Mamadou Dia : « Il faut un diagnostic global pour sécuriser l’alimentation de Dakar »

Après plus de deux semaines de pénurie d’eau, la situation revient à la normale dans la capitale sénégalaise. L’heure du bilan pour Mamadou Dia, le patron de la société de distribution nationale, la Sénégalaise des eaux.

Mamadou Dia, ingénieur spécialiste de l’hydraulique urbaine, est à la tête de la Sénégalaise des eaux depuis 2006. © Romain Laurendeau/JA

Mamadou Dia, ingénieur spécialiste de l’hydraulique urbaine, est à la tête de la Sénégalaise des eaux depuis 2006. © Romain Laurendeau/JA

MEHDI-BA_2024

Publié le 18 octobre 2013 Lecture : 4 minutes.

Du 12 septembre au 2 octobre, la majeure partie de la capitale sénégalaise a vécu sans eau. Une pénurie inédite, de mémoire de spécialiste. C’est une conduite endommagée dans l’usine de traitement des eaux de Keur Momar Sarr (à 250 km de Dakar, dans la région de Louga) qui a provoqué cette crise, assez préoccupante pour que le président Macky Sall se rende sur place, en treillis militaire, reflétant l’urgence de la situation. La livraison avant le 17 octobre d’une nouvelle pièce, usinée en France par la société Degrémont, devrait permettre de résoudre définitivement le problème. En attendant, c’est une pièce provisoire confectionnée par trois entreprises sénégalaises agréées qui permet d’alimenter Dakar en eau.

Ingénieur hydraulicien entré à la Société nationale des eaux du Sénégal en 1977, Mamadou Dia a gravi les échelons pour devenir en 2006 directeur général de la Sénégalaise des eaux (SDE). Membre des comités exécutifs de l’International Water Association et d’AquaFed (l’association internationale des distributeurs d’eau privés), il vient de connaître la crise la plus préoccupante de sa carrière. En exclusivité pour Jeune Afrique, il revient sur cette pénurie historique qui trahit un manque d’anticipation et une communication défaillante dans une capitale plutôt habituée aux délestages électriques.

la suite après cette publicité

Jeune Afrique : Que s’est-il passé exactement le 12 septembre à l’usine de Keur Momar Sarr ?

Nous sommes tenus de renouveler tous les ans 17 km de réseau, 6000 branchements et 16 000 compteurs.

Mamadou Dia : À la construction de l’usine, en 2003-2004, une pièce unique en acier a été posée pour supporter les systèmes de protection de la conduite en cas d’arrêt brusque de l’électricité. Cette pièce a connu des avaries de 2009 à 2012, fragilisant la conduite. Une fragilisation qui est devenue critique du fait de surpressions importantes. La SDE a tiré le signal d’alarme, suggérant de remplacer la pièce en cause. Au bout du quatrième incident, nous avons indiqué à la Sones [Société nationale des eaux du Sénégal] en mars 2013, après une étude approfondie, qu’il y avait lieu de renouveler cette conduite, sans quoi on risquait un arrêt irréversible de la station. Il avait été convenu avec la Sones de procéder à un remplacement en 2014. Malheureusement, la conduite a sauté le 12 septembre, provoquant un arrêt de l’usine de Keur Momar Sarr, qui approvisionne Dakar en eau à hauteur de 130 000 m3/jour.

Dans la région, d’autres forages ont un circuit d’alimentation autonome ; c’est pourquoi tous les quartiers de la capitale n’ont pas été affectés de la même façon par la panne.

la suite après cette publicité

Ne pouvait-on pas aller plus vite ? Était-ce une question de financement ?

Ce n’est pas la question centrale. Cette pièce coûte environ 130 millions de F CFA [198 000 euros], ce qui est à la portée du secteur. Il était possible de la réparer, mais les arrêts brusques des pompes entraînés par les fréquentes coupures de courant ont favorisé des ondes de surpression propres à aggraver le phénomène. Il faut aujourd’hui non seulement remplacer la pièce en cause mais, au-delà, procéder à un diagnostic global afin de sécuriser l’alimentation en eau de Dakar.

la suite après cette publicité

À qui incombait la réparation ? Quel est le lien contractuel entre la SDE, la Sones et l’État ?

Le renouvellement de la pièce incombait à la Sones. Un contrat d’affermage a été conclu pour dix ans en avril 1996 entre l’État (chargé principalement de la définition de la politique hydraulique, de la gestion des ressources et du système de tarification), la Sones (société de patrimoine chargée des investissements en matière de production et de distribution, avec l’aide de prêts bilatéraux ou multilatéraux à taux concessionnel) et une société privée, la SDE, chargée de l’exploitation. La SDE, qui produit, transporte, stocke, distribue et encaisse, paie une redevance à la Sones et doit en outre renouveler partiellement les réseaux, branchements et compteurs afin d’améliorer le rendement.

Le contrat a été reconduit par l’État en 2011 pour un an, puis pour une année de plus. L’idée, aujourd’hui, est d’aller vers un affermage avec plus de responsabilités pour l’opérateur sur les investissements de renouvellement.

Lire aussi :

Les deux piliers de la sécurité alimentaire
RD Congo : Finagestion gérera l’eau pendant trois ans
Quelle agriculture pour la sécurité alimentaire africaine ?

Respectiez-vous vos engagements en matière d’entretien du réseau ?

Nous sommes tenus de renouveler tous les ans 17 km de réseau, 6 000 branchements et 16 000 compteurs. Cela représente un coût total de 1,8 milliard de F CFA. Par ailleurs, en tant qu’exploitant, nous avons la charge de la maintenance des ouvrages, de l’entretien des réseaux ou encore des installations électromécaniques, soit 2,3 milliards de F CFA – 70% du bénéfice 2012. Tous les trois mois, la Sones réalise un audit pour s’assurer du respect de ce cahier des charges.

 

Votre actionnaire majoritaire, le fonds d’investissement ECP, est-il suffisamment qualifié dans votre coeur de métier pour faire face à ces enjeux ?

N’oubliez pas que le service public de l’eau est assuré par des cadres émérites sénégalais. Notre entreprise ne compte aucun expatrié, et nos performances sont saluées partout dans le monde. C’est dû au fait que notre partenaire stratégique permet de créer un environnement susceptible de faire éclore les talents d’un personnel sénégalais très qualifié. L’actionnaire majoritaire de la SDE est Finagestion, filiale à 60 % d’ECP et à 20 % de Bouygues. Nous sommes la première société d’eau du continent certifiée QSE [qualité, sécurité, environnement]. En outre, nous bénéficions d’un appui technique, avec Suez Environnement. Aujourd’hui, nous travaillons avec la Sones sur des solutions alternatives, comme l’installation d’une usine de dessalement d’eau pour desservir Dakar à l’échéance 2016.

Quel est le coût de cette crise ?

Il est trop tôt pour le dire. Une évaluation précise sera faite par la SDE. Il y a eu un préjudice économique, mais surtout moral vis-à-vis des usagers. Le président de la République a annoncé que nos clients à Dakar seraient exonérés de l’équivalent d’une facture de un mois. À nous de traduire cette décision en actes. Nous y travaillons.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires