Au Maghreb, féministes united ? (1/2)

Au Maroc, la réforme du code de la famille suscite beaucoup d’attentes et de rejets et mobilise les mouvements féministes. Des groupes qui se heurtent à beaucoup de réactions d’hostilité, particulièrement violentes sur les réseaux, et ce dans les trois pays du Maghreb. Dans ce premier volet, zoom sur le Maroc et l’Algérie.

Des manifestantes dénoncent les violences faites aux femmes et demandent la défense de leurs droits, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, à Rabat, Maroc, le 8 mars 2023. © Abu Adem Muhammed / Anadolu Agency via AFP

Des manifestantes dénoncent les violences faites aux femmes et demandent la défense de leurs droits, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, à Rabat, Maroc, le 8 mars 2023. © Abu Adem Muhammed / Anadolu Agency via AFP

Publié le 30 avril 2024 Lecture : 5 minutes.

Au Maroc, alors qu’une seconde réforme du code de la famille (Moudawana) est en cours, les féministes font face à une vague de haine sans précédent sur les réseaux sociaux. Depuis le 28 mars, une liste des « ennemis de l’islam » ciblant vingt-deux militantes féministes ou personnalités engagées pour le droit des femmes circulent sur la toile.

Parmi les personnes ciblées : Ghizlane Mamouni (avocate et fondatrice du collectif Kif Mama Kif Baba), Hajar Raissouni (journaliste), Leïla Slimani (auteure, journaliste et cofondatrice du collectif Moroccan Outlaws), Nabil Ayouch (cinéaste), Rim Akrache (psychologue) ou encore Ibtissam Betty Lachgar (cofondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles), mais également des journalistes de Maroc World News.

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Raids numériques

Toutes et tous ont subi des raids numériques d’une violence inouïe, relevant de l’apologie du terrorisme, des menaces de mort et de l’incitation au harcèlement. Exemple : « Dis à tes collègues que vous serez tous tués au bureau (de Maroc World News) à Rabat, comme Charlie Hebdo en 2015, je le jure devant Dieu. Vous encouragez les LGBT, les relations hors mariage et l’athéisme, vous méritez de mourir. » Ou encore : « Je vais tuer ton enfant. Ton enfant en premier et ensuite toi. Car je veux te voir souffrir avant de mourir. » Le nom des enfants, l’adresse de leurs écoles et même des photos de parents ont été diffusées. Depuis, toutes les féministes visées ont déposé plainte devant le parquet général de Casablanca. Mais ces menaces les contraignent à redoubler de vigilance et à se protéger par leurs propres moyens.

Évidemment, le timing n’est pas anodin. Ces menaces ont déferlé pile au moment où le projet de réforme de la Moudawana est entré dans sa phase finale. Après six mois de consultations participatives entre le ministère de la Justice et la société civile, les oulémas (chefs religieux), les associations féministes ainsi que les partis politiques, une première mouture du texte a été remise par le gouvernement de Aziz Akhannouch au roi Mohammed VI, le 30 mars dernier.

En 2000 déjà, entre 200 000 et 500 000 islamistes défilaient dans les rues contre la première réforme de la Moudawana, actée en 2004. Vingt-quatre ans plus tard, les manifestations politiques dans l’espace public ont cédé la place aux raids numériques, bien plus violents, radicaux et pernicieux. En 1990, la féministe américaine Susan Faludi a donné un nom à ce phénomène : le « backlash », ou plus simplement le retour de bâton masculiniste et réactionnaire face à chaque avancée concernant les droits des femmes ou ceux des minorités. Au Maghreb, ce fameux « backlash » n’est pas l’apanage du royaume, puisqu’il a également lieu en Algérie et en Tunisie, et s’inscrit dans une dynamique répressive plus globale.

