Pretty Yende, à l’Opéra Garnier de Paris. © Montage JA; STEPHANE DE SAKUTIN/AFP.
Pretty Yende, à l’Opéra Garnier de Paris. © Montage JA; STEPHANE DE SAKUTIN/AFP.

Pretty Yende, la voix royale venue de l’Afrique du Sud rurale

La cantatrice sud-africaine est en tournée en Europe, un an après avoir chanté à l’occasion du couronnement du roi Charles III, au Royaume-Uni. Très appréciée dans le milieu, elle a aussi su gagner l’affection du public.

Publié le 31 mai 2024 Lecture : 5 minutes.

De gauche à droite : Adriana Lesca, Cyrielle Ndjiki Nya, Pretty Yende, Fatma Saïd. © Montage JA; STEPHANE DE SAKUTIN/AFP; James Bort; 2020 Cyrielle Ndjiki Nya; DR
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Son rêve d’enfant n’était pas de devenir une cantatrice internationale : non, Pretty Yende voulait d’abord faire de la comptabilité. Au sortir de l’apartheid, après l’élection de Nelson Mandela en 1994, l’emploi renvoie une image d’émancipation sociale qui lui plaît. Elle doit son changement d’orientation à une publicité télévisée. Sur le petit écran, la compagnie aérienne British Airways marque les esprits avec sa reprise du « Duo des fleurs », issu de l’opéra Lakmé du compositeur Léo Delibes. L’air, mondialement connu, va changer la vie de la jeune Pretty.

« Elle n’arrêtait pas de le chanter », se souvient Robert Brooks, directeur de la fondation Music Is A Great Investment (Miagi), qui a accompagné Pretty Yende à travers son programme de mentorat. Il fait sa rencontre en 2005 lorsqu’elle étudie au Cap où il donne un cours. « Je l’ai entendue et je l’ai engagée pour quelques représentations. Elle a chanté Die Forelle de Schubert et elle était parfaite. Un allemand parfait, des sentiments, du style, elle était tout simplement exceptionnelle et sa voix bien sûr, sa personnalité, bref tout. »

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Très spirituelle, Pretty Yende a commencé par chanter à l’église et dans la chorale son école de Piet Retief, une commune rurale. Elle s’est rapidement fait remarquer en participant à un programme gouvernemental de compétitions entre chorales scolaires, anciennement appelé « le Tirisano ». « Cela ne faisait aucun doute que sa voix était extraordinaire, cela ne faisait aucun doute qu’elle irait loin », se remémore le musicien et chef d’orchestre Michael Dingaan, qui l’a dirigée dans les chorales scolaires où elle a fait ses gammes.

Diplômée de La Scala, doublement récompensée à Operalia

Décidée à approfondir ces enseignements, Pretty Yende choisit d’étudier à l’université du Cap (UCT). Mais quand elle se présente à l’audition pour intégrer le cursus, il lui manque un diplôme de chant, a priori obligatoire pour être sélectionné. « Mais nous avons aussi réalisé que nous écoutions une voix exceptionnelle, nous lui avons immédiatement proposé une place à l’école de l’opéra d’UCT », se souvient Angelo Gobbato, ancien directeur de l’opéra de l’université, dans un article publié par UCT. Pretty Yende y fait la rencontre de Virginia Davids, sa professeure de chant qu’elle appelle affectueusement « Mamma V ». « L’histoire de Pretty Yende n’est pas un conte de fée, elle a travaillé très très dur », souligne l’enseignante dans une vidéo tournée pour l’opéra de San Francisco.

Après avoir participé à de nombreux concours nationaux et souvent raflé la mise, il lui faut voir plus grand et faire cap vers l’Europe. La jeune cantatrice se présente au concours du Belvédère, à Vienne, en Autriche, où elle remporte le premier prix en opéra et opérette en 2009. En 2011, elle sort diplômée de l’académie des jeunes artistes de La Scala à Milan. Cette expatriation est saluée par Michael Dingaan : « Il y a beaucoup de chanteurs qui sont talentueux, mais qui n’ont pas fait le choix d’aller à l’étranger et qui le regrettent. » Pretty Yende était « une fonceuse », note le chef d’orchestre.

En 2011, elle gagne le concours international Operalia. « Elle avait une technique incroyable, une générosité humaine, elle était déjà considérée comme l’une des brillantes représentantes de l’école italienne, et je me souviens que le milieu de l’opéra était très en éveil vis-à-vis de son talent », se remémore Emmanuel Hondré, directeur général de l’Opéra national de Bordeaux, qui l’a programmée pour un récital le 23 mai 2024.

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Lors d’Operalia, en sus du premier prix, la cantatrice, qui a su s’attirer la faveur des spectateurs et du milieu qui l’apprécie, est aussi repartie avec le prix du public. « C’est une chanteuse et une personne respectée. Les gens l’aiment. Les directeurs d’opéra, les gens de la logistique… Elle s’intéresse à tous, c’est une personne très bien », salue Robert Brooks. « Être à la fois humble et extrêmement sûre de soi, ce ne sont pas des qualités si évidentes. Elle n’est pas branchée sur la même fréquence », s’enthousiasme de son côté Michael Dingaan.

Couronnement de Charles III

À quelques jours de chanter pour le couronnement du roi Charles III dans l’abbaye de Westminster, l’assurance de Pretty Yende impressionne encore. Un journaliste lui demande alors si elle est stressée : « Je suis trop impatiente pour être stressée. C’est ce qui peut arriver de mieux à un artiste, je suis prête », confie la chanteuse, très apaisée avant de marquer l’histoire.

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Trois chansons pour l’éternité. Le 6 mai 2023, habillée dans une robe d’un jaune solaire, Pretty Yende devient la première artiste soliste africaine à donner une représentation pour le couronnement d’un monarque britannique. « La chance d’une vie », savoure cette fille de Piet Retief, commune portant le nom de l’un des pères fondateurs de la nation afrikaner, dont les descendants ont imposé le régime d’apartheid de 1948 à 1994.

« L’histoire de Pretty Yende est remarquable si on se rappelle du contexte de la ségrégation raciale en Afrique du Sud. Il y a des Blancs qui diraient : “Il vous faut certains gènes pour comprendre la musique classique”, en somme, que ce n’est pas fait pour les Noirs. J’ai déjà entendu ce genre de choses. Et voilà une jeune fille noire et belle venue de Piet Retief ! Elle a bien eu le système ! » s’enthousiasme Robert Brooks.

« Discrimination raciale » à l’aéroport Paris Charles-de-Gaulle

« Sa couleur de peau et ses origines sont totalement acceptées. Depuis des décennies, depuis les grandes cantatrices noires américaines comme Jessye Norman (1945-2019) ou Grace Bumbry (1937-2023), on n’a plus de débat sur le sujet et heureusement », insiste Emmanuel Hondré depuis Bordeaux. Lorsque Pretty Yende interprète Marie dans l’opéra La fille du Régiment de Donizetti au Metropolitan Opera de New York en 2009, elle passe du français au zoulou en un claquement de langue, pour exprimer l’esprit qui s’emmêle les pinceaux lors d’un coup de foudre amoureux. « C’est très important d’avoir à la fois, le sentiment de ses propres racines et le sentiment d’appartenir à une communauté plus large et d’y être accepté », ajoute Emmanuel Hondré.

Pourtant, en 2021, son arrestation à l’aéroport de Paris Charles de Gaulle réveille de douloureux souvenirs. La police aux frontières l’interpelle brièvement pour un problème de visa. La diva est conduite dans une cellule de rétention, fouillée au corps et mise sous pression, « comme si j’étais une criminelle », raconte-t-elle dans son compte rendu diffusé sur Instagram. « Les violences policières sont réelles pour une personne comme moi », dénonce-t-elle évoquant une « discrimination raciale scandaleuse » » Son coup de gueule conduit le ministre sud-africain des Relations internationales à écrire aux autorités françaises pour obtenir des réponses et demander l’ouverture d’une enquête.

Malgré cet incident, la star internationale n’a pas tourné le dos à la France où elle continue de se produire régulièrement. « Vous êtes ici chez vous », lui a lancé l’ancienne ministre de la Culture Rima Abdul Malak au moment de la distinguer officier des Arts et des Lettres, en 2022. Un honneur supplémentaire pour cette francophile qui parle la langue de Molière. D’ailleurs, il y a un mot qu’elle connaît bien et qui pourrait faire la synthèse de sa carrière, entre l’angoisse de sa détention à l’aéroport, les concerts en mondovision, les récompenses et le sentiment que procurent ses interprétations : « frissons ».

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