Benoît Le Bars : « Les hommes d’affaires africains doivent être respectés »
Le traité instituant l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des affaires a été signé le 17 octobre 1993, à Port-Louis. L’espace de droit uniforme Ohada couvre désormais 17 pays africains. « Jeune Afrique » a rencontré Benoît Le Bars, associé du cabinet Lazareff-Le Bars qui co-organise les Rencontres internationales du droit des affaires en Afrique.
La convention Ohada a vingt ans cette année. Quel bilan en tirez-vous ?
Le droit de l’Ohada a introduit trois grandes ruptures pour les utilisateurs, qu’ils soient continentaux ou internationaux.
C’est d’abord un droit lisible. L’avantage de l’uniformité du droit est qu’il est compréhensible et accessible de l’extérieur pour un ensemble de pays donnés. Aujourd’hui, avec l’entrée de la RD Congo, le droit Ohada concerne un peu plus de 280 millions de personnes, plus que l’Europe, presque autant de personnes qu’aux États-Unis.
Deuxièmement, le cadre Ohada introduit plus de sécurité. Les Actes uniformes couvrent les principaux secteurs du droit des affaires, mais également des domaines plus sensibles comme le recouvrement, la faillite et les sûretés qui sont très utiles pour le développement des entreprises à l’international.
L’Ohada permet une évolution contrôlée du droit
Enfin, l’Ohada dispose d’un système de contrôle et d’une évolution organisée du droit, avec un système juridictionnel de contrôle sous la gouvernance de la CCJA [Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada] qui joue le rôle d’une cour suprême, comme aux États-Unis. Cela permet, comme dans le cadre des états américains, d’avoir des interprétations qui ont une portée juridique dans l’ensemble de l’espace de droit unifié.
Le droit Ohada a institué un système d’évolution et de réforme des Actes uniformes en fonction des besoins des États, mais aussi des utilisateurs. Cela permet de faire évoluer ces Actes dans le temps. C’est ce qui se passe actuellement avec l’Acte sur le droit des sociétés, qui devrait aboutir dans les prochains mois, et celui sur l’arbitrage qui est très avancé.
Revenons un instant sur la CCJA. C’est une institution probablement unique en Afrique. Le pouvoir dont elle dispose est très important. Ses décisions ne sont pratiquement susceptibles d’aucun recours dans les systèmes juridiques nationaux.
Il faut bien comprendre ce que fait la CCJA. Elle sert de Cour de cassation et de Cour suprême pour toutes les juridictions des différents pays, comme cela existe dans tous les systèmes de droit uniforme. Elle interprète les lois et peut aussi délivrer des avis et des recommandations. Elle est aussi un centre d’arbitrage. Mais ce n’est pas la cour qui rend les sentences, elle administre des procédures arbitrales qui sont jugées par des arbitres nommés par les parties au litige ou par la Cour elle-même, quand les parties ne désignent pas d’arbitre.
C’est à peu près le même système que la Chambre de commerce internationale. La mécanique est la même, simplement la portée est plus large. Près de 150 pays adhèrent à la convention fondatrice de la CCI de 1924.
Pourtant la convention Ohada stipule très clairement que les procédures arbitrales doivent être privilégiées dans l’espace de droit uniforme. Cela ne risque-t-il pas, encore une fois, de se faire au détriment des systèmes juridiques nationaux ?
Je crois que c’est un mauvais raisonnement. L’acte uniforme arbitrage qui est administré par la CCJA n’accapare pas les finances de l’Ohada. Il faut avoir des perspectives plus larges. Ohada traite une vingtaine d’affaires par an, le contentieux international africain doit être cinq à dix fois plus important. Il y a tout ce qui est traité par le Cirdi [Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements], par l’arbitrage ad-hoc, par la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris, par la Cour d’arbitrage internationale de Londres.
Au niveau international, la CCJA fait très peu par rapport aux autres cours.
Pourtant les ressources allouées au renforcement du cadre juridique Ohada auraient pu tout aussi bien servir à moderniser les juridictions nationales.
Je ne crois pas que cette évolution se fasse au détriment d’autres préoccupations de développement régional. Et ça ne se fait certainement pas au détriment des juges nationaux, parce que ce contentieux est international, intracommunautaire ou extra-communautaire. Il est souvent très difficile à appréhender pour un juge national qui n’a pas toujours une pratique du contentieux international dans laquelle il y a des problématiques très spécifiques pour lesquelles il faut être formé, avoir l’habitude etc.
