Quand la Fifa suspendait le Maroc pour son soutien à l’Algérie
Il y a quelques jours, Algériens et Marocains se sont à nouveau déchirés autour d’un maillot de football. Il y a quelques décennies, pourtant, en pleine période des indépendances, le royaume était mis au ban par la Fifa… pour son indéfectible soutien à l’Algérie.
À l’instar de toute la culture occidentale, c’est dans les malles des colons, au XIXe siècle, que le ballon rond est arrivé dans l’empire chérifien. Il faut cependant attendre le protectorat, implanté en 1912 par le traité de Fès, pour voir le football percoler dans la société marocaine.
C’est très précisément en 1913 que Casablanca, la ville la plus francisée du royaume chérifien, voit naître son premier club de football, l’Union sportive marocaine (USM). Qui n’est d’ailleurs pas la première association sportive de la ville puisqu’en 1902 était fondé le Club athlétique marocain (CAM).
Quoi qu’il en soit, l’instigateur de l’USM est un Français, Louis Andrieux, qui, lorsqu’il fonde le club, a déjà une très longue carrière politique derrière lui. L’homme, en effet, collectionne les casquettes : à la fois préfet de police de Paris, fondateur et rédacteur en chef du journal Le Petit Parisien, ambassadeur de France en Espagne, et député du Rhône.
L’USM, Larbi Ben Barek et Marcel Cerdan
Il fera de l’USM un club omnisports d’où sortiront quelques célébrités. Faut-il évoquer l’icône classique du football marocain Larbi Ben Barek, surnommé la « perle noire », ou le champion du monde de boxe, Marcel Cerdan, surnommé le « bombardier marocain ».
L’USM devra ronger trois ans son frein avant de pouvoir jouer dans un championnat. Ce n’est qu’en 1916, au mitan de la Première Guerre mondiale, que la Ligue du Maroc connaît ses débuts. Le gouvernement français mène alors une politique de sport audacieuse, veut former des sportifs dotés de compétences athlétiques les rendant aptes pour le combat. Et les dépendances françaises ne sont pas oubliées.
Après la guerre, avec la création de nouveaux clubs, le championnat marocain va progressivement s’étoffer. Tétouan, Tanger, Rabat, Khouribga vont avoir leur équipe de foot.
En 1926, les clubs marocains font leur entrée dans le championnat de l’Union des ligues de football d’Afrique du Nord, créé six ans plus tôt. Les joueurs marocains peuvent se mesurer à leurs homologues algériens et tunisiens.
La dénomination de « championnat d’Afrique du Nord » est donc en partie trompeuse : la compétition se limite strictement à l’Afrique du Nord française (ANF), dans une logique encore coloniale. En 1930, la coupe d’Afrique du Nord est instituée. Deux ans plus tard, c’est la consécration pour l’USM, qui la rafle, devenant le premier club marocain à remporter une coupe africaine.
Création du Maghreb Association sportive de Fès (MAS)
L’éclatement du second conflit mondial semble donner un coup d’arrêt au développement du football marocain. Mais la vie footballistique reprend dès 1946 avec la création du Maghreb Association sportive de Fès (MAS). L’arrivée d’un nouveau club dans le paysage du ballon rond serait presque passée inaperçue si le contexte politique n’en avait décidé autrement.
À la même époque, en effet, les mouvements nationalistes s’intensifient dans tout le Maghreb. Au Maroc, deux ans plus tôt, « le 11 janvier 1944, les dirigeants de l’Istiqlal présentent au sultan leur manifeste qui demande l’abrogation du protectorat, et aussi, détail significatif, la participation du Maroc à la future Conférence de la paix de l’ONU à venir […]. Le manifeste est transmis le même jour au résident général, aux consulats d’Angleterre et des États-Unis, et on le fera également parvenir à Staline », détaille l’historien Yves Benot dans son ouvrage Massacres coloniaux, 1944-1950, la IVe République et la mise au pas des colonies françaises.
Pour la première fois, dans le royaume chérifien, football et politique s’abouchent. Pas de doute, avec le MAS, le ballon rond s’attèle au nationalisme et à l’indépendantisme. Dribbler rime désormais avec résister à l’occupation française.
