Lady Ponce sur le front social
« Lionne indomptable du Bikutsi », la chanteuse et parolière camerounaise ne se contente pas de captiver son public avec sa voix. Elle utilise également sa notoriété pour défendre des causes sociales et politiques.
« Comment font les pauvres pour vivre dans ce Cameroun ? » En ce 2 janvier, alors que plusieurs membres du gouvernement travaillent sur la réforme des prix du carburant, Lady Ponce, de retour d’un séjour à Paris, partage sa colère.
Les prix des denrées au Cameroun sont semblables à une « dot » exorbitante, dit-elle. 1 500 F CFA (2,29 euros) pour l’huile, un trésor. 700 F CFA (1,07 euro) pour le riz, c’est bien trop pour le décor. Et le Smig, 41 875 F CFA (63,92 euros), une pitance. « Comment vivre ainsi ? » s’interroge l’artiste, dans un post électrique, arrosé en quelques minutes de milliers de commentaires et de « j’aime ».
Lady Ponce critique la hausse des prix
Après quatre rendez-vous manqués, rencontre avec la diva au siège de la puissante maison de disques Keyzit, à Montrouge. Malgré ses impératifs de production, elle a enfin pu faire une pause, pour un entretien sous la supervision attentive de l’équipe de communication dirigée par l’Ivoirienne Audrey Dodo. De son vrai nom Adèle Ruffine Ngono, Lady Ponce, chanteuse et parolière camerounaise, est née le 24 juillet 1983 à Mbalmayo, dans la région du Centre.
Sans détour, elle explique les raisons qui la poussent à se battre quotidiennement pour plus de justice sociale et plus de démocratie. Sa récente dénonciation du coût de la vie n’est que l’un des aspects de son engagement.
Sept ans plus tôt, en 2017, au pic de la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, deux régions en proie à un conflit fratricide, la « lionne du Bikutsi » brave la peur. Dans une salle comble de plus d’un millier de personnes, elle prononce un discours improvisé en soutien à ses compatriotes anglophones. Elle se souvient avoir crié : « Je suis Bamenda« . Pourquoi ? « Parce que je représente toutes les tribus du Cameroun. Je veux contribuer à ramener la paix dans mon pays. » Pour comprendre les profondeurs de cet engagement, il faut plonger dans son passé.
« Mon chant est politique »
Lady Ponce a connu une enfance difficile. Raison pour laquelle elle ne peut rester insensible aux difficultés quotidiennes de ses compatriotes. « Je viens de la pauvreté. Je connais la misère, la souffrance, les pleurs. Je viens de là. Je sais ce que ça fait quand quelqu’un est malade et qu’il ne peut se soigner. Moi, j’ai vécu ça. Je viens d’une famille où je mangeais du riz une fois par an, en décembre. »
Son humanisme lui vient de ses parents. Son père, ancien séminariste, avait envisagé de devenir religieux. « Comme j’étais timide et réservée, mon papa aurait voulu que je devienne bonne sœur, il voyait en moi quelqu’un qui pouvait poursuivre sa vocation de religieux. Mais ma vocation était autre. J’avais envie de chanter », narre-t-elle.
Pari risqué, mais gagné. À seulement dix ans, elle prend le relais de sa mère cantatrice et commence à se produire, lors de cérémonies religieuses et traditionnelles. Suite à la tragique disparition de cette dernière, en 1998, la jeune Adèle, 15 ans, quitte la campagne pour la ville de Yaoundé, où elle rejoint la chorale de la paroisse de son quartier, à Essos.
Après de longues années de travail, elle s’impose sur le devant de la scène en 2006 avec Le Ventre et le Bas-Ventre, phénomène musical au Cameroun. La célébrité, pour autant, ne lui a pas fait « perdre la tête ». « Avoir la célébrité, explique-t-elle, cela ne veut pas dire que je dois oublier qui je suis ou d’où je viens. Au contraire, être célèbre, me permet de soutenir ma famille. Et ma famille, ce sont ceux qui sont dans la misère, ceux qui souffrent… ». Et d’ajouter : « Mon chant est politique. Je m’adresse aux responsables, à ceux qui ont le devoir d’assister les démunis. Cela fait longtemps que mes chansons portent ce message. Je ne me suis pas mise à chanter sur ces sujets seulement avec l’émergence du mouvement de 2018. En choisissant de poursuivre une carrière musicale et de rechercher la renommée à travers toute l’Afrique, je m’engage à défendre les droits de tous les Africains, ainsi que de tous les opprimés. »
Entre accusations fallacieuses, injures et calomnies, la particularité de Lady Ponce est d’être souvent au cœur du buzz mais de ne jamais en provoquer. « Depuis des années, j’ai toléré que de nombreuses personnes me marchent dessus. À un moment, je me suis rendu compte que le silence peut être interprété comme un consentement. » Elle confie désormais à son attaché de presse le soin de prendre la parole en son nom pour défendre son image. « Au Cameroun, on dit tout et n’importe quoi, sur n’importe qui, mais il est temps de mettre un terme à cela », dénonce-t-elle néanmoins. Affirmant qu’au lieu de gaspiller les énergies pour les débats futiles, il faudrait se concentrer sur le développement du continent, elle invite ses pourfendeurs, les hommes politiques et tous les acteurs du développement à s’inspirer des pays anglophones.
Ces critiques récurrentes, combinées à d’autres, lui ont souvent attiré la sympathie des milieux d’opposition mais l’ont aussi exposée aux attaques répétées des partisans du RDPC, qui lui attribuent l’intention d’œuvrer contre le gouvernement. « Beaucoup d’artistes ont été invités à chanter dans des lieux du pouvoir, parfois même au palais. Mais pour moi, la musique n’est pas un moyen de se compromettre. Je ne suis pas en lutte, mais je suis fidèle à mes convictions. Si le parti au pouvoir reconnais ma valeur et me rémunère en conséquence, poursuit-elle, je n’hésiterais pas à chanter pour lui. J’ai déjà fait ce choix au début de ma carrière. Cependant, je reste indépendante, et ma voix ne sera jamais étouffée par des intérêts politiques. Mon engagement est envers le peuple, et c’est là que réside la véritable loyauté », se convainc-t-elle.
Femme d’affaires elle-même à l’abri du besoin, Lady Ponce est marraine de six orphelinats au Cameroun, à Yaoundé et Douala, fondatrice d’un complexe comprenant salle de sport, institut de beauté, fast-food, de plusieurs cabarets de grande capacité, de deux restaurants, d’une société de distribution des plaques solaires, pour ne citer que ceux-là.
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