Les femmes dans le Hirak

Contacté par Jeune Afrique, un collectif de féministes algériennes créé en 2019, préférant rester anonyme à cause de la répression politique, cite l’exemple du Hirak : « Au départ, les féministes sont descendues dans la rue pour s’opposer elles aussi au cinquième mandat de Abdelaziz Bouteflika, manifester leur ras-le-bol vis-à-vis du système ; ensuite elles ont commencé à scander des slogans féministes, puis à créer un carré féministe (une tactique de manifestation de rue conçue par le collectif des Femmes algériennes pour un changement vers l’égalité, qui appelait notamment à l’abrogation du code de la famille). Nous avons été réprimandées par tout le monde, hommes et femmes. On nous a même dit : taisez-vous, ce n’est pas le moment de parler de ça. Les islamistes, les personnes proches du mouvement indépendantiste de Kabylie ont aussi scandé leurs propres slogans, mais seules les féministes ont été victimes d’appels à la violence. Quant aux femmes qui ont osé coller des stickers, elles ont été violemment interpellées. » Parmi les slogans : « Pas d’Algérie libre et démocratique sans liberté des femmes. »

Il y a toujours des collectifs féministes, mais il y a beaucoup de répression et d’oppression. Dès qu’on essaye d’organiser quelque chose, c’est les menaces, la police. Nous sommes sous surveillance constante

Une jeune féministe algéroise
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Le 29 mars 2019, des militantes féministes avaient été prises à partie par des manifestants place Audin, à Alger, insultées et bousculées tandis que leurs banderoles réclamant la parité avaient été déchirées. À l’époque, l’écrivaine et féministe Wassyla Tamzali, ex-avocate et ex-directrice du droit des femmes à l’Unesco Paris, avait écrit sur sa page Facebook : « Ne vous trompez pas, le combat des femmes, c’est pour libérer les hommes, et pas seulement du 5e mandat, mais du plus vieux des mandats. Nous avons été réduites à être les Cassandre de notre pays. Il est urgent que ça change car nous aurons le destin de Troie, et aux ruines de 1962 s’ajouteront celles de février 2019. »

Depuis l’avènement du président Abdelmadjid Tebboune au pouvoir, en 2019, bon nombre d’associations – dont des groupes féministes très anciens – ont été dissoutes, et les rassemblements sont interdits. En 2023, le Forum féministe a même été annulé. « Il y a toujours des collectifs féministes, mais il y a beaucoup de répression et d’oppression. Dès qu’on essaye d’organiser quelque chose, c’est les menaces, la police. Nous sommes sous surveillance constante. Cette répression touche tout le monde, mais une femme n’est jamais soutenue », témoigne une jeune féministe algéroise. Pourtant, les féministes – toutes générations confondues – existent bel et bien et multiplient les initiatives.

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En plein Hirak, en février 2019, Maya Ouabadi, fondatrice des Éditions Motifs, et Saadia Gacem, doctorante en anthropologie du droit, ont ainsi lancé La Place, une revue féministe dont le titre est un hommage au roman éponyme d’Annie Ernaux. À défaut d’espace public, les féministes ont pris d’assaut les réseaux sociaux, qui leur permettent de promouvoir les idées et actions féministes en Algérie. C’est grâce à la page Facebook Le Journal féministe algérien que la médiatisation du féminicide d’Amina Merabet, une jeune femme de 34 ans brûlée vive par un homme à Constantine, a donné lieu à un sit-in dans la vie réelle, qui a transformé cette simple page en média alternatif. Selon le collectif Féminicides Algérie, 261 femmes ont été victimes de féminicides entre 2019 et 2023, soit une par semaine.

Plus récemment, le 27 avril dernier, la chaîne Youtube Djilou Algeria a diffusé en live un débat avec quatre féministes, intitulé « Le code de la famille, code de l’infamie ». Pour autant, estime une féministe algérienne, « nous sommes une petite communauté, qui certes est en train de s’agrandir, mais nous n’avons pas le soutien de la société, ni celui de beaucoup d’hommes. Il y a peu de temps, un jeune tiktokeur suivi par 300 000 personnes a lancé un débat sur la thématique suivante : doit-on tuer une femme si on découvre qu’elle n’est plus vierge ou qu’elle est enceinte hors-mariage, et il n’y a eu aucune réaction. Par ailleurs, les responsables politiques et médiatiques ne font rien pour appuyer nos combats. »

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 © Montage JA : Bruno LEVY pour JA

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