En Algérie, Abdelmadjid Tebboune règle encore ses comptes avec la « décennie mafieuse »

Le chef de l’État, qui ne s’est toujours pas prononcé sur ses intentions pour la présidentielle anticipée du 7 septembre, a pris la parole ce 1er mai, au siège de l’Union générale des travailleurs algériens. L’occasion de solder des comptes avec l’ancien régime et de dresser le bilan de son mandat.

Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune,  à la Maison du peuple (siège de l’UGTA), à Alger, le 1er mai 2024. © DR

Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, à la Maison du peuple (siège de l’UGTA), à Alger, le 1er mai 2024. © DR

FARID-ALILAT_2024

Publié le 3 mai 2024 Lecture : 5 minutes.

Mercredi 1er mai, le président Abdelmadjid Tebboune a entrepris ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait fait depuis au moins deux décennies : il a profité de cette journée de fête du Travail pour prononcer un discours au siège de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le principal syndicat du pays, à Alger.

Dans ce bâtiment chargé d’histoire, qui a été, en 1997, le théâtre de l’assassinat du secrétaire général de l’époque, Abdelhak Benhamouda, le chef de l’État a dressé le bilan de son premier mandat, répété ses annonces et ses engagements en vue d’un second, et répété tout le mal qu’il pense de la « Issaba », la bande mafieuse qui dirigé le pays sous le régime d’Abdelaziz Bouteflika. Sans oublier de décocher des flèches contre d’anciens apparatchiks de ce même régime, avec lesquels il a encore quelques comptes à régler.

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Si Abdelmadjid Tebboune ne s’est pas encore prononcé, ni officiellement, ni officieusement, sur ses intentions de briguer ou non un nouveau mandat lors des élections présidentielles anticipées du 7 septembre 2024, il ne s’est pas moins présenté, ce 1er mai, dans le costume d’un président sortant en précampagne électorale.

Des « instructions pour rassurer les investisseurs »

Sous son mandat, a-t-il ainsi martelé, la « nouvelle Algérie » se porte bien. Elle s’est reconstruite sur les ruines laissées par l’ancien régime – dont il était pourtant l’un des acteurs pour avoir assumé des responsabilités en tant que ministre, et même éphémère Premier ministre de mai à août 2017.

Pour le président, tous les indicateurs économiques et financiers sont aujourd’hui au vert. Selon lui, le PIB sera porté à 400 milliards de dollars à la fin 2026, contre 247 milliards en 2023 d’après une estimation du FMI, sans que l’on sache par quel miracle celui-ci pourrait augmenter de 153 milliards de dollars en moins de deux ans.

Sous son mandat, a-t-il poursuivi, les exportations hors hydrocarbures ont atteint 7 milliards de dollars. Des réfrigérateurs, des téléviseurs, des machines à laver seront produits localement, réduisant ainsi la facture des importations, qui, selon lui, avait franchi la barre des 60 milliards de dollars sous le régime de Bouteflika.

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« J’ai donné des instructions pour garantir la stabilité de la législation relative aux investissements pour une durée d’au moins dix ans, afin de rassurer les investisseurs, a-t-il assuré. Nous avons reçu 100 demandes d’investissement d’opérateurs étrangers et 7 000 d’investisseurs algériens, dont des émigrés, ce qui permettra la création de 200 000 postes d’emploi pour couvrir les besoins sociaux. » Le chef de l’État n’a pas précisé dans quels secteurs ces opérateurs étrangers souhaitaient investir.

Les statistiques officielles sur le taux de chômage n’ont pas été actualisées au cours des trois dernières années, et le président Tebboune lui-même se plaint de l’absence de données fiables sur les indicateurs sociaux, financiers et économiques. Selon la Banque mondiale, le nombre de demandeurs d’emploi s’élevait à 4 millions à l’automne 2022. Des statistiques qui contrastent avec le discours ambiant.

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Le volume des investissements directs étrangers (IDE), lui, est en recul net depuis cinq ans. En 2022, les IDE en Algérie représentaient 89 millions de dollars, contre 870 millions en 2021 et 1,1 milliard en 2020. Bonne nouvelle tout de même, à condition que le projet aboutisse : un contrat d’un montant de 3,5 milliards de dollars a été signé, fin avril, avec la firme qatarie Baladna pour la production de lait en poudre.

