La chanteuse Kareyce Fotso réunit les Camerounais à Paris
À l’Alhambra pour un concert unique, ce 26 avril, la guitariste et auteure-compositrice célèbre la diversité culturelle de son pays. Une sortie bien plus politique qu’il n’y paraît.
Elle est plus connue des mélomanes occidentaux que du grand public africain. Pour la première fois en quatorze années de carrière, Kareyce Fotso donne un concert non pas à l’initiative de sa maison de production habituelle, l’agence bruxelloise Contre-Jour, mais de Torpedo Productions. Guitariste, percussionniste, auteure-compositrice et chanteuse, elle veut faire de cet événement un moment de rencontre exceptionnel avec les diasporas du continent, mais aussi un espace de célébration de la diversité culturelle du Cameroun. Dans l’esprit de celle qui est à l’état civil Sidonie Thérèse Motio Fotso, cela passe notamment par une (re)découverte de son dernier album solo, Mokte, paru en 2014, qu’elle présente comme une parfaite allégorie du vivre-ensemble dans son pays.
Ewondo, ghomala’, fulfulde…
« Rassembler harmonieusement, sur un même album, des chansons dans huit de nos langues est la preuve que nous pouvons cohabiter sans heurts, en dépit de nos différences. » En ewondo, en ghomala’, en douala ou encore en fulfulde, les 12 titres évoquent en filigrane l’idée d’une fraternité entre citoyens et installent des traits d’union entre les différentes régions du « pays continent ». Un rappel essentiel en cette période régressive, où le tribalisme s’immisce sournoisement dans le quotidien des Camerounais. « Nous n’avons pas choisi d’avoir en partage le même territoire. Mais, parce que nous n’y pouvons rien, tâchons de cohabiter en bonne intelligence », plaide la quadra à l’allure de trentenaire.
Née dans une famille Bandjoun (Ouest), élevée dans le très cosmopolite quartier Mvog-Ada de Yaoundé (région Centre) par des « grands-mères » bétis, Kareyce Fotso se pose en « métisse culturelle » et invite chaque Camerounais à « s’identifier à l’autre, à se nourrir de son existence, à s’en inspirer pour se transformer et offrir la meilleure version de lui-même. » Elle sait aussi qu’on ne peut pas plaire à tout le monde. Certains avouent s’être détournés d’elle lorsqu’elle a pris le parti de chanter dans d’autres langues que la sienne. « C’est pathétique. Je ne fais pas de la musique à la carte », balaie-t-elle en opposant à ses détracteurs les nombreux messages de soutien qu’elle reçoit, à l’inverse, après chacun de ses passages à la télé.
Âme désormais frondeuse, elle fustige les politiques, qui, pour asseoir leur pouvoir, « alimentent les peurs irrationnelles des Camerounais, exacerbent et pervertissent la tribalité, aidés en cela par les réseaux sociaux, et persuadent certains que le tribalisme est inscrit dans leur ADN ». Heureusement, poursuit la chanteuse, ils sont contredits par le nombre sans cesse croissant de mariages interethniques et multiculturels.
L’univers musical de cette artiste multicasquettes lui aussi exhale la diversité et le sublime. Biberonnée au bikutsi – « qui [la] fait toujours vibrer bien [qu’elle] ne le chante pas » –, l’ex-choriste de Sally Nyolo déploie un large répertoire, entre folklore traditionnel, jazz, blues, soul, folk et afro-pop, le tout nourri des influences d’un André-Marie Tala, d’un Richard Bona ou encore d’une Koko Ateba. Kareyce Fotso confesse des goûts musicaux éclectiques, se laissant bercer par les accords harmonieux de la voix de Charlotte Dipanda, admirant la puissance vocale de Lady Ponce – laquelle « dilue » pourtant son bikutsi dans de l’afro-pop : « Sa voix vous transperce autant que celles des mamans chanteuses de bikutsi d’antan. »
Finaliste du prix Découverte RFI 2009
Kareyce Fotso prétend ignorer d’où lui vient son amour inconditionnel pour la musique. « Peut-être de mon défunt père dont je n’ai découvert les talents de joueur de banjo qu’après sa mort. » Elle qui a fait du théâtre à un haut niveau, ainsi que de la danse contemporaine et du cinéma, a, en revanche, la certitude d’avoir toujours voulu être chanteuse, malgré les réticences de sa mère qui la rêvait médecin. Mère et fille ont conclu un accord : de bons résultats scolaires, contre la liberté de chanter. Et Kareyce qui détestait l’école a rondement mené sa barque, décrochant un diplôme de biochimie à l’Université Yaoundé-I, par amour de la musique.
