Le Congolais Dibakana Mankessi remporte le prix Orange du livre en Afrique
Avec « Le psychanalyste de Brazzaville », l’auteur remporte la sixième édition du prix organisé par la Fondation Orange pour promouvoir la littérature écrite et publiée en Afrique.
C’est au Maroc, en marge du 29ème salon international de l’édition et du livre (SIEL) que se sont réunis les jurés du sixième prix Orange du Livre en Afrique (POLA), présidé par la romancière et peintre ivoirienne Véronique Tadjo. Accueillis à l’Académie du royaume du Maroc, à Rabat, par le secrétaire perpétuel marocain Abdeljalil Lahjomri et par le romancier camerounais Eugène Ebodé, en charge de la chaire des arts et littératures africaines, ils ont délibéré pendant plus de deux heures pour choisir le lauréat de cette édition.
C’est avec un roman très documenté, Le psychanalyste de Brazzaville, publié par les éditions Les lettres mouchetées, que le Congolais Dibakana Mankessi a remporté le prix, doté de 10 000 euros. Habilement construit, son roman se déroule entre 1961 et 1969 à Brazzaville, dans les années qui suivent l’indépendance. Il raconte l’histoire d’une jeune fille de bonne famille, Massolo, contrainte de devenir femme de ménage après la chute du premier président congolais, Fulbert Youlou, qui entraîne l’emprisonnement de ses parents et l’exécution de son frère.
Violence, sexe et animalité
Le roman suit aussi l’itinéraire de son premier amoureux, Ibogo, issu d’un quartier défavorisé et prêt à tout pour réussir. Mais surtout, Le psychanalyste de Brazzaville convoque de nombreux personnages, réels ou fictifs, qui viennent se confier au seul psychanalyste de la région, le docteur Kaya, chez qui Massolo est embauchée comme femme de ménage. Passent ainsi sur le divan le procureur Lazare Lin Matsocota, sauvagement assassiné dans les premières années de l’indépendance avec le premier président de la Cour suprême, Joseph Pouabou, et le directeur de l’Agence congolaise de l’Information, Anselme Massouémé… Viennent aussi consulter des personnages tels l’écrivain Tchicaya U Tam’si ou les présidents du Congo Marien Ngouabi et Pascal Lissouba. En donnant la parole à ces acteurs connus comme à des Brazzavillois ordinaires ou à des Occidentaux appartenant à l’ancienne élite coloniale, Dibakana Mankessi parvient à recréer l’ambiance des premières années d’un État en train de naître – dans la violence.
Les jurés du POLA ont tenu, en outre, à signaler la forte impression que leur a fait le texte du jeune Camerounais Angelo Bayock, Percussions, édité au Maroc par les éditions La Croisée des chemins. Troublant, violent, sexuel, ce roman littéralement habité par l’idée de la mort explore les marges de l’humanité, ces lisières où l’humain aspire parfois à retrouver son animalité primordiale. Avec un virtuosité prometteuse, Angelo Bayock élève au rang de personnage une forêt à la fois attirante et repoussante où se perdre peut être une façon de se retrouver.
D’une manière générale, les cinq romans africains sélectionnés cette années parmi une quarantaine de romans issus de 15 pays du continent faisaient la part belle aux questions relatives au corps et à la sexualité. Omniprésentes dans Le psychanalyste de Brazzaville, où la politique et le sexe font bon ménage, centrales dans Percussions où les personnages se laissent parfois envahir, déborder par leurs instincts, les relations charnelles jouent aussi un rôle dans #ZaKoa – l’équivalent de #MeToo à Madagascar – de la Malgache Hary Rabary. Publié par les éditions Dodo Vole, son roman met en scène une jeune femme subissant plusieurs viols, dont un en réunion, et ses tentatives pour échapper à l’emprise d’un homme pervers dans une société où le silence est la règle et où, souvent la victime subit l’opprobre de la honte tandis que l’agresseur ne paye jamais son crime.
Viol et résilience
La sexualité – et la psychanalyse – sont aussi au cœur du roman de la Tunisienne Meryem Sellami, Je jalouse la brise du sud sur ton visage. Sans fard ni faux-semblant, l’autrice raconte l’évolution d’une femme et de ses rapports aux hommes après différents traumatismes, dans le cadre de la révolution tunisienne. Affirmation de soi, libération de la parole, acceptation des désirs et de l’altérité y résonnent de manière singulière à l’heure où la Tunisie affronte une période d’ombres. Des ombres que l’on peut retrouver, sur un plan plus symbolique, dans le texte du Tunisien Mouha Harmel, Siqal, l’antre de l’ogresse (éditions Démeter), distingué par le Comar d’Or 2023. Docteur en philosophie, l’auteur y revisite les contes populaires tunisiens en y explorant une cruauté aux fortes résonances contemporaines.
Le lauréat du POLA 2024, mais aussi les quatre autres auteurs sélectionnés bénéficieront d’une campagne de promotion et de diverses invitations pour évoquer leurs livres. Membre du jury et responsable de la chaire des arts et littératures africaines, Eugène Ebodé a d’ores et déjà annoncé leur prochaine invitation à l’Académie royale du Maroc.
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