Côte d’Ivoire-Maroc : la mosquée Mohammed VI d’Abidjan, symbole d’une amitié solide

Le 5 avril était inaugurée la nouvelle mosquée Mohammed VI d’Abidjan, après sept ans de travaux. Un nouveau symbole de la relation spirituelle qui unit le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, et du discret soft power religieux du royaume sur le continent.

Des musulmans ivoiriens viennent assister à la prière du vendredi à la mosquée Mohammed VI d’Abidjan, pour son inauguration, le 5 avril 2024. © LEGNAN KOULA/EPA/MAXPPP

Des musulmans ivoiriens viennent assister à la prière du vendredi à la mosquée Mohammed VI d’Abidjan, pour son inauguration, le 5 avril 2024. © LEGNAN KOULA/EPA/MAXPPP

Publié le 1 mai 2024 Lecture : 5 minutes.

D’emblée, l’érection d’un minaret imposant ses quelques 69 mètres de hauteur dans le ciel multiconfessionnel d’Abidjan interroge. Pourquoi l’islam, et en particulier l’islam marocain, aurait-il pignon sur rue dans ce pays où seulement 42 % des 29 millions d’habitants adhèrent à la religion de Mahomet ? Pour le comprendre, remontons les aiguilles du temps jusqu’à la toute fin du XIXe siècle. Les Français viennent d’arriver en Côte d’Ivoire et croient alors avoir affaire à une société animiste. Ils vont vite être détrompés, détectant les influences de l’islam qui, à l’époque, vient essentiellement du Sénégal.

L’inspiration de ce spiritualisme sénégalais, quant à lui, vient tout droit du Maghreb et s’organise en confréries, comme celle de la Qadiriyya et de la Tidjaniyya. La foi a suivi les routes commerciales traditionnelles, ce qui l’a conduite jusqu’à Abidjan. Puis elle se développe, d’abord pendant l’entre-deux-guerres, où l’islam local se voit attisé par les théories panislamistes à la source des mouvements indépendantistes maghrébins. « La diffusion des livres en arabe est un autre indice de la vitalité de la communauté musulmane en Côte d’Ivoire. L’après-guerre voit en effet se développer cet aspect de la surveillance de l’islam, qui va rapidement absorber une partie importante des énergies de l’administration coloniale en la matière : le contrôle des livres et brochures en langue arabe », indique l’historien Jean-Louis Triaud. L’arabe, langue véhiculaire de l’islam, va devenir pour la France en Côte d’Ivoire à la fois un signe d’alerte et un signe alarmant sur la diffusion d’une religion subversive à l’ordre colonial occidental.

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Après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, en 1960, le paysage religieux connaît une nouvelle évolution notoire. À l’instar de l’ancienne métropole, le pays est laïque et les institutions francophones. Mais quelques établissements de confession islamique voient le jour, limités au nombre de trois : le centre islamique Dar El Hadisse de Bouaké, celui de Williamsville, et une école islamique nommée Itratou, à Yopougon. À l’époque, les étudiants diplômés de ces écoles ne peuvent prétendre à un cursus supérieur dans l’une des universités publiques. Seule solution : des études à l’étranger.

Le Maroc, destination religieuse et touristique

Et c’est vers le Maroc que les candidats ivoiriens se dirigent pour leurs études en sciences religieuses. Pas étonnant : Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la République ivoirienne, et le roi du Maroc Hassan II se lient d’amitié dès l’accession de ce dernier au trône du royaume, en 1961. L’année 1973 sera elle aussi une. année importante, avec la signature d’un traité d’amitié et de coopération sur la création d’une grande commission mixte ivoiro-marocaine. Et en 1988, le boulevard Houphouët-Boigny est inauguré à Casablanca en présence des deux dirigeants.

La qualité de cette relation bilatérale va aussi profiter aux échanges religieux, la confrérie de la Tidjaniyya se montrant la plus active. Cette zaouïa est de loin la plus populaire et la plus fréquentée en terre ivoirienne. Elle développe des liens poussés avec le mausolée mère, à Fès, où les pèlerins peuvent visiter le tombeau de son fondateur, Ahmed el-Tidjani, puis poursuivre leur pérégrination vers la mosquée des Andalous et celle des Qaraouiyine. « Les plus puissantes confréries modernes remontent souvent au XVIIIe siècle, comme la Tidjaniyya. Elles sont transversales aux tribus et même aux régions […] et […] s’allient aux Français », rappelle l’historien Pierre Vermeren dans son essai La France en terre d’islam, empire colonial et religions XIXe-XXe siècles.

