« Cheveux afro », la série qui démêle l’histoire d’une révolution capillaire
Dans ce documentaire en cinq épisodes signé Rachel Kwarteng, douze femmes afro-descendantes se confient sur leur rapport à leurs cheveux, longtemps objet de mépris. Un récit de la résignation à l’émancipation.
En mars, en France, un projet de loi contre la discrimination capillaire a massivement été voté à l’Assemblée nationale. Ce texte proposé par le député Olivier Serva, dont l’avenir reste incertain au Sénat, permettrait « à toutes les victimes de discrimination capillaire de s’appuyer sur l’arsenal législatif et de rappeler qu’en aucun cas un employeur ne doit obliger un salarié à changer sa nature de cheveux ». Une petite révolution pour les personnes concernées, majoritairement noires.
C’est cette lente prise de conscience que la journaliste Rachel Kwarteng a choisi de documenter, en rappelant à quel point les cheveux afro sont victimes de perceptions coloniales et racistes en France. « Moi, je n’ai pas de problème avec mon cheveu, c’est aux autres de se déconstruire par rapport au cheveu afro », glisse Aïssé N’Diaye, des tresses traditionnelles africaines fièrement tracées sur la tête.
La fondatrice de la marque Afrikanista fait partie des douze femmes noires à qui la documentariste a donné la parole dans cette série en cinq épisodes visant à démêler l’histoire politique, sociale et esthétique des cheveux afro. Un dispositif qui rappelle celui d‘Ouvrir la voix, le documentaire d’Amandine Gay dans lequel 24 femmes afrodescendantes racontaient leur parcours en tant que femme racisée en France.
De l’esclavage à la colonisation, le grand effacement
L’influenceuse beauté Fatou N’Diaye, la coiffeuse professionnelle Nadeen Makety, la fondatrice du salon Boucles d’Ebène, Clarisse Libene, la mannequin Didi Stone, ou encore la créatrice des Secrets de Loly, Kelly Massol… Toutes se confient face caméra sur leur rapport à leurs cheveux, de leurs traumas à l’acceptation de leur nature. Boudés, cachés sous des foulards et perruques en tout genre, maltraités sous la pression de la chaleur du fer à lisser, et pire encore, sous celle de produits défrisants – dont certains composants sont classés comme cancérogènes –, les cheveux afro ont longtemps souffert de dénaturation mettant en péril la santé des consommatrices, dans le seul but de correspondre à la norme dominante.
De l’esclavage à la colonisation, la documentariste nous rappelle les rouages d’un système ayant encouragé l’effacement de l’identité afro. Un rejet qui s’est traduit par une méconnaissance des cheveux afro par la communauté elle-même et par un mépris des professionnels pour ce type de cheveu. Si un module existe depuis septembre 2023 – seulement –, permettant aux professionnels de la coiffure de se former aux cheveux texturés (bouclés, frisés, crépus), celui-ci n’est pas obligatoire, rappelle la journaliste.
L’héritage du courant « Black is beautiful »
« Comment fait-on pour connaître son cheveu, après des années de défrisage ? », s’interroge Aline Tacite, qui se présente comme « experte du cheveu texturé ». « C’est incroyable, on est la seule communauté au monde à se poser cette question, s’étonne-t-elle encore. C’est une réalité qui est liée à notre histoire. »
Des années 1990 à aujourd’hui, Rachel Kwarteng retrace le long cheminement vers la rencontre du cheveu afro, et celui de la réconciliation. Une libération impulsée par le mouvement nappy (happy to be natural, soit heureuse d’être naturelle) qui a émergé dans les années 2010, lui-même hérité du courant Black is beautiful né aux États-Unis dans les années 1960, mais qui a pu, environ cinquante ans plus tard, profiter d’une réelle portée en France grâce aux réseaux sociaux.
« On disait que c’était un effet de mode, que nous allions arrêter, que ça n’allait pas durer », se souvient Fatou N’Diaye, première blogueuse française à s’être fait un nom dans le paysage de la beauté noire en ligne au début des années 2000. Mon père est malien, ma mère est nigériane, j’ai grandi en banlieue. C’est ce qui a [plu] aux gens qui se sont dit : “Elle est comme nous, elle nous ressemble, c’est pas une Américaine. Si, elle, elle peut avoir ce type de cheveux, pourquoi pas nous ?” »
Des consommatrices ignorées par la grande distribution
Finie la stigmatisation et place à la révolution. Dans leur cuisine ou leur salon, les unes confectionnent des crèmes à base d’ingrédients naturels hérités des pratiques africaines, quand les autres réfléchissent à un business model pour ouvrir des salons adaptés aux cheveux naturels. Un retour aux sources pour sublimer et révéler bouclettes et frisettes. C’est la naissance des entreprises « black own » (tenues par des personnes noires) et de l’émergence d’une vraie économie.
« Les marchés de grande distribution ont snobé, méprisé et ignoré ces consommatrices », rappelle l’une des intervenantes. Mais c’était sans compter sur la créativité entrepreneuriale des nouvelles actrices du secteur. Parce qu’elles existent et qu’elles ne sont pas des consommatrices de seconde zone, de nombreuses femmes afro ont ainsi pris leurs cheveux et destin en main, en fondant salons et marques spécialisés, pour inventer d’autres modèles de beauté et de réussite.
Cheveux afro de Rachel Kwarteng, à voir sur TV5MondePlus.
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