Françoise Remarck : « L’agenda culturel ivoirien est très chargé cette année »

Femua et pavillon ivoirien à la Biennale de Venise : la ministre de la Culture et de la Francophonie mise sur l’accélération des industries culturelles et créatives comme facteur de développement. Entretien avec celle qui s’apprête à recevoir le Rwanda et la Corée du Sud en invités d’honneur du Masa.

La ministre ivoirienne de la Culture, Françoise Remarck, à côté de l’affiche réalisée par l’artiste français Antonin Katre, qui évoque « La Pyramide », tour emblématique d’Abidjan, en avril 2023. © REUTERS/Luc Gnago.

La ministre ivoirienne de la Culture, Françoise Remarck, à côté de l’affiche réalisée par l’artiste français Antonin Katre, qui évoque « La Pyramide », tour emblématique d’Abidjan, en avril 2023. © REUTERS/Luc Gnago.

eva sauphie

Publié le 2 mai 2024 Lecture : 7 minutes.

Le Marché des arts du spectacle d’Abidjan (Masa, Côte d’Ivoire) a battu son plein dans la capitale économique ivoirienne pour son trentième anniversaire. Au total, mille artistes sont venus de toute l’Afrique, mais aussi d’Europe et d’Asie, 300 spectacles ont joué et plus de 140 000 visiteurs ont fait le déplacement. Mais cette manifestation, qui fêtait sa 13e édition du 13 au 20 avril, n’est qu’une étape du plan d’accélération des industries créatives et culturelles mis en place depuis plusieurs années par le gouvernement ivoirien.

Avec un pavillon à la Biennale de Venise, un musée d’art contemporain en construction à Grand-Bassam, la réhabilitation de sites archéologiques et de nouveaux partenariats public-privé, l’État confirme sa volonté d’utiliser l’attractivité de la culture pour son développement. Entretien avec Françoise Remarck, ministre de la Culture et de la Francophonie, qui ambitionne de suivre le modèle du Rwanda ainsi que celui de la Corée du Sud, deux pays invités d’honneur au Masa cette année.

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Jeune Afrique : La Coupe d’Afrique des nations (CAN) et le Masa se sont enchaînés. Quelles sont les retombées de ces événements d’envergure sur le plan du tourisme et du rayonnement culturel ?

Françoise Remarck : La Côte d’Ivoire a adopté une approche totalement inédite en profitant de cet espace autour du sport pour être encore mieux reconnue à travers ses différents atouts touristiques, culturels et gastronomiques. C’est ce tournant qui a été mis en œuvre à l’occasion de la CAN. On retient aussi l’expérience vécue par les millions de personnes venues visiter la Côte d’Ivoire, dans les cinq villes [Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké, San Pedro et Korhogo] où était organisée la manifestation. Sans oublier les deux milliards de téléspectateurs qui ont pu découvrir un peuple et sa culture, notamment lors des cérémonies d’ouverture et de clôture grâce au patrimoine et à nos chanteurs. Et puis, au-delà de la victoire des Éléphants, tout le monde garde en tête Jour de fête, coup de marteau [chanson de Tam Sir].

En ce qui concerne le Masa, la Côte d’Ivoire accompagne, structure et professionnalise le marché des arts du spectacle depuis 1993. Ces dernières années, l’État a décidé de renforcer de manière significative son accompagnement du secteur de la culture. Celle-ci est inscrite dans le plan national de développement 2021-2025 : elle fait partie des six piliers instaurés par le chef de l’État [Alassane Ouattara], aux côtés de l’agriculture, l’industrie textile, l’énergie, l’économie numérique et le tourisme, qui doivent être transformés pour contribuer de manière durable à la richesse de notre pays et à l’employabilité.

Quels sont les grands chantiers et la stratégie de développement des industries culturelles et créatives (ICC) d’ici à l’horizon de 2025 ?

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Parmi les défis, il y a celui des lieux culturels. Nous avons choisi de réhabiliter le centre culturel mythique de Bouaké, qui sera entièrement rénové en un centre d’incubation autour de la mode, de la musique et du cinéma, et avons mis à disposition des acteurs culturels. Ce chantier de deux ans permettra ensuite de former des personnes en sortie d’école, qui ont besoin d’avoir accès aux nouvelles technologies. La somme allouée est assez importante et donnera une impulsion au secteur de la culture.

Nous misons aussi beaucoup sur les accords de coopération. L’ambassade des États-Unis nous accompagne sur un projet de réhabilitation de huit mosquées de style soudanais inscrites au patrimoine de l’Unesco. Nous avons par ailleurs obtenu un financement de la Suisse avec une entreprise privée, pour les sites archéologiques de Côte d’Ivoire, afin de nous aider à construire un musée sur le site d’un barrage hydroélectrique où des vestiges ont été découverts.

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Comme en France, nous avons aussi la possibilité de conclure des partenariats public-privé. Nous en avons signé un avec la Fondation Société générale, qui nous permettra de réhabiliter un site classé dans la ville historique de Grand-Bassam, qui sera transformé en un musée d’art contemporain. Il s’agit d’un chantier-école, car nous avons souhaité que des étudiants participent et soient formés à la réhabilitation du bâtiment.

