Football : Dorsaf Ganouati, la première femme en noir
En Tunisie, ces femmes qui ont bousculé l’ordre établi
Alors que le Maghreb dans son ensemble est secoué par les luttes féministes, qui se heurtent à de très fortes résistances, un pays s’est toujours distingué sur ce point dans tout le monde arabe : la Tunisie. Une singularité qui doit beaucoup à quelques femmes audacieuses dont Jeune Afrique brosse ici le portrait.
Une chevelure de jais soigneusement relâchée sur ses épaules, habillée d’une tenue de sport, Dorsaf Ganouati commande un jus de fraise, une douceur qu’elle s’accorde avant son entraînement quotidien, en fin de journée, pour l’arbitrage. Le sourire facile et l’air avenant, hors du terrain de football, la jeune femme laisse de côté le sérieux et la rigueur qu’elle affiche dans la plupart des clichés de ses matchs qu’on trouve sur Instagram .
Cette maman et sportive professionnelle jongle avec une vie à 100 à l’heure depuis qu’elle a commencé sa carrière d’arbitre, en 2011. Et pourtant, Dorsaf ne se destinait pas forcément à cette carrière. Adepte du handball plus jeune, puis du football féminin, elle poursuit, après le baccalauréat, des études pour enseigner l’éducation physique et le sport mais ne veut pas mener une vie d’athlète. « J’étais loin de ma famille et c’était difficile, j’ai préféré me focaliser sur mes études », explique-t-elle.
Arbitre internationale inscrite à la Fifa
Ses parents sont originaires du nord de la Tunisie : une mère de Testour et un père de Siliana. Elle grandit dans un milieu modeste avec trois frères et deux sœurs qui l’ont tous encouragée. Elle obtient son diplôme en 2009 et s’intéresse à l’arbitrage grâce aux conseils d’un professeur. « C’était une façon de revenir vers le football autrement », raconte Dorsaf. Mais il lui faudra dix ans et beaucoup de travail pour faire évoluer les mentalités et arriver à arbitrer un match de Ligue 1, la première division de football.
« Chaque année, dès qu’il y avait des réunions avec la fédération, des séminaires, je demandais pourquoi une femme ne pouvait pas arbitrer des matchs d’hommes. J’avais à mon actif des coupes du monde féminines, des matchs de Ligue 2, je voulais vraiment prouver que c’était possible », explique Dorsaf qui fait partie de la liste internationale d’arbitres de la Fifa depuis 2015.
Lorsque le graal arrive en 2019, et qu’elle est désignée pour arbitrer le match entre l’Espérance de Tunis et le Club Athlétique Bizertin, elle subit les quolibets et les commentaires machistes sur les réseaux sociaux. « Puis pendant le match, l’opinion des internautes a changé, ils ont vu de quoi j’étais capable, que j’étais professionnelle et sérieuse », explique-t-elle. Dans un pays où les clubs de football sont le pain quotidien des Tunisiens, il lui a fallu garder la tête froide. « C’est clairement plus sportif d’arbitrer leurs matchs que ceux des femmes où je n’ai aucun problème. Dans les matchs joués par des hommes, les supporters qui peuvent être agressifs et les joueurs sont parfois en désaccord », dit-elle, en ajoutant que par moment le fait d’être une femme peut aussi présenter un « avantage ». « Certains joueurs n’osent pas vous tenir tête. On m’a souvent dit que j’étais têtue et que je faisais peur donc ça les dissuade de parlementer pendant le match », lance-t-elle en souriant.
Problème de mentalité
Dernièrement, elle a cependant été confrontée à la violence de genre. Le 16 mars, dans une vidéo qui a fait le tour de la toile, alors qu’elle était seulement juge chargée de l’assistance vidéo (VAR) lors d’un match du Derby entre les deux clubs les plus populaires de Tunis, l’Espérance et le Club africain, on la voit être prise à partie par le président de ce dernier. En désaccord sur l’octroi d’un carton rouge, il lui aurait lancé : « Ouvre tes yeux sale pute ! » Mais sur la vidéo, on ne voit pas l’identité de celui qui l’insulte. Pour Dorsaf, qui a déclaré les faits à la police sans porter plainte, il s’agit bien du président du Club africain.
L’Association tunisienne des femmes démocrates a condamné fermement cette insulte, en exprimant sa solidarité avec l’arbitre. Elle a également demandé au ministre des Sports de se saisir de l’affaire et à la justice, d’appliquer la loi 58 contre les violences faites aux femmes, votée en 2017. Pour Dorsaf, c’est le premier coup dur de son parcours. « J’étais choquée car c’est vraiment la première fois que ça m’arrive depuis le début de ma carrière de manière aussi frontale, cela prouve qu’il y a encore et toujours un problème de mentalité « , explique Dorsaf qui a ensuite discuté de manière apaisée de l’épisode avec ses élèves. « Certains sont des jeunes collégiens clubistes et m’ont reprochée le carton rouge, mais en plaisantant et toujours avec le respect que des élèves doivent à leur professeure. »
Pour garder son sang-froid, Dorsaf s’entoure dès qu’elle le peut, lors les matchs, de son mari et de sa fille de 8 ans. « Ils sont là pour me soutenir quoi qu’il arrive. Ma petite fille n’aime pas trop le football mais elle adore regarder sa maman », plaisante la jeune femme. Sa force mentale est aussi solidifiée grâce à la présence croissante de femmes dans le milieu de l’arbitrage tunisien. « En 2011, on était 5 ou 6, maintenant j’en vois de plus en plus, cela me rend très fière », déclare la sportive qui, lorsqu’elle ne joue pas du sifflet dans les stades, regarde, rêveuse, les matchs de la tenniswoman Ons Jabeur, une autre pionnière, première joueuse africaine et arabe à remporter un tournoi du Grand Chelem. Pour Dorsaf, elle représente un modèle qui lui permet encore de rêver à d’autres ambitions. L’objectif ultime : être désignée pour une finale de la Coupe de Tunisie, ou encore une Coupe du monde masculine.
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En Tunisie, ces femmes qui ont bousculé l’ordre établi
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