Nigeria : l’eldorado… de demain
Tel est le Nigeria : des ressources pétrolières dont l’exploitation est gênée par l’insécurité. Un beau potentiel agricole, mais peu d’infrastructures pour transporter la production. Un vaste marché intérieur, divisé par de profondes inégalités. Richement doté, le pays met la patience des investisseurs à rude épreuve.
« Celui qui n’est pas implanté au Nigeria n’est pas implanté en Afrique ! » a affirmé Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre des Finances, pleine de conviction face aux investisseurs venus la rencontrer mi-septembre. Et son message a été reçu cinq sur cinq par Nicole Bricq, la ministre française du Commerce extérieur, en visite à Abuja et à Lagos. « Le Nigeria joue un rôle de locomotive régionale et nous voulons être l’un de ses partenaires stratégiques », annonçait celle-ci dès son arrivée dans la capitale fédérale. « On ne peut passer à côté de ce pays, en particulier dans les secteurs du BTP, de la production électrique, de l’agriculture et de l’environnement », a-t-elle répété aux chefs d’entreprise français, qu’elle souhaite emmener au-delà du « pré carré » francophone.
Pour les prétendants, la fiancée nigériane ne manque pas de charme : ses quelque 170 millions d’habitants – autant de consommateurs en puissance -, sa production pétrolière – près de 95 milliards de dollars (plus de 73 milliards d’euros) de recettes d’exportation en 2011 -, et son potentiel agricole inégalé en Afrique de l’Ouest.
Pour les prétendants, la fiancée nigériane ne manque pas de charme
De nombreuses opportunités
Selon la banque d’affaires Renaissance Capital, le pays pourrait même devenir la première économie du continent d’ici à cinq ans, devant l’Afrique du Sud. En 2012, son PIB atteignait 268,7 milliards de dollars (contre 384,3 milliards pour la nation Arc-en-Ciel), mais il pourrait augmenter de 40 % pour peu que le pays mette à jour sa base de calcul en intégrant des variations de prix et de production omises pendant ces vingt dernières années.
Un argument utilisé par les autorités pour renforcer l’image de leur pays auprès des investisseurs, même si sa réputation reste écornée par les problèmes sécuritaires, dans le Nord avec la présence de la secte islamiste Boko Haram (basée dans l’État de Borno), et dans le Sud-Est avec la subsistance des groupes armés dans le Delta du Niger.
« Ce n’est pas un pays facile, mais les occasions ne manquent pas », assure Massimo De Luca, conseiller commercial de l’Union européenne (UE) à Abuja. « En plus de sa puissance démographique, le Nigeria bénéficie de ses bons fondamentaux macroéconomiques. Avec Ngozi Okonjo-Iweala aux Finances, l’inflation est contenue (autour de 10 %), l’endettement public aussi (à 19 % du PIB), et la croissance tourne autour de 7 % « , ajoute ce diplomate italien, en poste depuis quatre ans et qui voit les missions commerciales occidentales et asiatiques se succéder à Abuja. « Le pays peut aussi se prévaloir de sa stabilité politique, grâce à un subtil équilibre entre le niveau local et le niveau fédéral, et de son attitude ouverte vis-à-vis du secteur privé et des investisseurs étrangers. Ici, il n’y a pas de risque de nationalisations. »
Plusieurs vitesses
Un pays attrayant, donc, mais de quel Nigeria parle-t-on ? Celui des milliardaires comme Aliko Dangote et Tony Elumelu, installés à Victoria Island, le quartier huppé de Lagos ? Ou celui des 70 % de la population qui vivent avec moins de 1 dollar par jour dans les campagnes et les bidonvilles ? Sur un territoire immense (plus de 923 000 km², soit près de trois fois la superficie de la Côte d’Ivoire) coexistent en effet des réalités très contrastées. Le gouverneur de chacun des 36 États fédérés dispose d’un budget conséquent et de larges compétences, couvrant tous les domaines, à l’exception des fonctions régaliennes (défense, justice et monnaie).
Résultat : un paysage économique à plusieurs vitesses. « S’il y a une chose que je retiens de ma visite, notait ainsi Nicole Bricq à la fin de son séjour, c’est la différence majeure entre le nord et le sud du pays ; pas uniquement pour des raisons sécuritaires, mais surtout en termes de richesse et de perspectives économiques. » Et la ministre de s’étonner : « Dans les États du Nord, la croissance n’est que de 1 % par an… quand elle est de 14 % dans ceux du Sud ! L’État de Lagos à lui seul pèse 65 % du PIB non pétrolier du Nigeria, soit davantage que la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Sénégal réunis. »
Les entreprises françaises de sa délégation affichaient d’ailleurs un intérêt plus marqué pour les grandes villes du Sud, en pleine expansion (la population croît de 3 % par an à Lagos). « Dans les technologies de l’information, la finance, la banque, la mode, les médias, l’éducation et les services portuaires, nous sommes incontournables », se félicite Babatunde Fashola, le gouverneur de Lagos. L’élite du secteur privé, qui avait fui la ville lors du déplacement de la capitale fédérale à Abuja, y est revenue.
Dans le Nord, les perspectives sont moins brillantes, notamment en raison d’un niveau d’éducation plus faible et de l’absence d’industries. Mais là encore, la situation est loin d’être homogène. « L’État de Kano [9,4 millions d’habitants], qui abrite la capitale commerçante haoussa, est dirigé par le gouverneur Rabiu Musa Kwankwaso, qui a réussi à y faire progresser la production agricole [riz, arachide et sucre] et textile, notamment grâce à l’amélioration des infrastructures routières, indique Massimo De Luca. Il a été jusqu’à présent épargné par la menace islamiste, contrairement au nord-est du pays. » Une menace que subit en revanche l’État voisin de Katsina (extrême Nord) : « Là-bas, nous avons dû cesser nos opérations après une attaque islamiste et la prise en otage de l’un de nos salariés », indique Jérôme Douat, président de l’entreprise française Vergnet, qui y installait une centrale électrique.
Déficits
D’un secteur à l’autre, les situations sont également contrastées. « Contrairement à une idée reçue, la croissance nigériane n’est plus bâtie sur l’or noir, analyse Hervé Boyer, directeur commercial du groupe Standard Bank pour l’Afrique de l’Ouest. En 2013, l’immobilier devrait croître de 7 %, les télécoms de 6 %, l’agriculture de 5 %… et le secteur pétrolier décroître de 1 %. » Pourvoyeur de 80 % des recettes fédérales, ce dernier n’est en effet plus à la fête. Les pertes dues à des fuites dans les oléoducs et à un trafic à grande échelle dans la zone du Delta du Niger, qui échappe en partie au contrôle des autorités, ont atteint un niveau considérable (quelque 400 000 barils par jour en avril), entraînant une baisse de la production de 17 %. Le manque à gagner pour les compagnies et l’État est d’environ 1 milliard de dollars par mois. « Cette baisse a toutefois un côté positif, relativise De Luca. Le gouvernement a moins d’argent à distribuer, ce qui diminue le poids du secteur public au profit du secteur privé et limite les risques de corruption. »
Le pays tout entier ne dispose que de 4 500 mégawatts
Reste que réussir au Nigeria – quel que soit le secteur ou la région – demande de pallier la défaillance chronique des infrastructures. « Le plus dur est la gestion de la logistique et de l’approvisionnement en électricité », prévient le patron d’un important groupe industriel occidental, en poste depuis cinq ans. « La corruption gangrène et ralentit la plupart des grands projets », renchérit le conseiller commercial de l’UE.
En matière énergétique, le déficit est dramatique : « Le pays tout entier ne dispose que de 4 500 mégawatts, contre 40 000 MW pour la seule Afrique du Sud, trois fois moins peuplée », reconnaît Chinedu Nebo, le ministre de l’Électricité. Le programme de privatisation d’une partie de la production, qui doit augmenter la capacité de 6 000 MW, a connu un beau succès en 2012, attirant des investisseurs locaux sérieux comme Tony Elumelu (Transcorp) ou Femi Otedola (Zenon Petroleum & Gas). Mais leurs centrales n’atteindront pas leur pleine capacité avant… 2020. En attendant, les industriels s’adaptent. « Nous demandons sans succès depuis plusieurs années le raccordement à un pipeline gazier d’une centrale électrique que nous sommes prêts à construire dans l’État d’Ogun (au nord de Lagos) pour alimenter une de nos cimenteries », s’est plaint Jean-Christophe Barbant, directeur Nigeria de Lafarge lors d’une rencontre avec Chinedu Nebo.
