Pour un échange équitable entre une Europe vieillissante et une Afrique dynamique

Dans son discours du 25 avril dernier sur le projet européen, le président français, Emmanuel Macron, appelait à un sursaut stratégique afin d’éviter la mort de l’Europe. Pour Ghazi Ben Ahmed, ce sursaut nécessite aussi la mise en place d’une politique à la fois de contrôle des entrées dans l’UE et d’ouverture des voies légales de migration.

Des migrants secourus à Lampedusa, au sud de l’Italie © Cecilia Fabiano/AP/SIPA

Des migrants secourus à Lampedusa, au sud de l’Italie © Cecilia Fabiano/AP/SIPA

Ghazi Ben Ahmed. © DR
  • Ghazi Ben Ahmed

    Fondateur de l’Initiative méditerranéenne pour le développement

Publié le 21 mai 2024 Lecture : 4 minutes.

Population vieillissante, baisse de la population active… Parce que des défis démographiques pressants mettent en péril sa compétitivité économique et la pérennité de ses systèmes de protection sociale, l’Europe ne peut plus se permettre d’ignorer les implications économiques et sociales de l’immigration, surtout si elle veut aller vers une économie de guerre et une autonomie stratégique.

Ni laxisme ni populisme

Le nouvel exécutif européen, en particulier au sein de l’espace Schengen, devra piloter l’établissement de coopérations innovantes et développer des politiques fondées sur un narratif renouvelé, sans céder ni au laxisme ni au populisme autoritaire. Les modèles actuellement proposés se révèlent inefficaces, comme en témoignent les mémorandums d’entente que l’Union européenne a signés avec la Tunisie et l’Égypte, pour externaliser la gestion des migrations. Des texte qui ne font que renforcer des régimes autoritaires, sans se soucier du sort des migrants et du traitement inhumain qui leur est souvent infligé.

la suite après cette publicité

De même, les accords de sous-traitance similaires à ceux conclus par le Royaume-Uni ou l’Italie, qui envisagent de transférer les migrants vers des pays tiers, souvent loin de leurs pays d’origine, doivent être réévalués. Ces pratiques, loin de résoudre les problèmes, déplacent simplement les responsabilités et aggravent les enjeux éthiques liés à la migration. Cela a d’ailleurs été dénoncé par Emmanuel Macron, dans son dernier discours à la Sorbonne, comme une « géopolitique du cynisme qui trahit nos valeurs et qui construira de nouvelles dépendances, et qui s’avérera totalement inefficace ».

Une solution européenne équilibrée ne consiste pas à se replier sur soi mais à protéger efficacement les frontières contre un afflux massif de migrants irréguliers tout en respectant scrupuleusement les droits humains et en favorisant une migration légale et choisie. Il est crucial de mettre en place des politiques qui non seulement contrôlent les entrées mais qui, simultanément, ouvrent des voies légales de migration.

Privilégier les mobilités de court terme

Pour ouvrir ces voies légales, on pourrait concevoir des visas pour des migrations de court terme ou des mobilités basées sur des contrats temporaires, cinq ans renouvelables, permettant aux migrants de travailler entre six et neuf mois par an en Europe avant de retourner dans leur pays et d’être ainsi assurés de pouvoir revenir l’année suivante. Ces mesures auraient l’avantage de répondre aux besoins de main-d’œuvre dans des secteurs clés tout en permettant aux migrants de maintenir des liens forts avec leur pays d’origine dont ils favoriseraient par ailleurs le développement économique grâce aux compétences acquises et aux transferts de fonds. De plus, une telle approche renforcerait la cohésion sociale en Europe en réduisant les tensions et en combattant les stéréotypes négatifs associés à l’immigration. Cela implique que les partenaires africains aient aussi leur part de responsabilité et d’obligations afin que tout le monde trouve son compte.

Tout le problème consiste donc à trouver un équilibre entre les demandes de l’UE et celles de ses voisins du sud. Le nouvel exécutif européen et les États membres devront s’atteler en même à la migration illégale et à la migration légale. Cela revient d’une part à traiter humainement les migrants illégaux que les pays du Sud s’engageront à reprendre sur leur territoire, et d’autre part, à proposer aux pays du Sud une forme de compensation pour chaque migrant légal qui vient s’installer et travaille dans l’UE. Il est impératif que l’UE cesse de percevoir l’Afrique simplement comme un vivier de talents à exploiter sans contrepartie, et qu’elle reconnaisse la nécessité de collaborer étroitement avec ce continent pour la construction de son autonomie stratégique et pour sa transformation en puissance. De plus, sans un soutien et un renouvellement actifs, ce réservoir de talents risque de se tarir.

la suite après cette publicité

Allier sécurité, humanité et économie

L’appel d’Emmanuel Macron à une « Europe-puissance » apparaît comme une « bonne impulsion » – selon le chancelier allemand Olaf Scholz, qui réagissait au discours d’Emmanuel Macron dans un tweet – et un cri de ralliement pour une Union qui aspire à allier sécurité, humanité et vision économique à long terme. Hasard du calendrier, le ministre des Affaires étrangères polonais, Radoslaw Sikorski, précisait au même moment devant la Diète, la chambre basse du Parlement, et dans des termes quasi similaires, sa vision de la place de la Pologne et du projet européen : « L’UE est devenue un projet géopolitique. Le rôle de la Pologne est de soutenir ce processus . »

Ainsi, au sein du Triangle de Weimar, une plateforme de coopération réunissant la Pologne, la France et l’Allemagne, émerge une vision politique partagée visant à renforcer l’Europe. Cette vision stratégique pour une « Europe-puissance » appelle à un renouvellement des politiques migratoires de l’UE, qui ne devraient plus être uniquement réactives et axées sur la sécurité, mais également proactives, intégrées dans une démarche globale de développement durable et de coopération Nord-Sud. Ce projet vital pour l’Europe nécessitera non seulement des propositions audacieuses – à l’image de celles avancées par Emmanuel Macron –, mais aussi une capacité accrue à surmonter les divisions internes et à repenser les dynamiques de leadership au sein de l’Union européenne. Dans ce contexte, il y a une certitude qui émerge sur le fait que la présidente sortante de la Commission européenne Ursula von der Leyen, discréditée et perçue comme un frein à cette vision, n’est probablement plus la dirigeante appropriée pour porter ce projet ambitieux.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires