En Égypte, le soutien à la Palestine inquiète le pouvoir
Allié de Tel-Aviv et Washington, le président Abdel Fattah al-Sissi marche sur une ligne de crête alors qu’il tente d’apparaître en interne comme le défenseur de la cause palestinienne. Tout en réprimant les rassemblements contre l’offensive israélienne dans la bande de Gaza.
La répression de la mobilisation pro-palestinienne en Égypte est montée d’un cran dans l’après-midi du 23 avril. Ce jour-là, la police égyptienne a arrêté seize manifestants rassemblés devant les bureaux de l’agence onusienne UN Women, au sud du Caire.
Pancartes à la main, avocates, activistes et journalistes, principalement des femmes, dénonçaient pacifiquement les crimes d’Israël au 200e jour de son offensive militaire sur la bande de Gaza. Elles témoignaient également de leur solidarité avec les civils soudanais victimes de la guerre. Parmi les personnes interpellées et accusées d’avoir participé à une manifestation illégale – elles sont, de fait, interdites depuis 2014 – se trouve notamment l’avocate Mahienour el-Masry, figure de proue des rassemblements pour Gaza organisés depuis plus de six mois.
Leur libération sous caution le 24 avril est loin d’apaiser les choses. L’affaire reste entre les mains du procureur de la Sûreté de l’État, en charge du contre-terrorisme et impliqué dans la répression des mouvements de contestations, et menace la poursuite de la mobilisation pro-palestinienne.
Le risque d’un embrasement
Cette escalade intervient au moment où l’armée israélienne se prépare à une invasion terrestre dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza, à la frontière égyptienne. « C’est un moment particulier, il y a de plus en plus de colère et de tensions dans le pays, » indique une source en lien avec les agences sécuritaires égyptiennes, notamment la Sécurité d’État, la police politique du ministère de l’Intérieur. « Les services de sécurité reçoivent des rapports les alertant sur des possibles rassemblements devant des ambassades étrangères ou des sociétés internationales, » poursuit cette source.
Le 3 avril, au lendemain de la prestation de serment du président al-Sissi pour un troisième mandant dans la nouvelle capitale administrative, symbole de son pouvoir, érigée à l’est du Caire, une autre manifestation de soutien à la Palestine débouchait sur des arrestations. Dans les rues du Caire, les chaînes arabes d’information en continu ont remplacé les matchs de foot sur les écrans des cafés et des échoppes. Quand ce n’est pas pour suivre l’évolution des ravages dans l’enclave voisine, une grande partie de la population a désormais les yeux rivés sur les campements dans certaines universités américaines, comme Harvard et Columbia, où étudiants et professeurs réclament un cessez-le-feu. Un tel contexte accroît la nervosité des services de sécurité égyptiens qui contiendraient difficilement des manifestations d’ampleur.
Car les raisons d’un tel embrasement ne manquent pas. Alors que le pays traverse la pire crise économique de son histoire, les Égyptiens font face à une inflation interminable et à des coupures de courant qui ont repris de plus belle après le mois de ramadan, mi-avril. « Le pouvoir ne veut surtout pas laisser le mouvement s’installer car il peut à tout moment se retourner contre le président Abdel Fattah al-Sissi », souligne, sous couvert de l’anonymat, un analyste politique de la presse égyptienne.
Les signes de ce scénario étaient apparus dès le début de l’offensive israélienne sur Gaza, en octobre 2023. Alors que des manifestations massives s’étaient formées spontanément au Caire, c’était en scandant « pain, liberté, justice sociale », un slogan hérité de la révolution de 2011, que la foule était parvenue à briser un cordon de police pour pénétrer brièvement sur la très symbolique place Tahrir, au cœur de la capitale. Nombre de manifestants arrêtés ce jour se trouvent toujours derrière les barreaux.
Faire oublier la coopération avec Israël
Face à cette mobilisation d’une longueur inédite depuis sa prise de pouvoir il y a dix ans, le président Sissi maintient sa ligne ultra-répressive. Au début des années 2000, confronté aux manifestations suscitées par la seconde intifada en Palestine, l’ex-président déchu Hosni Moubarak avait lui opté pour un relatif laissez-faire. « À cette époque, Moubarak jouissait du soutien d’une partie de la population, au moins des milieux d’affaires, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, à l’exception d’un cercle militaire très restreint », relève l’expert politique.
Afin d’éviter que le vent ne tourne en sa défaveur, le président égyptien tente par tous les moyens d’apparaître aux yeux de sa population comme le champion de la cause palestinienne. Objectif pour cet allié des États-Unis au Moyen-Orient : faire oublier la coopération sécuritaire avec Israël dans le Sinaï et l’accord gazier qui lie les deux pays. Le soutien à la Palestine avait ainsi été largement mis en avant lors de la campagne pour sa réélection en décembre 2023.
Dans le quartier huppé du Nouveau Caire, à l’est de la mégapole égyptienne, l’Université américaine offre un îlot rare de liberté d’expression. Les étudiants de cet établissement privé s’activent depuis six mois pour faire vivre sur leur campus le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions – contre la colonisation par Israël des Territoires palestiniens occupés en 1967), en dépit des pressions sécuritaires à l’encontre de l’administration. « Notre université jouit d’une longue histoire de mobilisations, c’est un haut-lieu de liberté politique, explique Sana Fayek, à la tête du syndicat étudiant. Nous voulons utiliser cette liberté pour encourager d’autres universités à nous suivre. »
Mais les obstacles sont immenses dans les établissements publics d’enseignement supérieur. À l’Université du Caire, le plus prestigieux d’entre eux, un séminaire interne sur la situation à Gaza a récemment été interdit par les agences de sécurité. « Du jamais vu », s’indigne un professeur.
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