L’Ohada fête 20 ans de bouleversement de l’environnement des affaires
Le traité de Port-Louis (Maurice), signé le 17 octobre 1993, a donné naissance à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. En vingt ans, l’Ohada a bouleversé l’environnement du droit des affaires au sein des pays membres.
Même les observateurs les plus critiques de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) l’admettent, le traité de Port-Louis qui l’institue, a permis de donner un coup de jeune aux normes encadrant le droit des affaires dans les États-parties de la Convention. Pour beaucoup d’entre eux, le cadre juridique imposé par l’Ohada s’est substitué à un droit commercial datant parfois du XIXe siècle. Vingt ans après la signature de la convention instituant l’Organisation, elle a créé un espace de droit uniforme et moderne comprenant 17 États-membres (les 14 pays de la Zone Franc, ainsi que la Guinée, la RD Congo et les Comores) et plus de 250 millions d’habitants.
Les Actes uniformes de l’Ohada
– Acte uniforme relatif au droit commercial général, adopté le 17 avril 1997 – révisé en 2010
– Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, adopté le 17 avril 1997
– Acte uniforme portant organisation des sûretés, adopté le 17 avril 1997 et révisé en 2010
– Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, adopté le 10 avril 1998
– Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, adopté le 10 avril 1998
– Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, adopté le 11 mars 1999
– Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, adopté le 23 mars 2000
– Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, adopté le 15 décembre 2010
Uniformisation
Dans cet espace et pour la plupart des questions relatives au droit des affaires*, une seule institution, le Conseil des ministres de la Justice et des Finances possède le pouvoir de légiférer et d’adopter des dispositions légales (les Actes uniformes) directement applicables dans l’ensemble de la zone Ohada.
Aussi, une seule instance, la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA), basée à Abidjan, sert à la fois de Cour de cassation et de Cour suprême pour les questions relatives au droit des affaires: elle intervient en dernier recours pour les décisions de justice (sauf en matières pénales) rendues dans la zone Ohada. Comme l’indique l’avocat Jacques-Jonathan Nyemb : « Les arrêts de la CCJA sont finaux. Ils sont directement exécutoires, s’imposent aux juridictions internes des pays membres et ne sont susceptibles, pratiquement, d’aucun recours. »
La CCJA joue aussi le rôle de centre d’arbitrage [voir l’interview de Benoît Le Bars ci-contre]
Architecture institutionnelle
Dans une analyse pourtant sévère de l’Ohada, réalisée en 2011 pour la Banque mondiale, l’avocat français Renaud Beauchard le concède « en un laps de temps remarquablement court, l’Ohada a créé une nouvelle organisation supranationale – une réussite en soi – (…) qui a largement rempli l’objectif qu’elle s’était fixé en matière de production d’un droit uniforme. L’Ohada a produit neuf Actes uniformes [voir encadré] couvrant, à l’exception du droit du travail, l’ensemble des sujets énumérés dans l’article 2 du traité l’instituant. »
En plus de fixer ce cadre juridique uniforme et évolutif, d’avoir établi des institutions fonctionnelles et respectées, il convient d’ajouter à l’actif de l’Ohada de véritables innovations comme le statut de « l’entrepreunant », introduit par l’Acte Uniforme révisé portant sur le Droit commercial général de 2010, ou l’informatisation du registre du commerce et du crédit mobilier. Pourtant, en vingt ans, des failles notables ont été mises en évidence dans l’édifice de l’Ohada.
Fragilités
L’avocat Jacques-Alexandre Genet résume d’une formule ironique l’une des faiblesses majeures du droit uniforme : « il est important de localiser le droit de l’Ohada. » En effet, malgré les efforts entrepris par l’Organisation, l’intégration des normes de l’Ohada dans les juridictions nationales a du mal à se faire. Jacques-Alexandre Genet se souvient : « Il y a cinq ans encore, il était possible de se retrouver face à des magistrats qui n’étaient pas nécessairement informés du fait que certaines dispositions des codes commerciaux nationaux avaient été supplantées par des normes Ohada ».
Benoît Le Bars : « Les hommes d’affaires africains doivent être respectés »
Dans cette interview l’avocat revient, entre autres, sur le fonctionnement de la CCJA et la place de l’arbitrage dans le cadre Ohada. Extrait :
Revenons un instant sur la CCJA. C’est une institution probablement unique en Afrique. Le pouvoir dont elle dispose est très important. Ses décisions ne sont pratiquement susceptibles d’aucun recours dans les systèmes juridiques nationaux.
