Quand la Tunisie parie sur le sur-mesure dans le solaire
Le pays a décidé de mettre l’accent sur l’autoproduction d’électricité solaire pour enfin faire décoller sa part d’énergie renouvelable.
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Faire 11,7 fois mieux en 1,5 fois moins de temps. Avec un Plan solaire tunisien (PST) qui prévoyait, en 2015, 30 % d’énergie renouvelable à l’horizon 2030 – revu à 35 % l’an dernier – pour une réalisation aujourd’hui d’à peine 3 %, c’est peu dire que la Tunisie est très loin de l’objectif.
Longtemps, Tunis a communiqué sur des projets pharaoniques de centrales solaires. Fort de ses 3 000 heures d’ensoleillement par an et de ses pointes à 2 600 kilowattheures (kWh)/mètre carré/an d’irradiation solaire, le pays pensait que son or lumineux suffirait à attirer les investisseurs.
Chute du dinar, hausse des prix du pétrole, crises politiques…
Ainsi du projet TuNur, porté par la fondation allemande Desertec, qui prévoyait par exemple une production de 2 gigawatts d’électricité grâce à une centrale solaire thermodynamique (CSP). Les travaux n’ont toujours pas commencé : coût exorbitant des technologies encore récentes pour les uns, manque de volonté politique pour les autres…
Mais, au-delà de TuNur, c’est le secteur des centrales solaires dans son ensemble qui est au point mort, ou presque. Selon les objectifs, en 2025, ces installations devraient fournir 555 mégawatts (MW). Fin 2022, elles n’en fournissaient que 241.
Dans le même temps, la chute du dinar, la hausse du prix de l’énergie fossile et les crises – guerre en Ukraine, pandémie, etc. – ont creusé la dépendance énergétique de la Tunisie à 58 % en janvier 2024, selon une étude de l’Observatoire national de l’énergie et des mines.
Seulement 60 MW de photovoltaïque programmés
Les autorités ont donc décidé de mettre l’accent sur un autre pilier du PST : l’autoproduction d’énergie solaire. En décembre 2023, le gouvernement a – enfin – publié les décrets d’application qui permettent aux entreprises de raccorder leur production électrique au réseau moyenne et haute tension et de revendre une partie de leur excédent à la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg).
Sur ce secteur-là aussi, la Tunisie est très en retard. Fin 2022, le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie renouvelable a délivré 300 accords pour l’installation de systèmes photovoltaïques, pour une puissance cumulée de 60 MW, loin des 130 MW envisagés.
« Il y avait une timidité concernant l’autoproduction à cause du manque de visibilité. [Les accords] permettent notamment à une industrie qui n’a pas assez de terrain pour installer des panneaux photovoltaïques dans son usine de les installer ailleurs, dans le sud, par exemple, où il a plus de place et de soleil, et de faire transporter son électricité jusqu’à elle par la Steg. Ça peut être avantageux », estime Chekib Ben Mustapha, membre du bureau exécutif de la Conect, centrale patronale des PME tunisiennes.
Les leaders du secteur ont eux aussi compris que l’énergie solaire ne passait pas forcément par des mégaprojets. Ainsi, EDF ENR vient d’installer sa première filiale hors d’Europe en Tunisie. Le Maroc suivra dans l’année. « Le potentiel de croissance en Tunisie de solutions solaires à destination des entreprises et industries est fort. Les entrepreneurs comprennent qu’avec un tel équipement, ils seront moins dépendants de l’envolée du prix de l’énergie. Et pour l’État, c’est la question cruciale de la souveraineté énergétique qui est en jeu », avance Paul Cholat, responsable du développement commercial à l’international d’EDF ENR.
La présence de Ouael Chouchane, secrétaire d’État chargé de la transition énergétique auprès du ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, lors de l’inauguration du siège d’EDF ENR à Tunis, en dit long sur les espoirs mis par les autorités dans ce secteur.
Atténuer la taxe carbone européenne
Expert spécialisé dans l’audit énergétique du secteur industriel, Mongi Souayed assure que si tous les acteurs jouent le jeu, la part du renouvelable dans le mix énergétique « peut atteindre 20 % à 25 % », mais il met en garde contre certains miroirs aux alouettes, comme le fait de gagner du cash en revendant à la Steg – la loi autorise la vente de 30 % maximum de la production annuelle. « Le prix de rachat fixé par les autorités est inférieur au coût de production. J’avertis tout de suite mes clients qu’ils ne comptent pas gagner de l’argent ainsi. »
L’ingénieur basé à Sousse, dans le Sahel, prévient aussi que le retour sur investissement – « entre 6 et 8 ans » – sera beaucoup plus long pour les secteurs saisonniers, comme les hôtels ouverts en été seulement ou les fabricants de concentré de tomates. « Il faudra attendre au moins 20 ans », assure-t-il.
Les sociétés exportatrices, elles, n’ont pas le choix. L’autoproduction d’énergie renouvelable leur permettra de réduire le coût de la « taxe carbone européenne », appelée officiellement mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), et dont l’objectif est de couvrir les biens importés dans l’Union européenne par une tarification du carbone équivalente à celle s’appliquant à la production de ces mêmes biens sur le territoire du nord de la Méditerranée.
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