Les interactions spirituelles entre les deux pays sont diplomatiquement facilitées par la dispense de visas dans les deux sens entre le Maroc et la Côte d’Ivoire. Et pour appuyer cette fluidité dans les échanges, l’ambassade du Maroc à Abidjan dispose d’un service socioculturel. Les futurs étudiants ivoiriens dans le royaume chérifien disposent d’une large gamme de choix dans une vingtaine d’universités, non seulement à Fès, mais également dans d’autres villes marocaines telles que Casablanca, Rabat, Tanger ou Marrakech.

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Au fil des décennies, les étudiants ivoiriens s’impliquent d’aileurs dans la vie religieuse du Maroc. Avec eux tout un tourisme spirituel voit le jour. « Le tourisme religieux est devenu une formation complémentaire pour les étudiants musulmans au Maroc », affirme Konaté Arna dans son mémoire de DEA, Le Circuit des étudiants ivoiriens en formation dans les pays du Maghreb de 1981 à 2002. Ainsi les études théologiques et les découvertes patrimoniales vont-elles de pair, contribuant à faire la promotion du rite malékite, l’un des quatre maddahib – ou écoles de jurisprudence – de l’islam sunnite, dominant au Maroc.

Une coopération théologique, logistique et économique

Et Rabat, dans sa volonté de propager le malékisme, met les bouchées doubles pour accueillir dans les meilleures conditions possibles les Ivoiriens. En 2014, Driss Benhima, ancien patron de Royal Air Maroc, affirmait ainsi dans le quotidien ivoirien Fraternité Matin : « Le transport aérien marocain se met à la disposition de la tarîqa Tidjaniyya à travers le monde. » C’est dire l’implication de Rabat dans la promotion de l’islam marocain en Côte d’Ivoire, et en Afrique subsaharienne en général.

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Suivre un cursus dans le royaume alaouite est d’ailleurs un gage de prestige pour les diplômés des pays africains. « Les étudiants ivoiriens qui reviennent du Maroc sont supposés avoir un bagage intellectuel solide et une formation théologique de haut niveau car, selon la perception communément admise par les musulmans ivoiriens, pendant leur séjour marocain ils s’imprègnent considérablement de la culture islamique. En Côte d’Ivoire ces étudiants se présentent parfois comme de véritables érudits des sciences islamiques et participent, à leur tour, à la propagation de l’islam malékite dans le pays », expose l’historien ivoirien Mamadou Bamba.

Et l’implication marocaine ne se limite pas à la formation des religieux. En 2015, le royaume est devenu le premier investisseur étranger en Côte d’Ivoire, devançant ainsi l’ancienne puissance coloniale. Autre signe qui ne trompe pas, celui du don, en septembre 2022, de plus de 4 500 exemplaires du Coran, dont 900 en écriture braille, par le souverain chérifien au Cosim, le Conseil supérieur des imams, des mosquées et des affaires islamiques de Côte d’Ivoire. Côté institutions, ce sont la Fondation Mohammed VI des oulémas africains, à Fès, et l’Institut Mohammed VI de formation des imams, à Rabat, tous deux fondés en 2015, qui œuvrent expressément à promouvoir en Côte d’Ivoire et en Afrique un islam du « juste milieu », à l’opposé des courants radicaux portés par certains pays du Golfe.

L’inauguration de la mosquée Mohammed VI d’Abidjan tombe d’ailleurs à point nommé, dans un paysage religieux où Ryad cherche à avancer ses pions spirituels sur le continent. Avec une capacité d’accueil de 7 000 fidèles et une superficie de 25 000 m², une bibliothèque, un centre d’étude, elle représente l’islam chérifien, non seulement au niveau de la doxa mais également par sa mise en avant de l’art mauresque. Et même le lieu choisi pour ériger le bâtiment – sur les rives de la lagune Ébrié – peut être considéré comme un clin d’œil à l’amitié ivoiro-marocaine. Offrant une vue sur l’immensité liquide, elle rappelle l’emplacement de la mosquée Hassan II de Casablanca, bâtie elle aussi sur le littoral, et illustre bien la volonté d’ouverture au monde que partagent les deux partenaires.

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