Pourquoi il faut financer l’industrie à bas coût en Afrique, selon John Coumantaros
Le président de Flour Mills of Nigeria a une idée très précise du schéma de développement que le continent devrait suivre, inspiré des modèles asiatiques. À commencer par son propre pays.
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Une Afrique forte et prospère, capable d’atteindre le plein emploi et d’engendrer des entreprises de renommée mondiale : le souhait est partagé par tous. Mais comme le dirait l’ancien président de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka, pas de raccourci possible pour y parvenir : l’ascenseur n’est pas une option, il faut emprunter les escaliers.
Avant d’arriver à Samsung, il faut former les agriculteurs
John Coumantaros, président de Flour Mills of Nigeria (FMN), l’une des plus grandes entreprises agroalimentaires du pays créée par son père à la veille de l’indépendance en 1960, file la métaphore en séquençant le chemin vers la croissance en plusieurs étapes. Prenant comme référence l’expansion industrielle en Asie au cours des cinquante dernières années, il constate que les pays qui ont réussi comme le Japon, la Corée et la Malaisie ont commencé par développer leur secteur agricole. « Ils ont ensuite investi tout excédent dans la croissance industrielle et finalement, consacré l’excédent industriel à la technologie et aux secteurs d’avenir », explique-t-il.
Autrement dit, avant d’arriver à Samsung, il faut former les agriculteurs. Là encore, pas de raccourci possible : il faut d’abord s’attacher à développer toutes les composantes du secteur agricole avant de l’associer à l’industrie. Et cela commence sur le terrain et avec les agriculteurs : « Il s’agit d’optimiser le rendement et de s’assurer qu’il arrive efficacement au transformateur ou directement sur le marché », développe le président de FMN.
Le modèle idéal des coopératives agricoles
Pour ce faire, John Coumantaros retient le modèle, idéal selon lui, des coopératives agricoles « qui sont vraiment les meilleurs véhicules de regroupement des petits exploitants ». Ces structures leur permettent d’emprunter de l’argent, de trouver les meilleures semences locales et les meilleurs engrais, de bénéficier de l’expertise la plus adaptée sur les sols, et de négocier un meilleur prix avec les exportateurs. Soit de surmonter certains de leurs principaux problèmes.
Flour Mills travaille avec plusieurs coopératives au Nigeria dont Babban Gona, une organisation franchisée qui aide à structurer ce type de réseaux de soutien aux agriculteurs dans tout le pays.
Pas de succès industriels sans infrastructures solides
Une fois que les conditions d’accroissement de la productivité sont garanties, d’autres problèmes apparaissent, que les entreprises – même les plus grandes – ne peuvent résoudre seules. L’infrastructure de base est l’un des plus grands défis du pays, comme du continent.
Selon John Coumantaros, la logistique, notamment les réseaux ferroviaires et portuaires, explique le succès des pays où l’agro-industrie est solide et de grande envergure comme le Brésil, les États-Unis, l’Argentine et l’Australie. « Au Nigeria, les chemins de fer sont totalement sous-utilisés et sous-développés », regrette-t-il. Outre la logistique et les intrants bon marché, l’agro-industrie a besoin d’électricité, talon d’Achille du Nigeria, et de nombre de pays du continent. « Jusqu’à présent, l’électricité a toujours été fournie par l’État… Qui ne la fournit pas vraiment », explique le président de FMN. Les industriels nigérians sont souvent contraints de construire des centrales électriques à côté de leurs installations industrielles. L’une des solutions consisterait à créer des zones spéciales de transformation agro-industrielle où l’eau, l’électricité et les solutions de transport seraient concentrés en un seul endroit.
En finir avec les taux d’intérêt dissuasifs
Au-delà de ces dispositions structurelles, l’orientation générale de la politique macroéconomique est cruciale, notamment au Nigeria qui, « à l’époque du pétrodollar, a conservé une monnaie très forte, ce qui permet aux importations d’être moins chères que les produits locaux », explique John Coumantaros. Si cette situation a permis aux régimes successifs du Nigeria de calmer la population des villes, elle a rendu la vie des agriculteurs incroyablement difficile.
« L’autre chose dont les industries ont besoin, c’est d’un financement du développement à faible coût », continue-t-il. « On ne peut pas investir dans quoi que ce soit, et encore moins dans une industrie, si l’on doit payer un taux d’intérêt de 20 ou 30 %. »
Enfin, il appelle de ses vœux une certaine protection pour les industries naissantes : une nouvelle usine de tomates à Kaduna, par exemple, est « intrinsèquement moins compétitive qu’une entreprise déjà établie », même si des rendements de 40 tonnes par hectare sont possibles grâce à l’irrigation. « Mais il est difficile pour ces industries d’être en concurrence avec le dumping des importations en provenance de Chine ou d’ailleurs – nous avons besoin d’une protection. »
« La main invisible peut être un peu moins invisible »
Des zones économiques, une monnaie bon marché, des barrières tarifaires et des prêts industriels de soutien… Il y a une forte pression contre ce type de pensée économique, pourtant John Coumantaros insiste sur la nécessité d’accorder la priorité à la productivité, mais aussi sur le fait que l’intervention des pouvoirs publics a toute sa place dans le processus, à condition qu’elle soit axée sur la productivité de l’agriculture, puis de l’industrie.
« En matière de développement, la main invisible peut être un peu moins invisible », soutient-il. Il estime que le Nigeria a « une grande chance d’avancer de quelques crans sur la courbe du développement pour atteindre le niveau que nous devrions avoir, de sorte que nous n’importions pas tout », évoquant les tentatives d’atteindre la véritable valeur du naira.
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