L’exposition « Arabofuturs » conjugue le futur au présent

Avec « Arabofuturs, science-fiction et nouveaux imaginaires », l’Institut du monde arabe (Paris) ouvre ses portes à des artistes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et au regard qu’ils portent sur l’avenir. Pas forcément rassurant.

L’affiche de l’exposition « Arabofuturs, science-fiction et nouveaux imaginaires » est une photographie de Skyseeef tirée de sa série « Culture is the Waves of the Future », 2022-2024. © Skyseeef

L’affiche de l’exposition « Arabofuturs, science-fiction et nouveaux imaginaires » est une photographie de Skyseeef tirée de sa série « Culture is the Waves of the Future », 2022-2024. © Skyseeef

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 3 mai 2024 Lecture : 4 minutes.

Interrogez un Ukrainien ou un Palestinien sur sa vision de l’avenir. Pas certain que ses réponses débordent d’optimisme. Mais au-delà de ces cas extrêmes, difficile ces derniers temps d’identifier des utopies positives où la paix et l’empathie domineraient le monde, où l’humain et la nature vivraient en harmonie, où l’idée de progrès ne serait pas uniquement dépendante de celle d’abondance matérielle. L’exposition que propose l’Institut du monde arabe (IMA, jusqu’au 27 novembre 2024) sous le titre Arabofuturs, science-fiction et nouveaux imaginaires ne vous rassurera en rien sur les avenirs qui nous attendent. Ce n’est néanmoins pas une raison pour ne pas y aller !

Arabofuturs, dont les commissaires d’exposition sont Élodie Bouffard et Nawel Dehina, réunit 18 artistes contemporains issus du monde arabe et de ses diasporas. Son parcours, relativement court, se décline en trois parties à partir « de la réalité la plus palpable de notre monde » en « allant explorer des futurs de plus en plus irréels et alternatifs ». Entre « futurs programmés » et « futurs hybrides », le visiteur est confronté à des approches et des regards divers sur ce que pourrait être demain.

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« Gulf futurism et mélancolies urbaines », « Avatars et monde amplifiés », « Subvertir la SF – Décoloniser le futur », « Hybridations et nouvelles humanités », « Archéo-fictions ou l’archéologie de la ruine », « Mondes organiques, mondes à venir », tels sont les titres des différentes étapes proposées. Dans leur note d’intention, les commissaires écrivent : « Dans le contexte de bouleversements auxquels le monde est confronté depuis un demi-siècle, la science-fiction est l’outil de prédilection pour questionner les sociétés actuelles et lire les failles de notre futur immédiat. Dans les années 2000, les artistes du monde arabe et de ses diasporas s’emparent de la fiction spéculative pour rêver les mondes de demain et dresser un constat sans détours sur l’évolution des sociétés. »

Sophia al-Maria, Meriem Bennani, Ayham Jabr…

Et en effet, le constat est sans détours. Triste et angoissant. Avec sa vidéo Black Friday l’artiste americano-qatarie Sophia al-Maria s’interroge sur l’ultra-capitalisme du Golfe, avec ses labyrinthes mortels de boutiques et ses empilements de magasins qui montent jusqu’au ciel, aussi vains que prétentieux. Avec son film Party on the Caps, la Marocaine Meriem Bennani évoque un monde où la téléportation a mis fin au règne du transport aérien… mais pas à celui des contrôles au frontières. Toujours à la pointe en matière de surveillance, les États-Unis réussissent à intercepter les migrants qui tentent de se téléporter en Occident et les parquent sur une île de l’Atlantique transformée en camp de réfugiés…

"In the Future They Ate From the Finest Porcelain", une vidéo numérique de Larissa Sansour & Søren Lind, 2016, est l’une des œuvres exposées à l’IMA. © Larissa Sansour

"In the Future They Ate From the Finest Porcelain", une vidéo numérique de Larissa Sansour & Søren Lind, 2016, est l’une des œuvres exposées à l’IMA. © Larissa Sansour

Avec cette même idée que demain ne serait pas vraiment meilleur qu’aujourd’hui, l’artiste syrien Ayham Jabr expose quelques images de sa série devenue virale Damascus Under Siege. Il s’agit de photomontages mêlant photographies de la capitale syrienne assiégée et dessins de science-fiction vintage. Les aspects les plus futuristes sont ici représentés par des images anciennes : les époques se mélangent, les conflits perdurent, les immeubles décatis mais toujours debout évoquent une forme de résilience résignée.

S’il y a parfois de l’humour et quelques étincelles d’espoir dans les œuvres des artistes exposés, l’émergence d’un monde meilleur ne semble pas programmée pour demain. À moins que l’on ne considère qu’un monde débarrassé des hommes ne soit un monde meilleur. La dernière salle de l’exposition, qui réunit les créations les plus abstraites, est sans doute la plus pessimiste – du moins en ce qui concerne l’humanité en général.

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Sortir de l’anthropocène

Dans un terrarium, le Franco-Marocain Hicham Berrada montre des circuits électroniques se décomposant lentement dans l’humus où de jeunes plantes plongent leurs racines (Terre future, après la pluie). « Alors que des sociétés humaines ont pu léguer à l’humanité temples et vestiges antiques, les sociétés modernes ne laisseront que des cartes mères rouillées, symbole de l’obsolescence et de l’inconsistance des réalisations du monde actuel », écrivent encore les commissaires.

Sans doute le dérèglement climatique et l’urgence écologique n’y sont-ils pas pour rien : les mondes futurs s’annoncent sans humains. Avec Mycelium Running, l’artiste saoudienne Zahrah al-Ghamdi propose une prolifération d’organismes sphériques – fleurs ? champignons ? méduses ? – à l’aspect végétal mais réalisés avec des boules de cuir sculptées qui semblent promettre l’avènement de nouvelles espèces qui recolonisent des espaces désertés par l’homme tel le mycélium, racine invisible des champignons. La référence au champignon se retrouve d’ailleurs dans les œuvres de la Libanaise Souraya Haddad Credoz qui présente de superbes céramiques – réalisations cette fois mi-végétales, mi-minérales, bourgeonnantes telles des cellules se scindant pour donner naissance à une nouvelle forme de vie.

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Une vie après l’humanité ? Les amateurs de science-fiction et de récits post-apocalyptiques penseront sans doute aux innombrables récits imaginaires engendrées par la peur de la catastrophe atomique – un autre champignon… Avec cette différence qu’aujourd’hui, la catastrophe annoncée est surtout d’ordre écologique – même si les responsables sont toujours les mêmes : nous.

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