Cacao : les rois se partagent la fève

Le Ghana, deuxième exportateur mondial de cacao, doit sa réussite à une semi-libéralisation de sa production. Un modèle qui force l’admiration de la Côte d’Ivoire… son principal concurrent.

L’État ghanéen a su garder le contrôle des exportations de sa production de cacao. © AFP

L’État ghanéen a su garder le contrôle des exportations de sa production de cacao. © AFP

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Publié le 17 octobre 2013 Lecture : 5 minutes.

Entre les filières cacaoyères ghanéenne et ivoirienne, « il n’y a en définitive qu’une libéralisation d’écart », estime Edward George, directeur de la recherche sur les matières premières agricoles chez Ecobank. En l’occurrence, les institutions de Bretton Woods, Banque mondiale en tête, ont engagé à la fin des années 1990 des réformes aux contenus très différents, voire opposés, chez les deux principaux pays producteurs de la planète, dont les filières étaient alors gérées par des organismes étatiques, la Caisse de stabilisation (Caistab) en Côte d’Ivoire et le Cocoa Board (Cocobod) au Ghana.

Libéralisation(s)

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À la même injonction, les deux gouvernements ont répondu chacun à sa manière. « Accra a concédé quelques changements mais, au final, le Cocobod a conservé son rôle prépondérant, tandis qu’Abidjan a accepté de libéraliser et a liquidé la Caistab », résume l’analyste de la banque panafricaine. En un peu plus d’une décennie, le Ghana a doublé sa production, pendant que la Côte d’Ivoire, ravagée par la crise politique, a vu ses volumes progresser lentement. Rien qu’entre 2002 et 2004, après deux années d’une libéralisation brutale, au moment où le pays s’enflammait et que les cours internationaux s’effondraient, les paysans ivoiriens ont ainsi perdu plus de 50 % de leurs revenus.

En plus de la disparition d’un prix d’achat minimum garanti, de l’abandon des services phytosanitaires ainsi que des subventions aux intrants, consécutifs au désengagement des pouvoirs publics, ils sont également soumis à un taux d’imposition pouvant grimper jusqu’à 45 % du prix à l’export, devenant même en 2007, selon une enquête de la Banque mondiale, « les producteurs de cacao les plus taxés au monde ». Dans le même temps, les nouveaux organismes de régulation mis en place servent surtout ceux qui sont placés à leur tête. L’opacité règne, et les détournements sont si flagrants que le gouvernement de l’époque n’a d’autre choix que d’emprisonner leurs dirigeants.

Ghana Cacao infoDe l’autre côté de la frontière, « la semi-libéralisation », selon l’expression de l’agronome François Ruf, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), est beaucoup moins douloureuse pour les planteurs. Toujours en place, le Cocobod a concédé au secteur privé l’achat des fèves auprès des paysans, mais au prix d’achat qu’il continue lui-même de fixer au début de chaque récolte. Il garde également le contrôle total des exportations et de la commercialisation. « La libéralisation au Ghana ne fait que rejoindre la situation que connaissait la Côte d’Ivoire avant la libéralisation », reprend François Ruf. Pour le plus grand bénéfice des producteurs ghanéens, qui, en plus de voir leur pouvoir d’achat augmenter, profitent également d’allègements fiscaux.

Rendements

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Salué pour sa bonne gestion, le Cocobod est courtisé par les plus grandes banques internationales, qui n’hésitent pas à lui prêter l’argent dont il a besoin pour acheter la récolte par anticipation. « C’est aujourd’hui l’une des entreprises africaines les plus appréciées des investisseurs, avec la Sonangol, en Angola », confirme Edward George. Grâce à ses moyens financiers, le Cocobod investit dans les services apportés aux paysans, comme la subvention des engrais et pesticides. Surtout, depuis dix ans, il multiplie les programmes de recherches. Les rendements s’améliorent tout comme la qualité des fèves, permettant au Cocobod de proposer des prix d’achat à ses paysans parfois supérieurs de 25 % à ceux en cours en Côte d’Ivoire. Seule l’étape de transformation n’a pas connu d’amélioration notable, les volumes restant compris entre 25 % et 30 % dans les deux pays. « C’est un problème lié aux coûts énergétiques qui font exploser les prix du cacao africain », précise Edward George.