Il faut bien comprendre ce que fait la CCJA. Elle sert de Cour de cassation et de Cour suprême pour toutes les juridictions des différents pays, comme cela existe dans tous les systèmes de droit uniforme. Elle interprète les lois et peut aussi délivrer des avis et des recommandations. Elle est aussi un centre d’arbitrage. Mais ce n’est pas la cour qui rend les sentences, elle administre des procédures arbitrales qui sont jugées par des arbitres nommés par les parties au litige ou par la Cour elle-même, quand les parties ne désignent pas d’arbitre.
C’est à peu près le même système que la Chambre de commerce internationale. La mécanique est la même, simplement la portée est plus large. Près de 150 pays adhèrent à la convention fondatrice de la CCI de 1924.
Même écho chez l’avocate camerounaise Evelyne Mandessi Bell, curatrice du site internet ohadalegis.com : « Malgré les efforts de diffusion, les acteurs locaux ont du mal à ‘s’imprégner’ du droit Ohada ». Elle ajoute : « il ne s’agit pas seulement des avocats et des magistrats, mais le droit commercial concerne aussi les huissiers, les notaires. Cela va au delà de l’application des décisions de justice. La rédaction des contrats, la qualité des conseils donnés aux clients, la sûreté des bails commerciaux, tout cela dépend de la maîtrise que les acteurs locaux ont des innovations introduites par l’Ohada »
La lenteur « d’ingestion » du droit de l’Ohada est liée, aux yeux d’un avocat africain familier de la procédure Ohada, « aux origines mêmes du traité de Saint-Louis ». Son diagnostic est sec : « À écouter les promoteurs du droit Ohada, on croirait qu’il ne vise qu’à attirer les investissements étrangers. Pourquoi pas? Mais dans ce cas des traités bilatéraux d’investissement auraient pu suffire. Bousculer toute l’architecture de ces pays dans ce seul but, était-ce nécessaire? ».
Sur la même veine il élargit l’analyse à d’autres ensembles régionaux africains : « La SADC a connu des échanges commerciaux intenses et fructueux sans avoir eu besoin d’harmoniser le moindre aspect de son droit des affaires ». Il est vrai que le cadre Ohada s’étend de plus en plus vers des sphères qui concernent d’autres aspects du droit.
Qui trop embrasse
Ainsi, en ce qui concerne l’appel public à l’épargne, « il existe le risque que les dispositions prises dans le cadre de l’Ohada soient en opposition avec celles dictées par une autre organisation régionale, l’UEMOA par exemple », relève un juriste africain qui s’empresse néanmoins d’insister sur l’adaptabilité du droit de l’Ohada. Cette question des conflits de juridiction supranationale est également levée dans l’étude de Beauchard de 2011.
Le défaut de « coordination » n’existe pas seulement entre instances régionales, il concerne aussi les liens entre l’Ohada et les états-membres. Comme le soulève une juriste ivoirienne basée à Paris : « Les Actes uniformes ont beau être applicables directement dans les États, ces derniers ont souvent besoin de prendre des mesures d’accompagnement sans lesquelles les textes de l’Ohada resteront lettre morte. » L’exemple pas tout à fait hypothétique qu’elle donne suffit à révéler l’ampleur du problème : « Imaginez que l’Ohada veuille inciter à la création de sociétés et adopte des textes en conséquence. Quid des incitations fiscales? Quid des questions pénales ? » Le statut de « l’entreprenant » adopté par l’Ohada sur le modèle de l’auto-entrepreneur français semble emprunter cette voie.
Evelyne Mandessi Bell se veut, en revanche, plus optimiste : « Bien sûr qu’il y a encore du chemin à faire. Si on prend l’exemple de l’Acte uniforme sur les sûretés, évidemment qu’en l’absence de cadastre, il est difficile de protéger la propriété commerciale. Mais si l’Acte uniforme est de qualité et si les notaires y sont formés, il est clair qu’avec le temps la formalisation se fera ».
Le test ultime du droit de l’Ohada reste néanmoins celui-ci : aura-t-il permis de favoriser l’activité économique en Afrique ? À cette question il n’existe pas encore de réponse. Le secrétariat de l’Ohada a commandé en 2013 une étude sur l’impact du droit uniforme sur les investissements. Quels qu’en soient les résultats, ce rapport laisse ouverte la question de l’appropriation par les Africains de ce droit qui, après tout, est le leur.
* L’article 2 du traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique stipule : « Pour l’application du présent traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière que le Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure (…) »
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