Génocide au Rwanda : Emmanuel Macron, otage d’une certaine doxa anti-tutsi
La fausse note de l’Élysée sur la responsabilité de Paris dans le génocide continue à faire des vagues. Pour Dominique Sopo, elle révèle qu’au sein de l’armée, de la diplomatie et de la sphère politique, des réseaux puissants font bloc pour défendre l’action de la France au Rwanda.
Le rétropédalage d’Emmanuel Macron à l’occasion de la commémoration des trente ans du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda laisse un goût particulièrement amer. Il avait en effet été annoncé que le président de la République reconnaîtrait que la France aurait pu « stopper » le génocide mais que, tout comme le reste de la communauté internationale, elle n’en avait pas eu la « volonté ».
Macron et le regard colonial
Ces mots n’ont finalement pas été prononcés, ce 7 avril, Emmanuel Macron réitérant tout de même ses propos sur les « responsabilités » de la France dans le génocide de 1994. Outre l’absence remarquée de toute solennité dans l’intervention du chef de l’État (une simple vidéo) pour un événement qui amène à s’interroger en profondeur sur le rôle de Paris dans l’un des derniers grands drames du XXe siècle, ce revirement démontre sans doute que des réseaux, au sein de l’armée, de la diplomatie et dans la sphère politique restent très agissants et entièrement tournés vers la défense de l’action de la France au Rwanda.
Ces réseaux sont manifestement ulcérés par la remise en cause d’une doxa anti-tutsi. Une doxa qui, dans une optique très coloniale, assimila le génocide à des guerres inter-ethniques typiquement africaines, au point de voir au Rwanda un fantasmé « double génocide » dans une sinistre et mensongère mise en miroir.
Une doxa anti-tutsi rejouant avec grossièreté la vision d’une lutte entre le peuple hutu et une aristocratie tutsi à décapiter comme nous avions décapité notre propre noblesse, ici, en 1789. Une doxa anti-tutsi obsédée par le maintien d’une mainmise de la France sur ces pays qu’elle considérait comme son pré carré africain que le Front patriotique rwandais, le FPR – jugé pro-américain – mettait en péril.
La sortie du commandant de l’opération Turquoise que mena la France au Rwanda à partir de juillet 1994 – alors que le génocide avait déjà pour l’essentiel eu lieu – est significative. À la suite de la divulgation des propos qu’Emmanuel Macron étaient censé prononcer, le général Lafourcade a tenu à faire une « mise au point », véritable condensé des obsessions qui circulent au sein de ces réseaux. Occultant – entre autres événements et réalités – le fait que la France fut le seul pays à reconnaître le gouvernement génocidaire, il fait tenir à notre pays un rôle plus beau qu’il ne le fut dans la volonté d’arrêter les massacres que perpétraient les Forces armées rwandaises (FAR) – celles-là même que notre propre armée avait contribué à former quelques mois plus tôt dans le cadre de l’opération Noroît.
Mitterrand, une vision surannée de l’Afrique
En outre, il ne peut s’empêcher de laisser s’exprimer l’obsession que nous évoquions plus haut : celle d’un FPR allié des Anglo-Saxons, et donc instrument d’un affaiblissement de la France dans la région des Grands Lacs. Il occulte par ailleurs le désarmement insuffisant des génocidaires et l’absence de l’arrestation d’un seul d’entre eux par l’opération Turquoise.
Enfin, en évoquant la seule figure d’un François Mitterrand miné par une vision surannée – pour ne pas dire coloniale – de l’Afrique, inquiet de voir l’influence de la France refluer en Afrique au profit du monde anglo-saxon et physiquement très affaibli, il occulte la complexité des centres de décision et d’influence au sommet de l’État (d’autant que l’on était alors en pleine cohabitation), et plus particulièrement au sein de la présidence de la République.
Pourtant, derrière l’amertume qu’a provoquée ce revirement qui n’honore pas Emmanuel Macron, une certitude se dégage : la vérité sur le génocide perpétré contre les Tutsi et sur les « responsabilités » de notre pays dans ce drame a déjà triomphé. Contre ces dirigeants politiques, ces responsables, militaires ou diplomates. Ils sont d’hier même s’ils essaient de se convaincre qu’ils sont d’aujourd’hui.
Les vérités sont dites, et continueront à l’être. Par les rescapés, avant tout, dont les témoignages forts et pudiques forcent le respect. Par leurs enfants, qui dessineront le monde de demain. Par les militants, qui, depuis trente ans, ont tenu à chercher et à dire la réalité. Par les intellectuels, qui nous ont apporté les connaissances essentielles pour saisir la nature, la mécanique et l’ampleur de ce drame.
Dans le monde de demain, la honte ne sera pas celle des victimes et des rescapés. Elle sera celle qui se projettera sur les noms de celles et ceux qui ont failli et qui auront passé le reste de leur vie à masquer leur défaillance ou à continuer à la tenir pour vertu.
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