Zlecaf : le marché commun est-il vraiment sur la bonne voie ?
La Zone de libre-échange continentale africaine entre dans sa phase de test et affiche des progrès. Mais tous les obstacles sont loin d’être franchis.
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D’un geste assuré, Cyril Ramaphosa sectionne le ruban rouge. Un geste symbolique pour un jour « historique ». Le 31 janvier, l’Afrique du Sud, pays le plus industrialisé du continent, exporte à destination du Ghana et du Kenya sa première cargaison dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). La cérémonie officielle se déroule sur les docks du port de Durban. Le containeur, prêt à être chargé sur le Navios Verde, contient du cuivre recyclé, des réfrigérateurs Defy, du ciment produit par Natal Portland Cement, des chaussures et des bottes de sécurité Beier Group, des compteurs électriques intelligents et des produits pharmaceutiques. Uniquement du Made in South Africa, en somme.
« Pour l’Afrique du Sud, comme pour de nombreux autres pays du continent, le lancement du commerce préférentiel créera de grandes opportunités de croissance et de développement », applaudi le président sud-africain. La nation Arc-en-Ciel n’est pas la seule à avoir organisé une telle manifestation. Le Cameroun a tenu à célébrer les premiers sacs de thé et d’ananas séché envoyés au Ghana et la Tunisie s’est félicitée lorsque ses dattes ont pris la direction de Maurice. Si ces exportations demeurent encore anecdotiques, de fait, la Zlecaf se concrétise par la baisse progressive des droits de douane.
L’Afrique, exportatrice de matières premières
Lancée en 2018 à Kigali, la plus « grande zone de libre-échange au monde » est l’objet de tous les superlatifs. L’Union africaine estime que « la suppression des barrières tarifaires stimulera la croissance commerciale d’au moins 53 %, tandis que l’élimination des barrières non tarifaires pourrait multiplier par deux le commerce intra-africain ». Selon la Banque mondiale, elle pourrait permettre à 30 millions d’Africains de sortir de l’extrême pauvreté et à près de 68 millions d’autres d’augmenter leurs revenus. Dans un rapport daté de 2020, l’institution estime que le PIB du continent pourrait même progresser de 450 milliards de dollars d’ici à 2035 (soit une augmentation de 7 %).
Aujourd’hui, les exportations intra-africaines représentent environ 16 % du commerce extérieur des pays africains, alors que cette proportion est de 55 % en Asie et même de 63 % dans l’Union européenne. « Les pays africains commercent avec le reste du monde, mais leurs échanges entre eux sont limités, regrette ainsi Cyril Ramaphosa. La raison est claire : nous sommes principalement des exportateurs de matières premières, vendant des minerais et du pétrole au monde entier, au lieu d’exploiter ces ressources naturelles pour industrialiser notre continent. Cela doit changer. »
La Zlecaf pourrait-elle inverser la donne ? « Son potentiel est très surestimé, les estimations avancées par le FMI et la Banque mondiale sont conditionnées à des réformes d’ampleur, tranche Émilie Laffiteau, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Pour qu’un marché commun ait de l’intérêt, il faut que chacun des pays ait des avantages comparatifs. Or, pour l’instant, il n’y a pas suffisamment de complémentarité entre les économies. »
« L’éradication des droits de douane et des barrières non tarifaires ne va pas, d’un coup de baguette magique, transformer des pays exportateurs de matières premières en puissances industrielles », abonde un économiste ouest-africain qui préfère conserver l’anonymat.
Barrières entre anglophones et francophones
Ce marché unique africain présente même le risque d’être contre-productif. Plusieurs économistes craignent que la Zlecaf ne serve de cheval de Troie aux multinationales. Elles en profiteraient pour accéder à un marché continental par le biais d’un pays. « Cela pourrait pénaliser les entreprises africaines, prévient Émilie Laffiteau. Un marché unique africain est une belle idée, mais une idée très libérale. Et le libéralisme dans une région fragile, c’est toujours risqué. »
Les accords de libre-échange et les marchés communs ne sont pas une nouveauté sur le continent. Il y en a même plus d’une centaine qui se chevauchent. La Zlecaf est un prolongement des huit Communautés économiques régionales (CER) reconnues par l’Union africaine : l’Union du Maghreb arabe (UMA), le Marché commun de l’Afrique orientale et de l’Afrique australe (Comesa) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN–SAD), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et la Cedeao.
Selon l’indice de l’intégration régionale en Afrique, un outil élaboré par la Banque africaine de développement, l’Union africaine et la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, l’EAC est la zone qui s’en tire le mieux. La Cedeao, qui fêtera ses 50 ans l’an prochain, arrive en troisième position. À de nombreux égards, le communauté économique ouest-africaine est un succès : n’importe quel citoyen des quinze pays membres peut s’installer dans un autre de ces États et créer son entreprise. Les visas sont supprimés et la libre circulation des biens est une priorité affichée.
Las, sur le terrain, la situation est loin d’être aussi limpide. « Un bien légalement dédouané au port de Lomé, s’il est ensuite réexporté dans un autre pays membre, subira de nouvelles taxes et tracasseries administratives, la plupart du temps officieuses, à chaque point de contrôle. Il peut y en avoir une trentaine rien qu’entre la capitale togolaise et Ouagadougou. Et c’est encore pire lorsqu’il faut traverser une frontière entre un pays francophone et anglophone. La libre circulation des biens est encore un fantasme en Afrique de l’Ouest », regrette notre économiste ouest-africain.
Moins de 10 % des échanges (formels)
Conséquence, officiellement : le commerce à l’intérieur de la Cedeao pèse moins de 10 % du total des échanges des pays membres. Une proportion peu reluisante après un demi-siècle d’intégration. Mais ces chiffres sont à relativiser, car ils souffrent d’un double biais statistique. « D’une part, les exportations de pétrole brut du Nigeria dans le reste du monde font mécaniquement baisser la part du commerce régional dans l’ensemble de la Cedeao. D’autre part, il est très difficile de mesurer des échanges qui ne sont tout simplement pas déclarés, détaille Philipp Heinrigs, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En effet, une proportion très importante du commerce est informelle et échappe donc au radar des statistiques. »
Une affirmation confirmée par un spécialiste des statistiques dans la région qui préfère conserver l’anonymat : « Les douaniers nous expliquent qu’ils ne voient pas l’intérêt de compter les marchandises qui passent d’un pays à l’autre, étant donné qu’elles ne sont pas taxées. Cela représente des volumes extrêmement importants. »
En Afrique, le commerce africain serait donc plus intégré qu’on ne le croit. Reste à savoir si la Zlecaf permettra de passer à l’échelle supérieure. Car les tendances à l’œuvre sur le continent ne se dirigent pas vers plus d’intégration. L’Alliance des États du Sahel a décidé de quitter la Cedeao. La frontière entre le Rwanda et le Burundi est fermée depuis le 11 janvier. Les relations entre le Maroc et l’Algérie sont toujours aussi glaciales. Pendant la Coupe d’Afrique des nations, la Côte d’Ivoire a décidé d’interdire les exportations de denrées alimentaires, contrevenant à tous les accords de libre-échange signés avec ses voisins. Derrière les discours panafricanistes, les faits sont têtus.
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