Israël-Hamas : comment Tel-Aviv fait du mal à toute l’humanité
Au 200e jour du conflit, l’étranglement humanitaire de Gaza se poursuit. Pour Mohamed Salah Ben Ammar, en punissant des innocents, Israël est en train de radicaliser des millions de jeunes Arabes partout dans le monde.
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Mohamed Salah Ben Ammar
Médecin et ancien ministre de la Santé, en Tunisie
Publié le 26 avril 2024 Lecture : 6 minutes.
Selon Euro-Med Human Rights Monitor, en 200 jours de conflit entre Israël et le Hamas, Tsahal a causé la mort de quelque 42 510 Palestiniens, dont 38 621 civils parmi lesquels on dénombre 10 091 femmes et 15 780 enfants. Au moins 869 soignants et 136 journalistes ont également été tués, tandis que plus de 300 structures de santé et 177 sièges de médias ont été détruits. Suivant ces données, le nombre de Palestiniens tués quotidiennement atteint 212, dont 50 femmes et 79 enfants. Ce sont là les chiffres les plus glaçants jamais enregistrés dans l’histoire du conflit israélo-arabe, d’autant que plusieurs milliers de morts sont toujours sous les décombres et que des milliers d’autres personnes sont portées disparues.
Plus de 130 morts lors de distributions de nourriture
Après plus de cinq mois de massacres de civils, le 25 mars, les États-Unis se sont enfin abstenus au Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui a permis l’adoption d’une résolution exigeant un « cessez-le-feu immédiat » à Gaza pour le mois du ramadan. Deux semaines après la fête de l’Aïd el-Fitr, les bombardements n’ont toujours pas pris fin. Et les États-Unis on renoué avec leurs vieilles habitudes en utilisant leur veto contre la demande d’intégration pleine et entière à l’ONU de la Palestine, laquelle justifie d’un statut d’observateur. Nous n’avons donc pas fini de souffrir devant les rares images qui nous parviennent de Gaza : elles laissent indifférents chroniqueurs et intellectuels qui se pressent dans les stations de radio et de télévision pour faire la promotion de leurs écrits.
Les Gazaouis sont devenus des âmes errantes en haillons, cachectiques, humiliés, courant dans tous les sens à la recherche de quelque chose à manger pour survivre. Était-ce ainsi lors du siège du ghetto de Varsovie ? J’ai toujours appris qu’être juif, c’est être du côté des opprimés ! Les Nations unies et dix ONG du monde entier dénoncent l’utilisation de la famine comme une arme de guerre. Le secrétaire général de l’ONU s’insurge contre un « mépris du droit humanitaire international ». Les Palestiniens affamés s’entretuent pour un bout de pain, plus de 130 d’entre eux ont trouvé la mort lors des distributions de nourriture. Dominic Allen, du Fonds des Nations unies pour la population a déclaré : « les gens [qu’ils ont] croisés étaient décharnés, ils nous indiquaient qu’ils cherchaient de quoi manger. »
La situation ne semble pas émouvoir Bernard-Henri Lévy (BHL), ce philosophe « défenseur des causes justes », pour qui Tsahal est « l’armée la plus morale du monde ». Qu’elle ouvre le feu sur des civils, qu’elle détruise des universités et des hôpitaux, que le sordide calcul des rations alimentaires nécessaires à la survie soit affiché sans pudeur par les plus hauts responsables militaires, est-ce donc un détail ? Les autorités israéliennes ont calculé que la ration quotidienne nécessaire pour éviter la malnutrition était de 2 500 calories pour les hommes et de 2 000 calories pour les femmes.
Partant de ce calcul cynique, l’État hébreu a déduit qu’il devait autoriser l’entrée, chaque jour, de seulement 106 camions chargés de vivres et autres denrées de première nécessité, contre 400 camions réclamés par les agences d’aide humanitaire. Nous n’avons pas fini de nous lamenter devant les images de centaines de Palestiniens affamés qui se jettent à l’eau dans l’espoir de récupérer l’une des caisses d’aliments larguées par l’armée jordanienne en pleine mer. Beaucoup ne savent pas nager et se noient.
