Après la démission de l’émissaire de l’ONU en Libye, une situation bloquée ?

La démission fracassante d’Abdoulaye Bathily acte l’échec des efforts de réconciliation entre dirigeants libyens, qu’il a ouvertement accusés de pérenniser la division du pays dans leur propre intérêt.

Abdoulaye Bathily, à Tripoli, le 11 mars 2023. © Mahmud TURKIA / AFP

Abdoulaye Bathily, à Tripoli, le 11 mars 2023. © Mahmud TURKIA / AFP

Publié le 18 avril 2024 Lecture : 3 minutes.

En poste depuis dix-huit mois seulement, le diplomate sénégalais Abdoulaye Bathily, à la tête de la mission de l’ONU en Libye (Manul), a annoncé mardi avoir présenté sa démission au secrétaire général, António Guterres — en tirant à boulets rouges sur les principaux protagonistes dans un pays en proie au chaos et à des cycles de violences fratricides depuis la chute du régime de Kadhafi en plein Printemps arabe, en 2011.

Constatant une « détérioration » de la situation ces derniers mois, Abdoulaye Bathily a dénoncé « le manque de volonté politique et de bonne foi des dirigeants libyens qui sont contents de l’impasse actuelle ».

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Le pays est en effet gouverné par deux exécutifs rivaux. L’un à Tripoli, dans l’Ouest, est dirigé par Abdelhamid Dbeibah et reconnu par l’ONU, l’autre dans l’Est, est incarné par le Parlement et affilié au camp du maréchal Khalifa Haftar, dont le fief est à Benghazi. Des élections présidentielle et législatives étaient prévues en décembre 2021 mais avaient été reportées sine die en raison de divergences entre camps rivaux, faisant perdurer l’instabilité politique.

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« La détermination égoïste des dirigeants actuels à maintenir le statu quo par des manœuvres et tactiques dilatoires, aux dépens du peuple libyen, doit stopper », a cinglé Abdoulaye Bathily, qui a également pointé du doigt sans les nommer les sponsors étrangers des deux camps rivaux. Pour Jalel Harchaoui, chercheur associé auprès de l’institut britannique Royal United Services (RUSI), le départ d’Abdoulaye Bathily n’est pas surprenant « pour la simple raison que le processus qu’il menait depuis plusieurs mois était déjà entièrement exsangue ».

Des efforts « sapés par l’Égypte »

Selon Jalel Harchaoui, les efforts d’Abdoulaye Bathily ont largement été sapés par l’Égypte qui, avec les Émirats arabes unis, est le principal soutien du camp du maréchal Haftar face aux autorités de l’Ouest, appuyées, elles, par la Turquie notamment. « Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs dont notamment une politique égyptienne consistant à systématiquement contredire la logique relativement cohérente que tentait d’insuffler Bathily », a indiqué ce spécialiste de la Libye.

« Face au sabotage du Caire, les grandes démocraties occidentales comme les États-unis ou la France n’ont jamais, d’une manière authentique, soutenu Bathily, préférant, d’une manière passive, éviter de froisser le géant égyptien », a-t-il ajouté. Pour Emad Badi, expert à l’Atlantic Council, le départ d’Abdoulaye Bathily intervient à un « tournant indéniable où le vernis de stabilité qui prévalait en Libye ces dernières années est en train de disparaître ».

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L’adjointe d’Abdoulaye Bathily assure l’intérim

En attendant un successeur, c’est l’Américaine Stephanie Koury, désignée en mars comme adjointe d’Abdoulaye Bathily pour les affaires politiques, qui assurera l’intérim, un remake du scénario du mandat intérimaire de sa compatriote Stephanie Williams après le départ, en mars 2020, de Ghassan Salamé.

Stephanie Williams avait réussi à rassembler en février 2021 à Genève des représentants libyens et à aboutir à un accord politique et à la désignation d’un gouvernement intérimaire pour organiser les scrutins présidentiel et parlementaire de fin 2021. Il est « très probable » de voir Stephanie Koury « émerger comme envoyée spéciale intérimaire », ce qui serait « un arrangement permettant aux États-Unis de mener la Manul sans devoir affronter un veto russe au Conseil de sécurité [de l’ONU] », estime Jalel Harchaoui.

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Son rôle actuel d’adjointe permettrait à Stephanie Koury d’assurer un intérim en l’absence du chef de mission, mais sans le soutien du Conseil de sécurité, elle serait « limitée dans ce qu’elle peut accomplir », a pour sa part affirmé Emad Badi.

(Avec AFP)

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