Ramadan en Tunisie : le regain de popularité du « suhûr »
Cette année, avec le développement du marché de la street food et l’explosion du nombre de créateurs de contenu sur les réseaux sociaux, la dernière collation avant l’aube a repris du galon.
Il est minuit, en plein centre-ville de Tunis, habituellement peu fréquenté hors ramadan. Mais à Bab el-Khadra, l’une des portes emblématiques de la médina, la cohue donne le ton de la soirée, qui va se prolonger jusqu’à l’aube. Des Tunisiens de tous âges déambulent entre les effluves de sandwichs copieusement garnis et les odeurs de grillades de poulet.
Sur les quelques tables, des bols vides laissés à la hâte pour céder la place. On distingue encore sur les rebords des traces de droô (une crème chaude à base de sorgho et de lait), plat typique du suhûr.
Le brouhaha est incessant, entre les cris et les slogans des marchands pour attirer les clients et les exclamations des passants, indécis devant la multitude de choix. Le marché de la street food installé dans la rue pendant le mois de ramadan est devenu une institution pour les noctambules en quête d’une douceur ou d’un casse-croûte avant de reprendre le jeûne à l’aube.
Droô, chamia, harrisset el-louze…
Mahjoub, accompagné de son fils, est venu spécialement de La Marsa, dans la banlieue Nord, « pour l’ambiance typique du ramadan » qu’il ressent dans les lieux. Ils viennent de finir leur bol de droô. « C’est plein de vitamines et assez sain, ça permet de commencer le jeûne de la journée en ayant quelque chose de consistant dans le ventre », explique-t-il.
Sur les stands de street food, cette préparation de sorgho est, avec la chamia (confiserie à base de pistaches, d’amandes et de sésame) et la harisset el-louze (gâteau de semoule aux amandes), particulièrement prisée, comme en témoigne la file d’attente pour obtenir le précieux bol encore chaud, garni de fruits secs.
« C’est vraiment l’incontournable du suhûr depuis des générations », explique Foued Frini, consultant culinaire qui anime une chronique sur la radio publique RTCI. Si ce puriste tique un peu sur « les innombrables garnitures sous lesquelles croule le droô à force d’être revisité », il salue son regain de popularité auprès des jeunes.
« La présence de ce marché de street food incite beaucoup les jeunes et les familles à sortir le soir, alors qu’avant, le suhûr était un peu mal aimé. Rares sont ceux qui arrivent à se lever suffisamment tôt pour prendre cette collation. Là, on sort toute la nuit et on vient manger ici avant de rentrer, il y a un côté plus festif », explique-il.
Cette année, l’horaire du suhûr a varié, entre 4 h 30 et 5 h 00 du matin, une aubaine pour les noctambules, qui finissent souvent leurs parties de cartes avec une collation avant d’aller se coucher.
Le grand retour des jwejem
Mais le suhûr est aussi devenu plus tendance grâce aux réseaux sociaux, explique Foued Frini. « Vous avez une explosion de recettes et de concepts mis en avant par les créateurs de contenus avec des plats tunisiens qui reviennent à la mode », comme les jwejem (yaourt avec biscuits, céréales et fruits).
La recette et la tradition de ce yaourt fait maison viennent de Sfax, dans l’Est. Il est devenu populaire sur les réseaux sociaux avec ses variantes de garnitures colorées. Aujourd’hui, il a rejoint les plats typiques du suhûr.
Dans le marché de Bab el-Khadra, Amine, un jeune de 25 ans, les prépare soigneusement avec différents coulis : fraise, pistache et chocolat. « Il y en a partout depuis longtemps, mais chacun le fait à sa façon. Ma valeur ajoutée, c’est que ma mère prépare tout elle-même, il n’y a rien d’industriel », dit-il fièrement.
Malgré l’augmentation des prix des fruits secs (+1,2 % en mars) et les pénuries fréquentes de lait ou de sucre, Amine et sa mère se sont débrouillés pour tenir le rythme de production tout le mois de ramadan.
Dans le sillage de Habib el-Bey, star du food truck
D’autres vont préférer les casse-croûte bien garnis, un concept devenu encore plus populaire ces dernières années avec la star du food truck, Habib el-Bey, dont la marchandise avait été confisquée en 2022 car il n’avait pas d’autorisation.
Son histoire avait suscité l’émoi, car il avait rencontré beaucoup de succès durant le mois de ramadan. Depuis, il a de nouveau été autorisé à exercer à Bab el-Khadra, et a fait de nombreux émules. Des stands avec de grandes plaques sur lesquelles les garnitures grillent et sont mélangées aux fromages et légumes, et un show culinaire en prime : jeux de couteaux pour couper la viande, sauces et fromages à gogo, tout est fait pour attirer le passant et parfois aussi le perdre, estime Foued Frini.
« Il n’y a pas encore une identité bien développée dans ce concept de marché de street food, beaucoup se copient et font trop de mélanges, donc on perd les saveurs », explique-t-il. Mais il salue le concept « qui permet aux jeunes d’être créatifs et même d’avoir un petit boulot le temps du ramadan », en rappelant aussi des classiques du suhûr, grands absents du marché, comme le masfouf (couscous sucré) ou la bsissa (mélange de farine de blé ou d’orge avec pois chiche et épices, qui peut se consommer sous forme liquide ou solide).
Rfissa à Bizerte, ftayers à Kairouan, zamita à Zarzis
« Le suhûr reste avant tout un petit-déjeuner, donc il faut éviter de trop alourdir le ventre avec des sandwichs. Si on veut vraiment prendre un suhûr typique et énergétique, il y a des produits du terroir : des melouis (crêpes feuilletées), des dattes, un peu de fromage de brebis ou de ricotte fraîche et de l’huile d’olive », décrit ce passionné de nourriture traditionnelle.
D’une région à l’autre, le suhûr connaît diverses déclinaisons. À Bizerte, dans le Nord, on peut prendre de la rfissa ou rechta njara hlowa, un plat à base de nouilles très fines et sucrées de sirop, agrémentée de dattes et de raisins secs.
À Kairouan, dans le Centre, les habitants sont férus des beignets, les ftayers, sucrés ou salés. Plus au sud, la zamita de Zarzis, spécialité traditionnelle à base de farine d’orge, d’eau et d’huile d’olive, est très appréciée lors du suhûr, ainsi que les figues séchées. « La bsissa et le droô restent des constantes dans toutes les régions car ce sont des mets ancestraux et peu coûteux pour le budget ramadanesque », conclut Foued Frini.
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