Canicule : et si l’Afrique s’inquiétait (vraiment) des désordres climatiques ?
L’intense vague de chaleur et d’inondations qui s’abat sur une partie du continent ne semble pas préoccuper les populations, lesquelles se passionnent en priorité pour des sujets éminemment politiques, regrette Yann Gwet, analyste politique.
Une revue de la presse d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale de ces derniers mois laisse perplexe. Les crises politiques qui bouleversent ces régions monopolisent l’attention et agitent les passions. La raison, on le comprend aisément, est qu’au Mali, au Burkina Faso, au Niger ou même au Gabon, l’histoire est en marche. Son issue est incertaine, et le destin de ces pays pour les cinquante prochaines années se joue en ce moment. L’équation est peu ou prou la même au Sénégal. On sent bien qu’une présidence Amadou Ba aurait eu un visage différent de celle que présentera probablement la présidence Bassirou Diomaye Faye. Mais si l’engouement suscité par les questions politiques s’explique par leur importance au regard de l’avenir des peuples de ces pays, alors on comprend mal pourquoi la crise climatique en cours dans ces régions intéresse si peu.
Subir un tête-à-tête mortifère avec la canicule
Depuis plusieurs mois déjà, une intense vague de chaleur a élu domicile dans le ciel des pays d’Afrique de l’Ouest et du centre. Ici ou là, le thermomètre excède régulièrement les 40°C – et ce tout au long de la journée. Aux heures les plus chaudes, ceux qui le peuvent prennent d’assaut les rares arbres d’ombrage qui subsistent dans nos grandes villes. Les moins chanceux n’ont d’autre choix que d’errer dans des rues clairsemées à la recherche d’abris de substitution. Nombreux sont celles ou ceux dont le métier, parfois essentiel, les contraint à un tête-à-tête mortifère avec la canicule. Le visage marqué, le regard vitreux, ils subissent, impuissants, les ravages d’une météo impitoyable.
Ce spectacle serait déjà désolant si ces chaleurs extrêmes, au-delà de l’inconfort qu’elles causent, étaient bénignes. Mais leurs conséquences, nombreuses et sérieuses, sont largement documentées. Les coups de chaleur, collapsus cardiovasculaires, insuffisances rénales et autres affections qui résultent d’une exposition prolongée au soleil nécessitent parfois des hospitalisations dont certaines se révèlent fatales. De nombreuses études menées aux États-Unis témoignent d’une corrélation inquiétante entre l’augmentation des températures et l’augmentation de la criminalité urbaine.
Une étude publiée en juin 2023 dans la revue scientifique JAMA Psychiatry révèle qu’une augmentation moyenne des températures d’1°C se traduit par un bond de plus de 6% des cas de violences physiques et conjugales dans trois pays d’Asie du Sud. Au Soudan du Sud, les autorités ont ordonné la fermeture des écoles sur l’ensemble du pays en mars pour protéger les enfants contre une vague de chaleur extrême. Il est d’ores et déjà établi que les périodes de forte chaleur affectent les performances scolaires des enfants les moins favorisés. Or, le consensus scientifique est que les épisodes caniculaires seront de plus en plus fréquents, de plus en plus longs, de plus en plus aigus. Santé, criminalité, violences conjugales, résultats scolaires : le dérèglement climatique est source de dérèglements sociaux.
Regarder la réalité en face
C’est la raison pour laquelle le silence des pouvoirs publics, des médias et plus largement des populations sur la crise climatique et ses effets, est d’autant plus assourdissant. Il contraste avec le sentiment d’urgence et l’effervescence qui émanent du reste du monde sur la question climatique. Ailleurs, les gouvernements prennent des mesures pour protéger la population et organiser la transition vers le monde qui vient. Les industriels développent des technologies qui permettront de faire face aux températures les plus extrêmes. Les intellectuels éclairent les opinions publiques sur les enjeux. Il est plus que temps que, nous aussi, nous regardions la réalité de la crise climatique en face. La politique de l’autruche n’éliminera pas le problème. Bien au contraire, elle l’exacerbera. Au moment de payer la note de nos errements, pouvoirs militaires ou civils, régimes autoritaires ou démocratiques, tous seront aussi démunis les uns que les autres. Pour les peuples, il sera trop tard.
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