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Au final, tous les observateurs s’accordent pour reconnaître que la libéralisation partielle a permis au cacao de redevenir une source stable de revenus pour les planteurs ghanéens. « Les Ivoiriens sont très admiratifs du modèle appliqué chez leurs voisins et n’ont toujours pas digéré la disparition du système administré », constate un négociant présent dans les deux pays.

Soutien aux paysans

La réforme, inaugurée par la présidence ivoirienne lors de la campagne 2012-2013, replace les pouvoirs publics au cœur du système : l’État, par l’intermédiaire du Conseil Café Cacao (CCC), le nouvel organisme paritaire de gestion de la filière, a mis en place un système de vente anticipée par enchères lui permettant de définir un tarif minimum garanti aux planteurs

Il s’est également engagé à plafonner la fiscalité à 22 % et à relancer les programmes de soutien aux paysans et de rénovation végétale des plantations. « Malgré l’absence totale de transparence, le CCC agit en profondeur pour redonner confiance aux planteurs », observe le même négociant. De quoi relancer la concurrence entre deux pays qui fournissent ensemble près de 60 % de la production cacaoyère mondiale.

Questions à Amit Agrawal : « Il faut aider les producteurs »
Vice-président d’Olam Ghana et Afrique de l’Ouest

Présent au Ghana depuis vingt ans, le leader singapourien de l’agroalimentaire a été l’un des premiers à être autorisé à acheter des fèves. Vice-président d’Olam Ghana et Afrique de l’Ouest

Jeune Afrique : Quels sont les points forts de la filière cacao ghanéenne ?

Amit Agrawal : Le pays a confirmé qu’il était bien l’un des principaux producteurs de cacao au monde. Depuis dix ans, il a réussi à améliorer de façon constante ses volumes tout en garantissant de bons prix aux producteurs. Il a surtout poursuivi ses efforts en matière de recherche et développement, ce qui lui permet aujourd’hui de proposer sur le marché des fèves de très bonne qualité. En tant qu’opérateur, nous travaillons également sur un certain nombre d’initiatives pour améliorer les rendements dans les plantations et soutenir ainsi le Cocobod dans ses activités.

Pourriez-vous comparer les secteurs cacaoyers ghanéen et ivoirien ?

Connaissant les contextes historiques, je ne me permettrais pas de comparer. Je peux seulement dire qu’il est essentiel pour les deux filières de pouvoir s’appuyer sur des structures comme le Cocobod et le Conseil Café Cacao, qui assurent aux producteurs un accès à la formation, aux intrants et aux préfinancements, afin de garantir l’amélioration des rendements, de la qualité des fèves et de l’entretien des unités de production.

Quelles sont les autres activités d’Olam et quels sont ses projets au Ghana ?

Le groupe est présent dans le pays depuis 1994 et en est désormais l’un des principaux acteurs agro-industriels. Nous employons plus de 850 personnes dans nos différentes activités, qui vont de la production à la distribution en passant par la transformation, la logistique et la commercialisation. En plus d’être un acteur important dans le secteur du cacao, nous sommes également le premier exportateur de noix de cajou et le premier importateur de riz et d’engrais du pays.

Pour Olam, le Ghana est stratégiquement important, et nos investissements y ont été significatifs ces dernières années. En 2011, nous avons construit une unité de transformation de tomates en sauce et une autre de fabrication de biscuits. En 2012, nous avons inauguré un moulin pour produire de la farine de blé à Tema. Notre objectif est de développer ces équipements pour renforcer notre présence dans le pays.

Propos recueillis par O.C.

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