Je crois que c’est plus adapté et ça va dans le sens d’un meilleur service aux entrepreneurs africains. Il faut aussi tenir compte du fait qu’à l’intérieur de la zone Ohada se sont créées d’autre Cours arbitrales, il y en a deux au Cameroun, il y en au Mali, au Sénégal, etc. Il y a également des initiatives privées, avec des professionnels de l’arbitrage africains qui ont lancé des centres d’arbitrage qui sont en train d’acquérir une notoriété. Le Centre d’arbitrage du Gicam [le patronat camerounais] au Cameroun, par exemple, est déjà très respecté. Ça prend du temps. C’est un droit nouveau, en croissance.
Ces Cours ont-elles les moyens de se faire une place face aux cours internationales, plus réputées ?
L’indépendance est la base de l’arbitrage. Ce qui fera la grandeur des institutions arbitrales africaines est leur capacité à faire respecter cet objectif d’impartialité et d’indépendance. Et je pense qu’elles en sont capables parce qu’il y a de très bons arbitres africains, éthiques, bien formés. C’est un objectif qu’on peut tout à fait atteindre.
Cette responsabilité d’indépendance est-elle respectée dans les faits ?
Toutes les cours arbitrales ont intérêt à défendre l’indépendance des arbitres et de la procédure d’arbitrage. Et, lorsqu’on regarde les statistiques, il y a très peu de sentences qui sont annulées au niveau international. La CCI a fait une étude récemment sur les actions menées contre les sentences. Les cours arbitrales de la CCI rendent près de 1 800 sentences chaque année. Au cours de la dernière décennie, il y a eu quatre actions en responsabilité contre des arbitres, c’est en dessous de 0,5%. C’est infime.
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Votre cabinet [Lazareff-Le Bars] organise depuis deux ans les Rencontres internationales du droit des affaires en Afrique. L’édition 2013 a eu lieu à Maurice. Pourquoi ce choix ?
Maurice a créé un centre d’arbitrage il y a quelques années, s’est doté d’une loi d’arbitrage moderne, calquée sur les grandes lois d’arbitrage international. Cela peut permettre d’avoir un pays qui pourrait être considéré comme neutre par d’autres pays d’Afrique, pour régler les différends, tout en restant un pays d’Afrique. Cette neutralité et cette technicité juridique, le bilinguisme etc. sont des atouts. Les professionnels de toute l’Afrique se retrouvent à Maurice.
Pourtant ce pays a multiplié les Traités bilatéraux d’investissements et les conventions sur la double imposition avec ses partenaires africains. N’existe-t-il pas un risque que Maurice attire les investissements au détriment des autres pays africains ?
C’est une vraie-fausse critique. Que les investisseurs concernés aient une problématique fiscale à l’échelle internationale est vrai. Ils ont des obligations comptables et fiscales à respecter. Mais si on fait un parallèle avec l’Europe d’il y a quelques années, la Suisse et le Luxembourg étaient des plateformes qui permettaient aux investisseurs de redistribuer ensuite les fonds dans les projets à travers le continent. Je crois qu’avec Maurice, c’est exactement la même chose.
Maurice pourrait devenir la Suisse de l’Afrique
Aujourd’hui des fonds arrivent de Chine, d’Inde, d’Europe et des États-Unis via Maurice. Mais les investissements sont réalisés dans les pays africains ! Cela bénéficie à l’ensemble du continent. Je crois qu’il est bien qu’il existe un cadre tel que celui proposé par Maurice et qu’il y ait un pays avec la capacité de devenir en quelque sorte la Suisse africaine.
Oui mais les réalités du continent africain ne sont pas celles de l’Europe…
Certes, mais ce qui est fondamental dans le droit des affaires en Afrique, c’est d’appréhender la dimension culturelle des projets. Il faut prendre en compte la culture, l’histoire, les systèmes juridiques, les conventions internationales. Notre projet chez Lazareff-Le Bars, c’est de faire comprendre aux investisseurs que, quand ils veulent s’installer dans un pays, ils doivent apprendre à le connaître. Et dans ce cadre, Maurice dont vous venez de parler peut jouer un rôle de passeur.
Maurice a su permettre la rencontre des cultures de différentes populations travaillant en Afrique – Indiens, Chinois, Européens et Africains. La capacité à travailler ensemble, qui dure depuis très longtemps a été intégrée à la culture de l’Île, ce qui fait que les professionnels de ce pays ont la capacité de parler avec les autres Afriques et jouent en quelque sorte un rôle de passeur, de facilitateur. La dimension culturelle ne doit pas être gommée, ni en Afrique, ni ailleurs.
Mais en Afrique, il est important que les hommes d’affaires africains se sentent respectés. Pendant trop longtemps ils ne l’ont pas été et, quand on voit ce qu’ils sont capables de faire aujourd’hui, ils méritent de l’être davantage.
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