Le cinéaste Saleh Haroun : « l’Afrique a raté la transmission entre pères et fils »
« L’Afrique a raté ce qui est fondamental dans sa culture : la transmission » entre « les pères de l’indépendance » et « la génération suivante », estime le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, qui entre en lice pour la Palme d’or, dimanche, avec « Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse ».
"L’Afrique a raté ce qui est fondamental dans sa culture : la transmission" entre pères et fils, estime le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, qui entre en lice pour la Palme d’or dimanche avec Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse.
Dans un hôtel de N’Djamena jadis luxueux, un vieux maître-nageur, ex-champion de natation (Youssouf Djaoro) se voit signifier par la nouvelle direction que son fils (Diouc Koma) est nommé responsable de la piscine à sa place.
Blessé à mort dans sa fierté d’homme et de père, il perd le goût de vivre tandis que gronde une guerre civile dont les combats se rapprochent. Il est alors tenté de commettre l’irréparable. . .
Un condensé des guerres du Tchad
"Dans ce film, j’ai condensé les guerres du Tchad, qui ont été nombreuses en plus de quarante ans", dit Mahamat-Saleh Haroun, 49 ans, dans un entretien à l’AFP. "Je me suis inspiré du 13 avril 2006 pendant le tournage de Daratt (son film précédent, NDLR) où les rebelles sont entrés dans N’Djamena. Je voulais raconter la peur panique que nous avons ressentie". "Ce jour-là, c’était le 18e anniversaire du jeune Ali Barkai qui tenait le rôle principal. Quel cadeau pour entrer dans le monde des adultes!".
Après quelques heures de combats, 300 cadavres jonchent les trottoirs de la ville : une tragédie au goût amer de déjà-vu pour le cinéaste, chassé de son pays par la guerre à l’âge de 19 ans.
"En 1979, j’ai reçu une balle perdue, mon père a dû me transporter dans une brouette. Je me suis retrouvé à traverser le fleuve Chari vers le Cameroun, avec ma valise sur la tête". "Cette répétition absurde vous donne le sentiment de ne pas du tout maîtriser votre destin. Ce qui semble le plus injuste, c’est le silence de Dieu."
Les « rêves étouffés » de l’Afrique
Bouleversant, son dernier film est le plus sombre d’une filmographie où la filiation et la guerre sont centrales.
"Il y a tant de conflits sur ce continent en déshérence. L’Afrique a raté ce qui est fondamental dans sa culture : la transmission. Entre les pères de l’indépendance et la génération suivante, la cassure a généré la violence et l’impossibilité d’ouvrir un horizon politique stable."
"Certains, comme Thomas Sankara ou Kwame Nkrumah, ont vu leurs rêves étouffés. Mais dans l’histoire de l’humanité, aucun État moderne ne s’est bâti en cinquante ans", note-t-il.
Parfois qualifié d’"inconnu" de la sélection, Mahamat-Saleh Haroun ne l’est pas vraiment : Daratt a remporté en 2006 le prix du jury au Festival de Venise – où Bye Bye Africa avait été couronné meilleur premier film en 1999 – ainsi que l’Étalon de bronze au Festival panafricain de Ouagadougou (Fespaco).
Et, en 2007, le prestigieux MoMa de New York lui consacrait une rétrospective.
Il se dit "ravi et un peu intimidé" d’être en compétition à Cannes où il côtoiera "deux des trois K" qu’il "aime tant" : Abbas Kiarostami et Takeshi Kitano (avec Akira Kurosawa, disparu en 1998).
Mais il avoue sa "grande tristesse à représenter seul une Afrique noire qui fête cette année 50 ans d’indépendance". Depuis "Kini et Adams" d’Idrissa Ouédraogo en 1997, le continent était absent de la course à la Palme d’or.
"Le désert de cette cinématographie vous donne une responsabilité. Je me dis qu’il faut être un très grand rêveur pour continuer à faire du cinéma dans des États qui ne financent pas les productions locales et où les salles de cinéma ferment", poursuit Mahamat-Saleh Haroun.
Au Tchad pointe toutefois une lueur d’espoir. "L’unique salle du pays, le Normandy, immortalisée par Depardon dans son livre Voyages et que j’avais filmé en très mauvais état dans Bye Bye Africa, va rouvrir après des travaux", se réjouit-il.
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