Des partenariats complexes
En ce qui concerne les transports, le réseau routier a été amélioré, notamment dans le centre du pays, mais beaucoup reste à faire : « C’est indispensable pour que l’agriculture décolle réellement, grâce à un meilleur approvisionnement en intrants agricoles, et à une circulation plus aisée des productions de manioc ou de riz », note Massimo De Luca. Mené par des groupes chinois (dont China Civil Engineering Construction Corporation, CCECC), le chantier de rénovation des voies ferrées est, lui, encore au milieu du gué. La ligne Lagos-Kano a été rénovée, mais les autres grands projets, en particulier à partir de Port Harcourt, n’avancent qu’à petits pas.
Autre écueil, la gestion des partenariats – aussi bien avec les sociétés locales qu’avec les gouvernements – se révèle complexe, notamment en ce qui concerne les importations. « Les mesures censées encourager la production locale sont parfois appliquées “à la tête du client”, notamment dans les secteurs du pétrole, du ciment, des intrants et produits agricoles. Les groupes privés proches des autorités – locales ou fédérales – peuvent parfois bénéficier de passe-droits pour importer, voire transgresser les règles sans être inquiétés », confie un industriel.
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Visé par ces critiques, Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, justifie les politiques protectionnistes dans les secteurs du ciment et de l’agroalimentaire, où il intervient : « Le Nigeria n’a pas besoin d’entreprises qui veulent seulement exporter leurs produits, mais nous sommes prêts à accueillir ceux qui veulent être nos partenaires pour produire sur place. » Le tycoon de Lagos a su cultiver ses relations avec les présidents Olusegun Obasanjo puis Goodluck Jonathan pour passer du statut d’importateur à celui d’industriel, en bénéficiant d’un quasi-monopole sur ses produits à son démarrage, puis d’un appui dans son expansion.
Investir au Nigeria exige de faire preuve de patience, de jongler avec les différents échelons administratifs et les partenaires locaux. Mais le jeu en vaut la chandelle, en particulier dans le secteur des biens de consommation de base, comme en témoigne le succès des mastodontes de l’agroalimentaire Nestlé et Cadbury. Le géant nigérian ne s’est pas encore complètement éveillé, mais c’est maintenant qu’il faut s’en rapprocher.
Tentations autarciques
Sur le plan politique, on a vu le président Goodluck Jonathan très actif pour tenter de résoudre les crises ivoirienne et malienne, soucieux de contrebalancer l’influence de l’Afrique du Sud dans l’ouest du continent. Mais sur le plan économique, le Nigeria est encore loin d’être intégré à la sous-région ; les barrières fiscales à l’entrée restent élevées, en particulier sur les produits pétroliers et agricoles ainsi que sur les matériaux de construction.
« Il faudra du temps avant qu’existe une véritable convergence économique et une monnaie commune en Afrique de l’Ouest. Chacun de nos pays doit mettre de l’ordre dans sa maison », estime Ngozi Okonjo-Iweala, la puissante ministre des Finances, pourtant soucieuse de renforcer la coopération régionale, notamment avec la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara.
En matière d’activisme panafricain, les entreprises montraient jusqu’à présent l’exemple en s’implantant dans plusieurs pays du continent, en particulier dans les domaines bancaire (notamment UBA et Access Bank), industriel (Dangote Group, Transcorp, etc.) et des télécoms (Globacom).
Mais elles semblent aujourd’hui se concentrer sur leur marché domestique. Pour Aliko Dangote, interrogé à Lagos mi-septembre, « il y a tellement d’opportunités au Nigeria qu’on a du mal à sortir du pays ». « La construction de notre première grande raffinerie au Nigeria [d’un coût total de 6,6 milliards d’euros] va mobiliser une large partie de nos ressources financières. Avant, notre objectif était d’y réaliser 50 % de notre chiffre d’affaires et 50 % ailleurs en Afrique. Mais avec ce projet, la part du reste du continent ne devrait atteindre que 20 % à 25 % dans cinq ans. Néanmoins, quand nous aurons une trésorerie suffisante, nous réinvestirons en dehors du pays », assure le milliardaire.
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