Bloc Algérie, Tunisie, Libye : Tebboune, Saïed et Menfi posent la première pierre
Les chefs d’État algérien, tunisien et libyen se sont retrouvés à Tunis pour évoquer la mise en place d’une nouvelle entité maghrébine censée remplacer l’Union du Maghreb arabe, qu’ils jugent inopérante, mais sans le Maroc ni la Mauritanie.
En marge du 7e sommet des chefs d’État et de gouvernement du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF), à Alger, le 2 mars 2024, une rencontre avait réuni le président algérien Abdelmadjid Tebboune, son homologue tunisien Kaïs Saïed et le président du Conseil présidentiel libyen Mohamed Younes el-Menfi. Ils étaient alors convenus de se concerter tous les trois mois.
Le premier round de ce nouveau rendez-vous diplomatique a eu lieu ce 22 avril, à Tunis, où les trois présidents ont évoqué la création de ce qui pourrait devenir une nouvelle structure inter-maghrébine.
Un tel bloc, comprenant le Maroc et la Mauritanie, existe déjà, du moins en théorie, mais il semble bien que les dissensions internes – rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie depuis 2021 et coup de froid entre, d’une part, le royaume chérifien et, d’autre part, la Tunisie et la Libye – aient eu raison de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Une UMA qui n’a dans les faits jamais été efficiente et qui n’est s’est pas réunie depuis plus de vingt ans.
L’Algérie, un élément moteur
Dans un monde composés de bloc régionaux intégrés, les trois pays du Maghreb central savent qu’il est nécessaire de se rassembler, voire de mettre sur pied une union. La déclaration officielle rendue publique à l’issue de la rencontre est explicite. Elle souligne d’abord le soutien au peuple palestinien et la volonté de reconnaître un État palestinien dont la capitale est Jérusalem.
Un point qui rappelle que l’Algérie, qui siège actuellement comme membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, a proposé deux motions : une demande de cessez-le-feu dans la bande de Gaza – qui a été approuvée – et une demande d’admission de la Palestine comme État membre de l’ONU, rejetée par un véto américain.
Ainsi l’Algérie entend-elle être un élément moteur de ce triangle d’intérêts communs. L’objectif d’une coopération plus large comprend une protection accrue des frontières communes contre les flux de migration irrégulière et la criminalité organisée, dont la traite humaine et le trafic de drogue.
Harmonisation des politiques migratoires
La déclaration de Tunis prévoit aussi une harmonisation des positions vis-à-vis de l’Europe, mais également des pays subsahariens, concernant les phénomènes migratoires, et la mise en place de « mécanismes pour des projets et des investissements majeurs communs dans des domaines et des secteurs prioritaires ».
Des déclarations et des formules qui rappellent les grandes lignes du Plan Mattei que l’Italie, contre vents et marées, entend promouvoir en Afrique. La déclaration de Tunis cite d’ailleurs aussi des projets d’hydrogène vert, lesquels font partie des préconisations formulées par Rome.
Coïncidence d’autant plus notable que la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, était de nouveau à Tunis, le 17 avril, cette fois pour la signature de trois nouveaux accords. Elle a aussi annoncé une visite à Alger vers la fin avril.
Coopération et discours souverainiste
La déclaration de Tunis, qui a été lue par le ministre tunisien des Affaires étrangères, prévoit également une coopération pour développer un projet de liaison électrique, lever les entraves à la circulation des biens et des personnes, mais également créer des zones de libre-échange et des lignes maritimes antre les trois pays pour stimuler l’économie.
Rien de bien nouveau et qui n’ait déjà été amorcé dans les relations bilatérales entre la Tunisie, l’Algérie et la Libye. L’un des points inquiétants cependant est l’intention exprimée d’exploiter les réserves d’eau fossiles dans le sous sol des trois pays, sans aucune autre précision.
Mais le principe du rejet de toute ingérence étrangère, notamment en Libye, qui doit néanmoins être avalisé par ses deux voisines, dans son processus de stabilisation et d’organisation d’élections, est venue conforter le discours souverainiste que portent désormais les trois pays.
Officiellement, la porte n’est pas fermée à l’entrée du Maroc et de la Mauritanie
Mais ce nouveau « bloc des trois » a un autre effet : il scinde désormais en deux le Maghreb, mettant à distance le Maroc mais aussi la Mauritanie, même si, dans le discours officiel, la porte n’est pas fermée à de nouvelles entrées dans le club.
Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, parle d’« une nouvelle formule » de concertation visant à remplacer une « UMA dans le coma ».
On assiste donc à une nouvelle amorce d’intégration maghrébine, à l’initiative cette fois de l’Algérie, qui a pris sous son aile les deux « égarés » des révolutions de 2011. Mais les contours de cet ensemble restent encore flous.
« À ce stade, commente Raouf Farrah, chercheur à la Global Initiative against Transnational Organized Crime (GI-TOC), cette tripartite est encore un projet en cours de construction. Les trois parties ont des intérêts assez divergents et des poids économiques et stratégiques très différents, même s’il y a une volonté commune d’aller de l’avant vers un dialogue rapproché entre les trois pays. Quand on abordera les questions de fond, des divergences vont apparaître, d’autant que la partie libyenne est extrêmement faible, même en Tripolitaine. »
Une prochaine rencontre, qui sera aussi un test de la solidité du nouveau bloc, est prévue dans trois mois. Sur fond d’élection présidentielle en Algérie et en Tunisie.
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