Houda Bakir. © Montage JA; DR
Houda Bakir. © Montage JA; DR

La Tunisienne Houda Bakir redonne vie aux sites archéologiques grâce à l’IA

Aujourd’hui spécialisée dans la deeptech et la réalité virtuelle appliquées aux sites touristiques, l’entrepreneuse de 43 ans n’en est pas à sa première innovation. Passionnée par les nouvelles technologies depuis l’adolescence, elle a enchaîné les créations d’entreprise dans le domaine.

Publié le 12 mai 2024 Lecture : 4 minutes.

De g. à dr. : les Tunisiennes Houda Bakir, Karima Brini, Dorsaf Ganouati et Sarah Laajimi. © Montage JA; Photo12/Alamy/ZUMA Press; Wikipedia; DR
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En Tunisie, ces femmes qui ont bousculé l’ordre établi

Alors que le Maghreb dans son ensemble est secoué par les luttes féministes, qui se heurtent à de très fortes résistances, un pays s’est toujours distingué sur ce point dans tout le monde arabe : la Tunisie. Une singularité qui doit beaucoup à quelques femmes audacieuses dont Jeune Afrique brosse ici le portrait.

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La jeune Houda Bakir a pour habitude d’aller se promener à Carthage, aux abords des sites archéologiques. Une routine quotidienne dans l’ancienne cité punique qui lui permet de réfléchir. Elle est encore trentenaire, la tête absorbée par les calculs et les formules pour sa thèse en segmentation médicale, quand, en regardant les guides touristiques se débattre « avec de grands gestes » pour faire visualiser aux touristes ce qu’était la prestigieuse ville romaine au-delà des ruines, lui vient l’idée d’Historiar.

La jeune femme imagine alors les contours d’une start-up qui utilise la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle (IA) pour reconstituer les sites archéologiques et créer des expériences immersives. « L’idée a germé progressivement puis, en 2016, avec une amie, Jihed Makni, qui travaillait dans le tourisme durable et les nouvelles technologies, nous avons commencé à développer le concept », explique l’entrepreneuse, rencontrée dans les locaux d’Orange Fab à Tunis où son entreprise est hébergée.

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« Changer le monde grâce à des algorithmes bénéfiques »

Huit ans après l’obtention de son doctorat, la coupe au carrée et le sac à dos sur l’épaule, Houda Bakir est devenue l’une des entrepreneuses en vogue sur le continent africain. Issue de la génération qui a grandi avec les films Matrix, Houda Bakir rêvait déjà adolescente de « changer le monde », plutôt en « créant des algorithmes bénéfiques » qu’en imaginant un futur dystopique où les robots et l’IA prendraient le dessus sur l’humanité. Absorbée par la lecture d’encyclopédies dès son plus jeune âge et encouragée par ses parents à choisir les études qu’il lui plaît, elle s’oriente vers un baccalauréat technique plutôt que les sciences, elle excelle.

À la faculté, elle choisit l’informatique industrielle plutôt que la mécanique pour l’accent mis sur intelligence artificielle dans la formation. « Mes parents étaient issus de la première génération post-indépendance et leurs parents leur ont imposé des choix d’études et des parcours, pour moi c’était l’inverse, j’ai pu privilégier l’aspect créatif et l’innovation tout au long de mon cursus », explique Houda qui a également évité de se marier juste par conformisme social, dans une société encore conservatrice. « Je préfère attendre de rencontrer quelqu’un que j’aime vraiment », assure cette travailleuse acharnée.

Avant de cofonder Historiar en 2019, elle expérimente et se heurte aussi à des obstacles. Sa première société, Grace Light, créée avec son frère en 2014, est spécialisée dans les nouvelles technologies pour la domotique. Elle recycle des cannettes pour créer des chauffe-airs, et doit aussi compiler avec des problèmes de législation. « J’ai beaucoup appris de cette première expérience, il n’y avait pas forcément les lois adaptées pour les produits écologiques, l’écosystème des start-up n’avait pas non plus un cadre juridique clair donc ça a été difficile », raconte-t-elle.

Start-upeuse en série

Elle s’oriente ensuite vers la finance au sein d’une start-up, filiale d’une firme allemande, puis rejoint Datavora, une start-up tunisienne spécialisée dans le Big data, où elle travaille en tant qu’ingénieure spécialisée en intelligence artificielle dans la recherche et développement. Elle y applique ce qu’elle a appris durant ses études : optimiser et automatiser des processus grâce à l’IA pour gagner du temps de travail et établir des prévisions, notamment pour faire face à la concurrence. Puis elle fonde Super Viz, une start-up de services qui automatise les procédures au sein des entreprises. Cette création lui permet d’incuber Historiar et de lancer officiellement ce nouveau projet en 2019. « Ce n’est jamais facile pour un entrepreneur, surtout dans un pays où les financements manquent car la première année, vous faites rarement du bénéfice étant donné que vous essayez de créer un produit innovant », explique-t-elle.

Je vois l’IA comme une méthode de changement de la nomenclature du travail, pas forcément comme un danger.

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Aujourd’hui, la société est en pleine expansion. Après avoir créé des expériences immersives autour de sites archéologiques tunisiens – Dougga, Carthage, Pupput à Hammamet, Sbeitla, El-Jem ou encore Meninx à Djerba, dans le sud – elle cherche à s’étendre en Europe. Historiar a déjà commencé à travailler avec des sites en Italie, en France, au Portugal et en Turquie, offrant un processus d’automatisation qui crée une expérience immersive en quelques semaines là où, auparavant, le développement pouvait prendre des mois.

« C’est la performance de cette automatisation qui peut nous permettre de faire face à la concurrence. Nous utilisons aussi l’IA dans l’expérience immersive, par exemple, la voix de ma collègue a été clonée dans toutes les langues pour faire l’audiodescription », détaille Houda Bakir, qui organise en Tunisie plusieurs visites de sites archéologiques avec les lunettes de réalité virtuelle, ou bien juste l’application de réalité augmentée sur les smartphones. Loin de prendre la place des designers de 3D, l’IA améliore le travail manuel de reconstitution des sites, explique la jeune femme qui travaille aussi avec l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle, ainsi que des historiens et des archéologues pour que l’expérience soit la plus authentique possible et fidèle à la réalité historique.

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« Je vois l’IA comme une méthode de changement de la nomenclature du travail, pas forcément comme un danger, même si nous avons pu en voir les limites tragiques aussi avec le projet Lavender [un système d’intelligence artificielle inventé par les Israéliens pour cibler des civils à Gaza] », analyse-t-elle. Aujourd’hui, grâce au programme d’accélération d’Orange Fab, la start-up a pu accéder à de nouveaux marchés à l’international et prépare des levées de fonds pour poursuivre son développement.

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