Au demeurant, le promoteur du MAS n’est-il pas Hadj Driss Benzakour, qu’on retrouve dès le début aux côtés d’indépendantistes célèbres tels que Ahmed Balafrej ou Mekki Naciri au sein du Comité d’action marocaine (CAM), précurseur du parti de l’Istiqlal en 1934 ? Ses aspirations nationalistes se retrouvent d’ailleurs à la fois dans le nom, « Maghreb », et les couleurs vert et rouge choisies pour l’équipe.
La dream team du FLN
Le 2 mars 1956, le Maroc proclame son indépendance, puis le 7 avril pour la partie espagnole. Et les nouvelles instances du foot ne perdent pas de temps : le 26 janvier 1957, la Fédération royale marocaine de football (FRMF) entre en action, remplaçant du même coup la Ligue marocaine de football active sous le protectorat.
Puis survient cette fameuse année 1958. L’Algérie est en pleine guerre d’indépendance. La résistance à l’occupation française est personnifiée par le Front de libération nationale (FLN), dont le dessein est on ne peut plus clair. « Le FLN est né pour faire la guerre, car les partis politiques constitués étaient incapables d’infléchir la machine coloniale […]. Pour les militants du FLN, l’heure n’est plus à l’assimilation ni à la négociation. Il s’agit de briser le rapport de force existant pour mettre un terme à la “nuit coloniale” », rappelle Pierre Vermeren dans son Histoire de l’Algérie contemporaine.
Et le FLN joue sur tous les fronts. La propagande étant un instrument précieux, le parti indépendantiste organise une équipe de football pour porter le message « révolutionnaire » de l’indépendance.
Les joueurs sont recrutés là où ils évoluent : dans le championnat français, c’est-à-dire dans le camp ennemi. L’équipe nationale de France se trouve tout à coup privée de pépites comme Rachid Mekhloufi ou Mustapha Zitouni. Qui feront désormais partie du « onze de l’indépendance », surnom de l’équipe du FLN dont l’acte de naissance est daté du 13 avril 1958. Autant de stars que la France ne pourra pas aligner au Mondial qui se dispute cette année-là en Suède. Pour la petite histoire, la génération dorée tricolore décrochera une troisième place.
Le Maroc organise le tournoi Djamila Bouhired
De son côté, le FLN décide, en hommage à la résistante Djamila Bouhired, d’organiser un tournoi à son nom. Et le Maroc, qui accueille une base arrière du FLN dans sa région de l’Oriental, se propose de l’organiser.
Après la Tunisie, qui a déjà accueilli l’équipe algérienne au stade Chedly-Zouiten de Tunis, l’initiative marocaine est la goutte qui fait déborder le pichet français : Paris va dès lors exercer une forte pression sur la Fifa, l’exhortant à exclure tout pays accueillant l’équipe algérienne du FLN.
La Fifa, créée en 1904, a, elle aussi, subi les affres de la Seconde Guerre mondiale et, se trouvant en pleine renaissance, est sensible aux influences gouvernementales. Elle se plie donc à la demande française.
Non seulement le Maroc perd le match sur le score de 1-0 contre le FLN, mais son adhésion à l’organisation internationale – de même que celle de la Tunisie – est ajournée. Ce qui empêchera le royaume de participer à la deuxième édition de la CAN, disputée en 1959 dans l’éphémère République arabe unie regroupant l’Égypte et la Syrie.
Objectif de la FRMF : lever des fonds pour les combattants algériens
Malgré ces pressions, pourtant, la fédération marocaine signe et persiste. Elle continue d’organiser des rencontres de football à travers le pays. Objectif : lever des fonds pour les combattants algériens.
Le « onze de l’indépendance » est d’ailleurs soutenu par beaucoup d’autres nations et disputera plus de 80 rencontres sur trois continents, popularisant comme jamais auparavant la cause nationaliste algérienne.
Quant à la Tunisie et au Maroc, la suspension de leurs fédérations est levée le 27 avril 1959. Elles deviennent définitivement membres de la Fifa lors du congrès de Rome du 22 août 1960. Les sanctions, finalement, auront été de courte durée et, face au football politisé de la Fifa, c’est la politique du football du FLN qui a fini par l’emporter. Avec le soutien déterminant du Maroc, ce qui ne peut aujourd’hui susciter que surprise et nostalgie.
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