Après la « décennie noire », la « décennie mafieuse »

Dans la foulée de son discours, Abdelmadjid Tebboune a annoncé de nouvelles augmentations des pensions de retraite, entre 10 et 15 %. En mars dernier, il avait déjà annoncé des hausses de salaires de 53 % à l’horizon 2026-2027. En ce temps de précampagne électorale, de telles déclarations, qui interviennent dans un contexte d’érosion du pouvoir d’achat, ne peuvent qu’accroître sa popularité.

Surtout, le président a profité du 1er mai pour revenir sur le passé récent. Il y a eu la « décennie noire » – ou « rouge » – , expression qui qualifie ces années 1990 durant lesquelles le terrorisme menaçait les fondements mêmes du pays. Le chef de l’État évoque maintenant une « décennie mafieuse », qui correspond aux dix dernières années du règne de son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika.

Depuis son arrivée au pouvoir, en décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune n’a eu de cesse d’accuser les anciens responsables – dont bon nombre sont maintenant derrière les barreaux – d’avoir pillé les richesses du pays, amassé des fortunes à l’étranger, créé de puissants pouvoirs parallèles et, in fine, gouverné comme une mafia, une camarilla.

Le président n’a donc pas raté l’occasion de solder ses comptes avec certains d’entre eux, qu’il tient personnellement pour responsables de son limogeage brutal du poste de Premier ministre, en août 2017, parce qu’il avait justement décidé de mener la guerre contre l’argent sale et les oligarques qui croupissent aujourd’hui en prison.

Abdelmadjid Tebboune n’oublie rien. Les épisodes qu’il a vécus en 2017 et en 2018 l’ont tellement marqué qu’il n’est pas près de pardonner aux responsables de ses malheurs. Et, parmi eux, figure Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l’UGTA de 1997 à 2019. Ce dernier avait pris part à la croisade qui a mené à sa chute lorsqu’il était Premier ministre. En décembre 2022, Sidi Saïd, gravement malade, a été condamné à dix ans de prison (peine ramenée à huit ans en appel) pour corruption, trafic d’influence et blanchiment d’argent.

Ces ex-oligarques qui ont « voulu vendre les biens de l’État pour les racheter »

Peu après l’éviction d’Abdelmajid Tebboune de la primature, son fils Khaled avait été jeté en prison, en juin 2018, dans le cadre d’une affaire de promotions immobilières de Kamel Chikhi, dit El Bouchi, pour laquelle il a été acquitté en février 2020. De l’aveu même de Tebboune, lui aussi a failli être incarcéré à cette époque, sans que l’on sache quelle main salutaire serait intervenue pour lui éviter de se retrouver derrière les barreaux au côté de son fils.

Devant les délégués des travailleurs, ce mercredi 1ermai, le président Tebboune a fait le procès de certains de ces ex-oligarques qui ont « voulu vendre les biens de l’État pour les racheter », qui « se sont offerts des jets privés », qui « se sont partagés des territoires », sans pour autant les nommer.

Il évoque, par exemple, cette entreprise du secteur hydraulique qui a obtenu 15 grands marchés, dont un de 1,2 milliard de dollars. Il s’agit évidemment de l’entreprise ETRHB d’Ali Haddad, qui purge de lourdes peines de prison pour des affaires de corruption, de détournement et de blanchiment d’argent.

En juillet 2017, le même Ali Haddad faisait partie des hommes d’affaires que le Premier ministre Tebboune avait dans le collimateur. Il est donc peu surprenant de voir aujourd’hui le président-candidat officieux discourir sur les dérives et les dégâts de la « décennie mafieuse » et les abus des puissants du passé.

En plus de l’opportunité de recuire sa vindicte personnelle – assez légitime– contre ses ennemis d’hier, la manœuvre lui permet aussi de mettre en valeur les réalisations, les acquis et les promesses de cette Algérie nouvelle qui se construit depuis son accession au pouvoir, et dont il compte bien poursuivre l’édification durant les années qui viennent.

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