Après ses opposants, Kaïs Saïed veut aussi faire taire les pays étrangers
Alors que les arrestations se poursuivent et qu’une manifestation a eu lieu le 16 mai au matin à Tunis, le chef de l’État a ordonné à son secrétaire d’État aux Affaires étrangères de convoquer les ambassadeurs de pays ayant émis des protestations contre sa politique et qu’il accuse d’« ingérence ».
Le président tunisien Kaïs Saïed s’est insurgé le 16 mai contre les critiques occidentales après l’arrestation d’avocats et de figures des médias, défendant la légalité de ces mesures qui marquent un nouveau recul des libertés dans le berceau du Printemps arabe. En début de semaine, l’Union européenne (UE), la France et les États-Unis ont exprimé leur « inquiétude » et « préoccupation » face à une vague d’interpellations d’avocats, chroniqueurs à la radio et télévision et militants associatifs.
Le brief. Les clefs de l'actualité africaine dans votre boite mail
Chaque semaine, recevez les 5 infos de l'actualité africaine décryptées par nos journalistes.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Sur un ton véhément, le chef de l’État tunisien, qui concentre tous les pouvoirs depuis juillet 2021, a ordonné au ministère des Affaires étrangères de « convoquer dès que possible les ambassadeurs d’un certain nombre de pays étrangers » pour leur transmettre sa « vive protestation contre une ingérence flagrante et inacceptable dans nos affaires intérieures », selon une vidéo diffusée par la présidence.
Le 16 mai, des centaines d’avocats et défenseurs des droits humains ont manifesté à Tunis en signe de protestation et pour réclamer le respect des droits et libertés dans le pays. « Liberté ! L’État policier, c’est du passé ! » ont scandé les avocats vêtus de leurs robes noires et les militants, en référence à la révolution de 2011 qui a renversé le dictateur Zine El Abidine Ben Ali, marquant le début du Printemps arabe, une série de révoltes prodémocratie dans plusieurs pays de la région.
Au moment où les autorités mènent une campagne contre les migrants africains subsahariens depuis février 2023 et un discours aux accents xénophobes du président Saïed contre la migration clandestine, la police a arrêté le 6 mai la militante antiraciste Saadia Mosbah.
Le 11 mai, l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani a été emmenée de force par des policiers encagoulés alors qu’elle s’était réfugiée dans le siège de l’Ordre des avocats. Dahmani est poursuivie pour diffusion de « fausses informations » après avoir ironisé sur un plateau de télévision sur la situation de la Tunisie en réponse à un chroniqueur soutenant que des migrants africains subsahariens cherchaient à s’y installer.
Deux autres chroniqueurs célèbres, Borhen Bssais et Mourad Zeghidi, ont été interpellés le même soir et sont également poursuivis pour des commentaires, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, considérés comme critiques du pouvoir.
Amnesty International demande une enquête indépendante et impartiale
Un autre avocat arrêté le 13 mai, Mehdi Zagrouba, a été ensuite hospitalisé en urgence après avoir été frappé en détention et s’être évanoui, selon des confrères et le président de la Ligue de défense des droits de l’homme, Bassem Trifi.
Réclamant « un accès immédiat à des soins et la libération » de Mehdi Zagrouba, l’ONG Amnesty International a appelé les autorités tunisiennes « à ordonner une enquête indépendante et impartiale sur ces accusations et d’en déférer les responsables devant la justice », dans une publication sur X (anciennement Twitter)
Le ministère de l’Intérieur a démenti tout acte de torture, estimant que « ces allégations témoignent d’une volonté d’échapper à la justice » et annoncé des poursuites judiciaires contre toute partie voulant discréditer l’action policière ou diffuser des « contre-vérités ».
Faisant fi des critiques, Kaïs Saïed a justifié dans une autre vidéo l’irruption de policiers dans les locaux de l’Ordre des avocats. « La Maison de l’avocat est située sur le sol tunisien et ne jouit pas d’un régime extra-territorial afin que quiconque puisse s’y cacher », a-t-il dit, assurant que les interpellations avaient été menées « dans le plein respect de la loi tunisienne qui garantit l’égalité et le droit à un procès équitable ».
Une liberté d’expression étouffée
Dans son dernier rapport mondial paru en janvier, l’ONG Human Rights Watch basée à New York avait déploré une nouvelle « régression des droits humains et d’État de droit en Tunisie en 2023 en l’absence de réels contrepouvoirs face au pouvoir du président ». « Le gouvernement a pris de nouvelles mesures pour étouffer la libre expression, poursuivre des dissidents et réprimer des migrants et demandeurs d’asile », avait ajouté HRW.
Selon le syndicat des journalistes tunisiens, plus de 60 personnes sont poursuivies en vertu d’un décret (dit 54) censé punir la diffusion de « fausses nouvelles » mais qui est très critiqué pour l’interprétation élargie qu’en font les tribunaux.
Une quarantaine de personnalités, dont au moins huit figures de l’opposition à Saïed, d’anciens ministres et des hommes d’affaires, sont en détention, pour certains depuis février 2023, dans le cadre d’une enquête pour « complot contre la sûreté de l’État ».
(avec AFP)
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- À Casablanca, la Joutia de Derb Ghallef en voie de réhabilitation
- Mali : ce que l’on sait de la disparition de Daouda Konaté
- En RDC, la nouvelle vie à la ferme de Fortunat Biselele
- Présidentielle en Côte d’Ivoire : la compagne de Tidjane Thiam sort de l’ombre
- Présidentielle en Côte d’Ivoire : la stratégie anti-fake news d’Alassane Ouattara