À Kinshasa, le plasticien Eddy Ekete met les arts à la portée de tous
Sculpteur, peintre, danseur… À travers ses « sorties » dans les rues de Kinshasa et l’organisation du festival international de performeurs KinAct, dont la 8e édition se tiendra en août prochain dans la capitale congolaise, Eddy Ekete fait découvrir les arts plastiques à un large public. Rencontre.
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Eddy Ekete est en pleine réflexion. Il travaille aux préparatifs de la 8e édition du festival KinAct (pour « Kinshasa en action »), prévue en août prochain. Ces « Rencontres internationales de performeurs », qu’il a cofondées en 2015, réunissent chaque année une soixantaine d’artistes performeurs locaux et étrangers dans la capitale congolaise.
Pendant deux semaines, tous se déploient dans les rues de différentes communes de « Kin » et donnent l’occasion à un très large public de profiter de leurs talents, sans frais ni protocole. L’objectif est de démocratiser l’art de la performance et de faire connaître des disciplines artistiques rarement accessibles au plus grand nombre.
Un musée du Sixième continent pour sensibiliser les Kinois
« À Kinshasa, nous n’avons pas de véritables lieux d’expression, à part peut-être la Halle de la Gombe de l’Institut français et le Centre Wallonie-Bruxelles [également à la Gombe], explique Eddy Ekete. Et dans un contexte socioéconomique précaire, les gens n’ont ni le temps ni les moyens de consommer l’art [plastique]. C’est à nous d’aller vers le public, de vulgariser l’art, qui nécessite toute une éducation, une intelligence spirituelle et mentale. »
Sans sponsor ni soutien de l’État, Eddy Ekete parvient à honorer chaque année le rendez-vous de KinAct avec les moyens du bord et l’apport d’autres artistes. « Les deux seules années où nous n’avons pas organisé le festival, c’était en 2016, compte tenu du contexte politique en RD Congo [une crise engendrée par le report sine die de la présidentielle], et en 2020, à cause de la pandémie de Covid-19. Si nous sommes résilients, c’est aussi parce que l’on veut rester libres », précise-t-il.
Cette année, les organisateurs du festival ont choisi d’aller en périphérie du centre-ville, dans le quartier de Mboka Ya Sika, situé dans la commune de Ngiri-Ngiri (dans le sud de Kinshasa), jusqu’aux frontières des communes urbano-rurales de Kimbanseke et Nsele (dans l’est de Kinshasa). Ils y passeront la moitié des jours prévus pour le festival, avant de regagner les quartiers chauds du centre de la bouillonnante capitale congolaise. Au menu : performances, ateliers pédagogiques pour les enfants et les adultes, concours de danse, projection de films…
À Mboka Ya Sika, Eddy Ekete veut développer un projet qui lui tient à cœur : un « musée du Sixième continent ». Il est à la recherche d’un financement pour matérialiser ce projet, dont l’objectif est de faire prendre conscience aux Congolais des méfaits des déchets jetés n’importe où, en particulier dans le fleuve Congo, et qui finissent par polluer l’Atlantique.
Dans une mégapole où la musique détient quasiment le monopole des arts, le plasticien kinois se sent investi d’une « mission spéciale » : rendre les arts plastiques populaires. « Ici, lorsqu’on parle d’un artiste, on voit directement un chanteur. Nous voulons aider les gens à découvrir les autres arts et à les différencier les uns des autres. »
Homme-canettes polyvalent et international
Diplômé de l’Académie des beaux-arts de Kinshasa (promotion 2002) et de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, en France (où il obtient son diplôme national supérieur d’expression plastique en 2008), Eddy Ekete, 46 ans, est un artiste congolais polyvalent. Sculpteur de talent, il excelle également dans la peinture, la danse et le théâtre. Et s’il partage désormais sa vie entre la RD Congo, la France et la Belgique, il s’est déjà produit dans de nombreuses villes d’Afrique et d’Europe, de N’Djamena à Paris, en passant par Brazzaville, Bamako et Kampala, Strasbourg, Nantes et Lyon, mais aussi Bruxelles, Anvers, Stuttgart, Munich, Bâle, Leipzig, Oslo…
Le plasticien et performeur est surnommé « l’homme-canettes », en référence aux œuvres qui l’ont rendu célèbre à Kinshasa comme au-delà des frontières de la RD Congo et qui continuent de capter l’attention du public à chaque « sortie » : des costumes confectionnés à partir de l’assemblage d’une centaine de canettes, qui peuvent peser jusqu’à 25 kilos chacun.
« Les canettes, c’est le déclenchement. L’inspiration m’est venue en 2008, à Strasbourg, en regardant un tas de canettes qui traînait dans la rue. Avec mon corps, je provoque du bruit “recyclé”. Ce bruit crée un rythme. Le rythme fait ma danse. Et la danse donne le rythme. Tout est en boucle », explique-t-il.
« Ce n’est pas seulement un costume, c’est aussi une sculpture que l’on peut porter et qui, une fois qu’on la porte, porte aussi. Je me suis inspiré des Nkisi [“statuettes fétiches”, en lingala] de la société traditionnelle de l’Afrique centrale, qui sont composées de clous. Dans chaque clou, il y avait de la salive humaine. Dans chaque canette, il y a aussi la salive du consommateur. Je peux dire que je possède l’ADN de plusieurs personnes. »
La meilleure façon de « coder » un message
Le 28 juillet 2023, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de la francophonie de Kinshasa, les golems de métal d’Eddy Ekete ont été mis à l’honneur devant les 80 000 spectateurs du stade des Martyrs, où ses cinq hommes-canettes – renommés « Sapékologues » –, symbolisaient « l’inventivité inouïe de Kinshasa » et le « Congo du futur ».
Outre les canettes, le plasticien utilise d’autres déchets pour concevoir ses costumes et performances, en particulier des bouteilles ou sacs en plastique – avec lesquels l’artiste se transforme en « méduse urbaine » –, des fils électriques, des tubes, etc.
Pour Eddy Ekete, qui puise son inspiration dans les observations anthropologiques et confronte toujours sa démarche artistique à l’environnement urbain, il n’y a pas de meilleure façon de « coder » un message que dans les performances.
Et une balade dans ses œuvres et performances met en lumière son jeu sur trois dimensions : l’artistique, la tradition et la sensibilisation. « Avant les colons, on assistait à des “sorties” [performances] de masques. Mais toutes ces œuvres sont allées en Europe et il s’est créé une espèce de rupture entre notre tradition et la population congolaise, explique le plasticien. À travers nos performances, nous voulons recréer le lien avec ce passé culturel. »
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RDC : Tshisekedi, acte II
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