Avant la fin de 2024, nous aurons ce nouveau musée qui abritera la collection privée de la Société Générale, déjà assez conséquente en œuvres contemporaines ivoiriennes – mais pas seulement. Il s’agira d’un tiers-lieu qui accueillera des résidences d’artistes, des formations, des colloques. Derrière ce projet, l’ambition est aussi d’accompagner l’attractivité de Grand-Bassam dans ce vaste programme avec la mairie, pour faire de cette ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco un lieu d’activité touristique et culturelle. Je pourrais vous citer ce même genre d’initiatives avec le Rwanda et la Corée du Sud.

Justement, ces deux pays étaient invités d’honneur au Masa, ce qui n’est pas anodin en ce qui concerne le soft power. Représentent-ils un modèle à suivre ?

En trente ans, il n’y a jamais eu de pays invité d’honneur au Masa. Nous avons voulu, dans le cadre de la redynamisation de l’événement cette année, faire venir des pays qui ont mis la culture au sein de leur développement, et profiter du partage d’expérience. Le Rwanda utilise la culture dans son processus de reconstruction de la nation rwandaise, et les artistes y contribuent énormément.

Lors de la 13e édition du Masa, devant le palais de la Culture, à Abidjan, en avril 2024. © Issouf SANOGO/AFP.

Lors de la 13e édition du Masa, devant le palais de la Culture, à Abidjan, en avril 2024. © Issouf SANOGO/AFP.

Depuis une vingtaine d’années, la République de Corée du Sud a mis en place une politique de la culture extrêmement structurée, avec la musique – la K-pop –, le cinéma qui a été reconnu à Cannes, les séries, et, bien sûr, la gastronomie. Le modèle coréen ramène près de 1,5 million de touristes étrangers. Ces deux modèles nous ont semblé intéressants et les échanges vont se prolonger après le Masa. Séoul organise pour la première fois un sommet Corée-Afrique [du 4 au 5 juin 2024], parmi les sujets qui seront évoqués, il y aura bien sûr la culture.

Concrètement, quel est le plan national de financement pour l’accélération des ICC ?

La question revient toujours, parce que certains ont l’impression que l’État ne met pas d’argent dans la culture. Or, en pourcentages, le secteur de la culture n’est pas le dernier et représente 0,2 % du budget global de l’État. En France, il représente 0,6 %. L’ambition, c’est peut-être de passer à ce chiffre-là. D’une manière générale, nous avons mené une étude comparative sur les politiques culturelles au Bénin, au Sénégal et au Maroc : nous sommes toujours dans cette tranche qui va de 0,2 %, parfois même moins, à 1 %. Même s’il est difficile de comparer ce qui n’est pas comparable, puisque au niveau de la Côte d’Ivoire, il s’agit du ministère de la Culture et de la Francophonie, tandis que dans d’autres pays, on retrouvera le tourisme, l’artisanat, ou encore la jeunesse au sein de ce même ministère, comme c’est le cas au Rwanda.

L’Uemoa et la Cedeao ont pris conscience de l’importance que peut représenter le secteur de la culture

Françoise Remarckministre de la Culture et de la Francophonie

L’ambition reste de trouver des financements additionnels. Nous avons déjà une contribution significative à travers le mécanisme mis en place par l’Agence française de développement (AFD), le C2D (contrat de désendettement et de développement), que la France a conclu avec l’État ivoirien pour choisir les projets prioritaires. Les premiers C2D ont été octroyés à la sortie de la crise autour des infrastructures, de l’éducation et de la santé. Lors du troisième, une somme a été allouée au ministère de la Culture. Cette prise de conscience entre nos deux États permettra d’accompagner notre secteur.

L’agenda culturel ivoirien paraît chargé cette année…

Alors que le Masa vient de s’achever, nous lancerons en mai, comme chaque année, le Femua [Festival des musiques urbaines d’Anoumabo], qui invite la Guinée-Bissau pour cette édition. Il y aura le salon international du livre pratiquement au même moment. Et nous recevrons beaucoup de colloques, notamment sur le cinéma.

L’agenda culturel est en effet très chargé. D’autant que nous terminerons l’année avec un nouveau festival, l’Ecofest, organisé par l’Uemoa [Union économique et monétaire ouest-africaine] et la Cedeao [la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest], qui ont pris conscience de l’importance de ce que peut représenter le secteur de la culture en ce qui concerne la transmission de valeurs, d’échanges, d’identité et d’intégration. La Côte d’Ivoire a l’honneur de l’inaugurer, puis l’événement sera accueilli dans les autres pays de la Cedeao. Et en ce moment, nous disposons de notre propre pavillon ivoirien à la Biennale de Venise.

En quoi était-ce important pour la Côte d’Ivoire de représenter ses artistes dans cet événement d’envergure internationale ?

Il y a beaucoup de pavillons africains et nous nous en réjouissons. Mais l’État ivoirien a fait le choix de financer son propre pavillon, car nous souhaitions montrer que nous croyons en la puissance et en la diversité de l’art contemporain de notre pays. Cinq artistes ivoiriens, dont un Togolais vivant en Côte d’Ivoire, représentent ce pavillon. Parmi eux, Jems Koko Bi, Sadikou Oukpedjo, feu Franck Abd-Bakar Fanny [1970-2021], François-Xavier Gbré et Marie-Claire Messouma Manlanbien vont travailler, chacun dans leur domaine, autour de la migration. L’enjeu est assez facile à porter.

C’est une mise en avant de la puissance de nos artistes qui rayonnent déjà dans le monde entier. Il était important que cette reconnaissance soit matérialisée à travers un pavillon qui porte le nom de la Côte d’Ivoire dans un espace de référence en matière d’art contemporain. Nous leur rendons justice en leur donnant cette fierté de représenter leur pays.

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