Elle en attrape le virus dès les années collège. Devient choriste dans de petites formations ; pragmatique, se met à la guitare – « pour ne pas dépendre d’un musicien qui réclamerait un certain droit… » – ; investit les cabarets de Yaoundé. En 2009, lauréate du concours Visa pour la création de l’Institut français à Paris, Kareyce obtient une bourse d’études dans l’Hexagone. Un moment fondateur pour la finaliste du prix Découverte RFI 2009. Kareyce Fotso signe en 2010 un contrat de production et de management avec l’agence bruxelloise Contre-Jour. Et sort son premier album à l’international, Kwegne.
Un parcours sans obstacle dans cet univers impitoyable , donc ? « Comme dans tous les domaines, on rencontre de belles personnes et aussi des gens malintentionnés. Certains m’ont aidée, d’autres m’ont mis des bâtons dans les roues, quelques-uns ont voulu abuser de moi », reconnaît celle dont beaucoup louent la simplicité, le talent, la générosité et la lucidité.
Les chansons de Kareyce Fotso s’inspirent du réel. Dans « Te Wa Vouan Ne Ma », une jeune femme qui a vendu tous ses biens pour permettre à son amoureux de voguer vers l’eldorado européen le supplie de ne pas l’oublier : elle mourrait de honte s’il ne revenait pas la chercher. « On parle des migrants, mais on oublie souvent ceux qui restent et attendent : la famille, les conjoints, les amis. » Le titre « Aya », lui, revient sur le destin tragique d’un ami d’enfance, lui aussi candidat à la migration, dont la famille apprend le décès et l’enterrement, en plein désert du Sahara, trois ans plus tard. Quant à « Mariage forcé », il raconte la belle histoire d’amour des parents de Kareyce Fotso. Adolescente, sa mère, promise en cinquième noce à un vieux dignitaire du village Bandjoun, s’enfuit à Yaoundé, la capitale, en compagnie de celui dont elle est amoureuse, le père de Kareyce.
Révéler « l’activiste sociale »
L’auteure-compositrice puise de la matière dans ses lectures aussi. Comme pour son dernier single, Heroes of Freedom, né de la découverte d’un ouvrage sur les luttes contre la colonisation au Cameroun, et plus généralement en Afrique. Ebranlée, la diplômée de BTS audiovisuel et photographie a alors l’idée d’une série documentaire en dix épisodes de seize minutes sur les héros africains, qu’elle publie au fur et à mesure sur sa chaîne YouTube. Parmi ces héros qu’elle veut contribuer à rendre immortels : Um Nyobé, Ernest Ouandié, Félix Moumié, Thomas Sankara, Steve Biko, mais également des femmes. « Il est important qu’on sache qu’elles aussi ont été en première ligne dans les luttes d’indépendance. » Elle regrette que ce projet n’ait suscité qu’un relatif intérêt, notamment au Cameroun : « Malheureusement, c’est le sort réservé aux chansons qui ne font pas remuer du popotin… »
Auteure de plusieurs singles et de quatre albums, dont un en duo avec le saxophoniste allemand Reiner Witzel, l’artiste dévoilera en partie le cinquième, « dédié aux femmes ». Un projet indispensable au moment où le Cameroun enregistre une centaine de féminicides depuis le début de l’année. Pour contrer cette violence, elle exhume le ngwa d’antan, une forme de groupe de paroles où les victimes de violences pouvaient exprimer leurs tourments en chantant et en dansant sans être jugées. Fotso prépare par ailleurs un film sur l’une des dernières matriarches du ngwa : « Plus qu’une danse, c’était tout un mouvement révolutionnaire. »
À quelques heures de sa montée sur scène, la mère de « plusieurs » enfants – elle refuse d’en préciser le nombre pour ne pas frustrer les non-utérins – tient à s’assurer qu’on devine « l’activiste sociale » qui sommeille en elle. « J’ai mon mot à dire sur la situation de notre pays. Je ne peux ignorer les souffrances autour de moi », insiste l’artiste qui jure vivre confortablement de sa musique, grâce notamment à ses concerts à travers le monde. « Je suis une artiste camerounaise vivant au Cameroun, qui gagne sa vie en Occident. »
Elle rappelle, pêle-mêle, la levée de fonds organisée après les éboulements de Mbankolo, l’opération « mode avion » qu’elle a lancée sur les réseaux sociaux en réaction aux coûts exorbitants de la téléphonie mobile. « Actuellement, je n’arrête pas », sourit-elle. Elle n’est pas peu fière d’avoir pu exposer sur la chaîne de télévision francophone TV5 les causes de l’immigration clandestine : un système verrouillé, qui n’a plus rien à proposer, en particulier aux jeunes. Elle voit dans la présidentielle de 2025 au Cameroun, l’occasion, pour eux, d’être les architectes de leur devenir. À condition qu’ils s’inscrivent sur les listes électorales. Kareyce Fotso réitèrera donc son appel à accomplir cette démarche. Un appel que d’aucuns jugent subversif, mais qui n’est à ses yeux qu’un acte citoyen. « Je prends des risques, évidemment. D’autres se taisent : ce serait l’assurance de voir leurs enfants grandir. Dans un tel environnement ? Ils crèveront. »
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