Khaled Mechaal, le leader politique du Hamas qui fait trembler la Jordanie

Exilé de Cisjordanie depuis 1967, ce haut dirigeant du bureau politique extérieur du Hamas incite les opinions publiques arabes à se soulever contre Israël. Au point de faire grincer des dents, notamment en Jordanie.

Khaled Meshaal, haut dirigeant du bureau politique extérieur du Hamas. © DR/Wikipedia

Khaled Meshaal, haut dirigeant du bureau politique extérieur du Hamas. © DR/Wikipedia

Publié le 9 avril 2024 Lecture : 4 minutes.

Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, considère Yahya Sinwar, le chef du Hamas dans la bande de Gaza, comme un « homme mort ambulant ». Mais à l’extérieur du territoire palestinien, « Bibi » a une autre cible dans son collimateur : Khaled Mechaal, 67 ans. Ce membre fondateur du bureau politique du Hamas, président de l’organisation islamiste pendant 21 ans (de 1996 à 2017) et actuel « responsable des activités » de l’organisation à l’étranger, est principalement basé à Doha, au Qatar.

Ancien professeur de physique, doté d’un faux air de George Clooney, l’homme est né en 1956, à Ramallah, en Cisjordanie. Il a connu l’exil après la première guerre israélo-arabe de 1967. Sa famille a d’abord fui au Koweït, pays dans lequel Khaled Mechaal a rejoint les Frères Musulmans à l’âge de 15 ans, obtenu son diplôme de physique à l’Université et démarré une carrière dans l’enseignement. Puis, lorsque l’Irak a envahi le Koweït en 1990, Mechaal s’est réfugié en Jordanie, où il a dirigé la branche politique du Hamas depuis Amman.

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Ironie de l’histoire, le dirigeant islamiste est un vieil ennemi de « Bibi ». En 1995, par l’intermédiaire de deux agents du Mossad, Netanyahou a tenté de l’assassiner sur le sol jordanien, en lui vaporisant une substance toxique dans l’oreille. Furieux, le roi Hussein de Jordanie avait alors menacé l’État hébreu de pendre les deux espions (arrêtés sur-le-champ) et de remettre en cause le traité de paix signé entre les deux pays trois ans auparavant.

Le pouvoir jordanien inquiet, l’opinion marocaine gênée

Aujourd’hui pourtant, c’est bien le royaume hachémite, son pays d’accueil, qui le considère comme une épine dans le pied. Et pour cause : depuis quelques semaines, des milliers de Jordaniens manifestent contre la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza devant l’ambassade israélienne de Amman. Récurrentes depuis six mois, ces manifestations se sont durcies depuis la fin du mois de mars et commencent à inquiéter l’appareil sécuritaire du pays.

Or, le 29 mars, Khaled Mechaal est intervenu à distance au cours d’un évènement dédié aux femmes qui a eu lieu dans la capitale jordanienne, et a appelé les habitants du pays à descendre dans la rue. Toujours basé à Doha, il a notamment déclaré : « Les masses de la nation jordanienne doivent participer à la bataille du « déluge d’Al-Aqsa » (nom donné par le Hamas aux attaques terroristes du 7 octobre). Le sang de ce peuple doit se mélanger au sang du peuple palestinien, jusqu’à ce qu’il obtienne le respect et résolve ce conflit en sa faveur. »

Une sortie considérée par le pouvoir jordanien comme un appel du Hamas à semer le chaos dans la région. D’autant plus que plus de la moitié (certains disent même 60 %) des Jordaniens sont d’origine palestinienne, et que le pays abrite sur son sol environ 2,5 millions de réfugiés palestiniens. Cette statistique est sujette à caution car elle est tributaire d’enjeux politiques et diplomatiques. Ainsi, la majorité des Palestiniens souhaitent que la Jordanie s’engage plus contre Israël, tandis qu’une autre partie de la population est favorable à un renforcement des relations entre les deux pays. Dans ce contexte, le pouvoir jordanien, qui redoute un coup de force des clans palestiniens, estime que les propos tenus par Khaled Mechaal reviennent à jeter de l’huile sur le feu.

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Haut dirigeant du Hamas, Mechaal a évolué au fil du temps, passant de la radicalité à une position plus nuancée puisqu’il s’est rallié à l’idée d’un État palestinien à côté d’un État israélien. Profitant de son exil pour jouer au VRP du mouvement, il reste cependant coutumier des sorties polémiques. Comme le 19 novembre 2023. Ce jour-là, le brillant tribun était l’invité d’honneur d’un évènement organisé par le Mouvement de l’unicité et la réforme (la matrice idéologiques du PJD, le parti islamiste marocain) par écrans interposés. Et il n’a pas hésité à demander à « ses frères Marocains de s’adresser à la direction du pays (…) par souci des intérêts et de sa sécurité (…) pour lui dire de rompre ses relations, cesser la normalisation (avec Israël), expulser le chef de liaison, de tourner cette page pour une nation respectable comme le Maroc ».

Libre et à l’abri des missiles

Au-delà du contenu du message lui-même et de sa teneur « passive-agressive », une partie de l’opinion publique marocaine a dénoncé une « ingérence ». Et ce même si, à Tanger (nord du royaume), les manifestations en soutien à Gaza ont repris de plus belle depuis la fin du mois de mars. Fin octobre, à l’occasion d’un entretien accordé à la chaîne saoudienne Al-Arabiya, Meshaal a aussi célébré « l’ingénieuse » attaque du 7 octobre et déclaré que les Palestiniens devaient « sacrifier leurs vies » pour se libérer d’Israël. « Les Russes ont sacrifié 30 millions de personnes pendant la Seconde Guerre mondiale pour se libérer d’Hitler », a-t-il tenu à préciser.

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Ce qui fragilise en partie ces sorties radicales, c’est que, paradoxalement, elles émanent d’un homme totalement libre de ses mouvements, qui a été accueilli tantôt par la Jordanie, tantôt parla Syrie (du milieu des années 2000 jusqu’en 2012) puis par le Qatar et qui, finalement, n’a jamais vraiment mis les pieds dans la bande de Gaza. Sur Wikipédia, la page qui lui est consacrée mentionne un long « voyage initiatique » effectué lorsqu’il avait 19 ans, en 1975, dans la Palestine historique et les territoires occupés, mais il n’en reste aucune trace. En réalité, il a effectué l’une de ses rares visites dans la ville de Gaza en 2012. Un voyage favorisé par les Frères Musulmans, alors au pouvoir en Égypte. Plus récemment, lors de la guerre de Gaza, en 2014, il a également été accusé d’avoir détourné des fonds collectés par le Hamas à des fins humanitaires, pour un montant estimé à 1,5 milliard de dollars. Une somme réinvestie depuis au Qatar. Loin, très loin, des missiles quotidiens qui frappent l’enclave palestinienne…

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