Le Sinaï, éternel symbole de la souveraineté égyptienne

Le 2 avril, le président Abdel Fattah al-Sissi a, parallèlement à sa prestation de serment, inauguré officiellement « la nouvelle capitale administrative » du pays, en plein désert, à mi-chemin entre le canal de Suez et Le Caire, en présence du cheikh Issa al-Kharawin, chef des tribus arabes du Sinaï. Un rappel, s’il en était besoin, de l’importance de la région dans l’histoire égyptienne.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi lors de la cérémonie de sa prestation de serment après sa réélection, dans la « nouvelle capitale administrative », le 2 avril 2024. © (Egyptian Presidency/Handout via Xinhua) – Sui Xiankai -Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi lors de la cérémonie de sa prestation de serment après sa réélection, dans la « nouvelle capitale administrative », le 2 avril 2024. © (Egyptian Presidency/Handout via Xinhua) – Sui Xiankai -Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA

Publié le 17 mai 2024 Lecture : 5 minutes.

Pour mesurer la dimension qu’occupe la péninsule du Sinaï au sein de l’État égyptien, il faut remonter à l’amorce des années 1980 et à la restitution par Israël de cette étendue désertique. Après la déconfiture outrageante de la Guerre des Six-Jours, en 1967, l’Égypte avait perdu sa souveraineté sur la péninsule et il a fallu plus d’une décennie d’intenses tractations pour que Tsahal s’en retire progressivement. Depuis, Le Caire investit massivement dans la péninsule, un peu comme pour rattraper le temps perdu et, surtout, effacer de la mémoire collective égyptienne un souvenir pénible.

Mais si l’on se limite au XXe siècle pour déchiffrer le poids du Sinaï dans l’identité nationale et nationaliste de l’Égypte, on ne comprend qu’une petite partie de l’histoire. La symbolique identitaire de la région ne peut être embrassée qu’en l’envisageant sur le long terme et, pour cela, remonter à l’Antiquité, voire aux temps bibliques.

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Ce qui nécessite, d’abord, une petite évocation topographique : celle de la montagne éponyme, le Mont Sinaï. Mont Horeb ou Djebel Moussa en arabe. Culminant à 2 285 mètres d’altitude, il est le deuxième sommet le plus haut de la région après le Mont Sainte-Catherine.

Là s’arrête la géographie et débute l’histoire. Sur les flancs de cette montagne est perché l’un des plus vieux monastères orthodoxes de la chrétienté. Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2002, le monastère de la Transfiguration renferme, depuis le Ve siècle de notre ère, quelque 3 000 manuscrits en hébreu, grec et persan.

Djebel Moussa, haut lieu de la révélation biblique

La dimension biblique de l’endroit est suggérée par le nom arabe du Mont, Moussa, le nom arabe de Moïse. Cette montagne est en effet le haut lieu de la révélation biblique. Le site par essence de la sacralité puisque c’est là qu’a lieu la rencontre entre un Prophète et son Dieu.

Tout au long de l’époque médiévale, l’endroit va donc devenir destination de pèlerinage. Le Sinaï en est le carrefour, passage quasiment obligé pour les pèlerins de toutes les religions du Livre. Et ce jusqu’au mitan du XIXe siècle, quand l’apparition de la vapeur bouleversera les modes de transport et les itinéraires.

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Le XIXe siècle, par ailleurs, est aussi la période de l’expansion coloniale et de l’exploration. La péninsule du Sinaï est alors un chemin presque obligatoire pour tout Européen arrivé en Égypte et souhaitant visiter Bilad al-Sham, la dénomination arabe de la Syrie historique (qui correspond aujourd’hui à la Palestine, au Liban, à la Syrie et à Israël).

Méhémet Ali et la Nahda vs l’Empire ottoman

« Des cigales dans les buissons maigres, dans les invisibles petites plantes rases, nous font une musique de printemps, que nous entendons en Arabie pour la première fois. Et comme il est l’heure de prier avant de s’endormir, les voilà tous debout, les hommes, Bédouins de Pétra ou Bédouins d’ailleurs, s’orientant vers La Mecque si proche, pour commencer à invoquer ensemble le Dieu des Déserts ; alors tout s’efface devant la grandeur et la majesté de cette prière, au milieu de ces rochers où tombent des rayons de lune… C’est aujourd’hui quand nous aurons franchi les montagnes au pied desquelles nous sommes venus camper hier soir, que nous entrerons dans le plus grand désert de Tih […]. Nous avons, sur les habitants de ce désert, les renseignements suivants, donnés par Isambert et Chauvet dans leur Itinéraire d’Arabie Pétrée : les Arabes qui occupent le désert de Tih comptent au nombre des plus sauvages et des plus intraitables parmi les Bédouins », narre l’écrivain français Pierre Loti dans son récit Le Désert, publié en 1894.

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C’est aussi au XIXe siècle que cet isthme du Sinaï commence à entrer dans le calcul national d’une future Égypte indépendante. Dès le seuil de ce siècle, sitôt parties les troupes françaises emmenées par Napoléon, le vice-roi Méhémet Ali (1805-1840) travaille à affranchir le pays de l’emprise ottomane. Et il réussit bien. Avec la Nahda (Renaissance) se forge un nationalisme arabe en quête d’unité sociale et politique. Concomitamment, les tracés frontaliers du Sinaï se fixent progressivement tout au long du XIXe siècle, et le creusement du Canal de Suez y est pour quelque chose.

Aujourd’hui, le Sinaï compte 500 000 habitants et 60 000 kilomètres carrés. Cette superficie est traversée par des bédouins, pour la plupart nomades, dont le mode de vie n’a rien à envier à celui de leurs ancêtres, dont ils ont conservé la structure sociale, se divisant en tribus, clans et familles sur lesquels un cheikh exerce son autorité.

Ces habitants du désert tiennent à leur ascendance. Leur nom n’est-il pas cité dans la Torah ? Au VIe siècle de notre ère, ils sont également connus comme les « Arabes de Banu Ismaïl ». Certainement en référence au premier fils d’Abraham, le prophète Ismaïl, ancêtre du peuple arabe.

Une zone touristique soumise aux aléas géopolitiques

Le Sinaï de ce début de XXIe siècle, pourtant, est devenu une terre d’immigration. Non seulement les réfugiés des années 1960 s’y sont réinstallés, mais Le Caire y mène une politique intense de repeuplement. Tout en développant l’industrie touristique dans le Golfe d’Aqaba, à l’est de la région. Notamment à Charm el-Cheikh, dont les structures aéroportuaires permettent d’accueillir, depuis l’amorce du XXIe siècle, une ribambelle de touristes étrangers avides de soleil.

Mais le Sinaï reste aussi un espace frontalier et, comme tel, un baromètre géopolitique dans une région très instable. En 1978, les accords du Camp David l’ont scindé en trois bandes et, depuis 1982, s’y trouve stationnée une force d’interposition. Une militarisation qui entrave fatalement la libre-circulation.

À cela s’ajoute une politique sécuritaire stricte et sévère visant à juguler les contrebandes en tous genres entre l’Égypte et la bande de Gaza voisine. Et bien sûr, la fréquentation touristique du Sinaï reste très dépendante des événements qui se déroulent dans le territoire palestinien. Lorsque, comme depuis octobre 2023, les heurts avec les Israéliens s’aggravent, l’assiduité des visiteurs s’en ressent.

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