Soutenir les Palestiniens, un engagement moral
Dans Solitude d’Israël, son énième livre, BHL soutient cette guerre en dépit du bon sens. Il reprend à son compte des informations dont même les autorités israéliennes affirment aujourd’hui qu’elles sont fausses : « Égorger des femmes, les dépecer pendant qu’un autre les viole, pour le seul plaisir de le faire. » Selon lui, Sciences Po serait devenu un fief islamo-gauchiste, parce que des étudiants ont exprimé leur soutien à la cause palestinienne ; il reprend, là aussi, des faits démentis par les protagonistes eux-mêmes, et feint d’ignorer que c’est le cas dans toutes les universités du monde, dont Harvard et Stanford.
En réalité, l’incompréhension est totale entre l’Occident et le monde arabe. Le premier peine à comprendre que la question palestinienne est centrale pour les Arabes du monde entier, même si leurs gouvernements font preuve de lâcheté. Aucun Arabe ne pourra être en paix tant que les droits du peuple palestinien seront bafoués. Il s’agit d’un engagement moral, politique et passionnel, au-delà de la compassion naturelle. Comment faire comprendre aux Occidentaux que, pour les Arabes, l’histoire n’a pas commencé le 7 octobre, mais en 1948, au moment où 750 000 Palestiniens ont été déplacés de leur terre pour y être remplacés par des juifs venus d’Europe – voire en 1929, lors de la première révolte palestinienne. Les Arabes ont traversé deux siècles de stagnation. Ils souffrent encore de cette période de coma où ils ont raté le train de la modernité.
On fait payer aux Palestiniens des crimes commis jadis en Europe. En effet, l’immense majorité des habitants de la Palestine ignorait tout de l’idéologie nazie. La Palestine était colonisée, et en dehors d’une élite, les Palestiniens étaient en majorité analphabètes. Les rappels systématiques de la persécution des juifs en Europe ne parlent pas aux Palestiniens, c’est une question de vécu.. C’est probablement inadmissible et même révoltant pour un Occidental, mais les Arabes ne ressentent ni responsabilité ni culpabilité face à ces drames. Ils n’ont pas vécu l’holocauste et il ne leur a pas été enseigné. Et pourquoi s’en étonner ? Cela a longtemps été le cas aussi pour les Occidentaux. Beaucoup n’ont appris qu’en 1985, avec le film Shoah de Claude Lanzmann, les horreurs qui se sont déroulées chez eux, parfois dans la gare qu’ils fréquentent tous les jours depuis leur tendre enfance.
Enseigner l’holocauste aux Arabes, une nécessité
Il ne s’agit pas de remettre en cause les horreurs subies par les juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Bien au contraire, pour que les Palestiniens comprennent leurs vis-à-vis, ils doivent enseigner aux enfants dans toutes les écoles ce qu’ont subi les juifs européens.
Il est inconcevable que les grands de ce monde ne réalisent pas encore que les auteurs du massacre du 7 octobre seront les seuls vainqueurs de cette guerre, non seulement à Gaza mais dans tous les pays arabes ! Comment le monde ne voit-il pas qu’en punissant des innocents, en commettant des massacres, en affamant les populations, en coupant l’eau et l’électricité à des civils – avant le conflit, cette dernière denrée n’était octroyée que quelques heures par jour –, en déplaçant deux millions de personnes, Israël est en train de radicaliser des millions de jeunes Arabes ?
Je refuse de croire que les stratèges israéliens soient à ce point aveuglés par la colère et ne réalisent pas l’impact de ces horreurs sur une opinion mondiale révoltée, de Kuala Lumpur à Bogota, en passant par Londres, Berlin, Istanbul, Rome, New York, Detroit ou San Francisco, et même Tel Aviv. Accuser tous ceux qui sont contre cette guerre – cette cruelle vengeance – d’antisémitisme est en soi une insulte à l’intelligence humaine. Un raccourci qui, justement, ne permettra pas de lutter contre le fléau de cette radicalisation, par ailleurs bien réelle et qui prend une ampleur inquiétante.
Cette politique de la terre brûlée annonce de grands malheurs à venir dans ce monde. Il faut en urgence reconnaître le droit du peuple palestinien à une terre, un État et des frontières sûres. Les dirigeants occidentaux doivent le comprendre, corriger cette injustice au nom de la simple humanité, mais aussi au nom de leurs intérêts à venir. Faute de quoi, ils seront les premiers à porter une lourde responsabilité devant le tribunal de l’Histoire.
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