annoncée comme l’une des trois plus hautes d’Afrique. Ce projet est-il adapté à Abidjan ?
Il ne faudrait pas la voir à travers le prisme du prestige ou celui de la fierté. La tour F veut avant tout répondre aux besoins en bureaux de l’État dans la ville d’Abidjan, lesquels sont estimés à 200 000 m2. Plusieurs bureaux et services de l’État sont dispersés et installés çà et là à travers la ville, y compris dans des bâtiments à usage d’habitation… Ce n’est pas très efficace.
L’État a donc décidé de renforcer son parc. Ainsi, dans la commune du Plateau, le centre des affaires [qui compte déjà cinq tours], nous allons donc logiquement assister à la construction d’édifices de 50 ou de 75 étages, comme la tour F. Nous sommes en 2024, nos bâtiments doivent être plus modernes et plus hauts que ceux construits précédemment. C’est vraiment dans cette logique que la tour F a été conçue. Et s’il se trouve qu’elle est belle, grande et appréciée pour son design, tant mieux !
Quelles sont les nouvelles orientations pour le Grand Abidjan ?
En 2023, nous avons révisé le schéma directeur d’urbanisme du Grand Abidjan [Sduga 2023-2040] pour prendre en compte les insuffisances du schéma précédent, qui datait de 2016. Nous avons planifié la zone qui s’étend de Jacqueville [à l’ouest] jusqu’à Bonoua [est], et de l’océan jusqu’à Azaguié [nord]. Cette planification rigoureuse et structurée permettra une occupation de l’espace pertinente, homogène et dynamique.
Dans le passé, la ville avait une évolution horizontale, mais, compte tenu de la croissance démographique, nous devons maintenant lui donner de la hauteur en densifiant certains quartiers avec des élévations générales autour de R+5 [rez-de-chaussée plus cinq étages] et R+7.
De grands ouvrages faciliteront aussi la mobilité des populations. Certains sont déjà réalisés, comme l’autoroute Y4 [rocade de contournement du cœur de ville, livrée à la fin de 2023, avant la CAN] et d’autres sont en cours en réalisation, comme le métro.
Il y a aussi la problématique des quartiers précaires, dont l’évolution et la modernité de la ville d’Abidjan ne peuvent s’accommoder. Il ne s’agit pas de les effacer de notre vue, mais de trouver des solutions de relogement, comme l’ont demandé le président Alassane Ouattara et le Premier ministre, Robert Beugré Mambé. Des opérations de rénovation sont également prévues dans les quartiers anciens, de même que des projets d’aménagement dans les villages du district. Nous discutons régulièrement avec les chefferies pour trouver des accords. Toutes ces actions pourront transformer considérablement le visage de notre capitale économique.
Comment expliquez-vous votre longévité au sein de l’exécutif ?
Posez la question à ceux qui nomment ! Plus sérieusement, à chaque fois que j’ai été nommé à une fonction, j’ai tenté d’améliorer les choses, avec une implication maximum. Le passage de la 2G à la 3G, puis à la 4G, le lancement de la TNT, les différents textes qui ont transformé l’économie numérique en Côte d’Ivoire, ainsi que la loi sur la liberté de la presse, ont été adoptés entre 2011 et 2018, période où j’étais chargé de ces secteurs.
Au ministère de la Construction, j’ai développé la signature électronique, et j’essaie de transformer le volet logement, ainsi que le volet urbanisme. Tout cela pourrait avoir un impact sur la vie des usagers de nos services.
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