À Cannes, l’Afrique hisse ses pavillons
En marge de la programmation officielle du Festival de Cannes, des initiatives privées promeuvent les cinémas d’Afrique et de la diaspora. Visite guidée.
Village international Pantiero, le long du Palais des Festivals. C’est ici que se dresse le Pavillon Afriques – au pluriel –, qu’a fondé l’ambitieuse et passionnée Karine Barclais. À ne pas confondre avec le Pavillon africain, qu’a créé Aminata Diop Johnson, et qui, lui, est situé côté Riviera, au Marché du film.
Ces deux structures ont été lancées au même moment, en 2019, et par deux femmes. Bien distinctes, elles partagent pourtant un objectif commun : promouvoir les cinémas d’Afrique et de la diaspora africaine. « Ce sont deux femmes audacieuses et pleines de talent, qui gagneraient à créer des synergies, confie une source à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Ensemble elles seraient encore plus fortes. »
Marché du cinéma africain
Dotée d’un solide réseau relationnel, Aminata Diop Johnson, silhouette gracile tirée à quatre épingles, est déjà à l’origine du Pavillon des lettres d’Afrique à Paris, Bruxelles et Genève. En l’espace de cinq ans, elle a gagné la confiance de l’État sénégalais et des banques africaines, comme Afreximbank, au Nigeria, qui l’accompagne depuis trois ans. Mais surtout d’Acces Bank, à Lagos, sur qui elle a pu compter cette année pour organiser des tables rondes sur l’industrie du cinéma du continent en présence d’une grande délégation nigériane. « Access Bank est l’équivalent de la BNP dans le cinéma en Europe. Aujourd’hui, les banques africaines s’intéressent à cette industrie, elles veulent investir et accompagner les acteurs du secteur », observe Aminata Diop Johnson qui se félicite d’avoir également accueilli le ministre de la culture du Ghana, Andrew Egyapa Mercer, pour la première fois sur la Croisette. Objectif : les convaincre d’investir dans un secteur porteur mais encore embryonnaire.
« Aminata s’est positionnée sur un créneau qui consiste à réunir les autorités, les gouvernements, l’Uemoa et l’UA », poursuit le coordinateur de projets de l’OIF. Un angle business et panafricain qui semble porter ses fruits.
Trois films africains à Cannes
Karine Barclais, allure décontractée et enveloppante, fait, elle, figure de matrone protectrice pour les jeunes talents, qu’elle soutient par le biais d’actions de formation et de promotion des films. Sous le chapiteau le plus fréquenté du Village international l’ambiance corporate prend vite un tour familial. Depuis le début des festivités, les cinéastes africains-américains, haïtiens, sud-africains, ghanéens, ainsi qu’une large frange de la communauté afro-diasporique anglophone se ruent sous ce chapiteau privé que la Martiniquaise loue près de 100 000 euros pour une dizaine de jours dans l’espoir de faire aboutir les projets.
Depuis la création du pavillon – et sauf en 2020, année de la pandémie de Covid-19 –, elle est parvenue à faire distribuer une trentaine de films. « Je cherche à obtenir des résultats », affirme-t-elle, forte de la conclusion de plusieurs accords avec Mann Robinson, une société de distribution aux États-Unis. « On organise ces projections depuis la dernière édition. C’est une véritable valeur ajoutée et, aussi, une satisfaction de voir que des films africains peuvent être projetés en salles ensuite, notamment aux États-Unis », glisse la fondatrice de l’agence de communication événementielle Kbey Business Services. De quoi compenser la quasi absence de l’Afrique (seulement trois films) dans la programmation officielle cannoise cette année.
« Je présente mon film que j’ai mis douze années à faire », confie Bénita Jacques, réalisatrice d’origine haïtienne, venue spécialement du Canada pour projeter son Afrique, berceau de l’humanité et des civilisations modernes, un documentaire anthropologique et pédagogique porteur d’un autre regard sur l’histoire de l’Afrique grâce à la contribution de nombreux intellectuels, sénégalais notamment. J’ai fait ma part, je suis ici dans l’espoir de trouver un distributeur. Le film a circulé dans 38 festivals, en Europe comme en Afrique, et a remporté pas mal de prix. C’est merveilleux, mais il est temps qu’il soit commercialisé et exploité », insiste la cinéaste, pour qui cette projection a aussi un coût (21 00 euros). « Une boîte de production américaine, qui a l’habitude de travailler avec des universités, est présente ce soir, ainsi que Canal+, mon partenaire de la première heure », assure Karine Barclais.
L’AFD et quelques ministres
Si la promotrice culturelle vient de signer un partenariat avec l’Agence française de développement (AFD) – de quoi assurer le maintien de son activité au Pavillon –, elle regrette l’absence de soutien des institutions africaines. Pourtant, deux ministres africains de la Culture lui ont rendu visite à son pavillon, tout comme l’ambassadeur du Nigeria l’année dernière et un ministre du Tourisme venu présenter son pays comme destination de tournage. Des visites essentielles en termes d’image, mais qui gagneraient à déboucher sur des partenariats plus concrets.
Karine Barclais a de la suite dans les idées et une longueur d’avance sur les questions de fond. Il y a trois ans, le Pavillon Afriques abordait déjà la question des coachs d’intimité sur les plateaux de tournage. Cette année, des tables rondes sont organisées sur le thème de l’intelligence artificielle au cinéma et de l’importance du ciné-tourisme, en présence de professionnels marocains. « Il y a de vraies occasions de faire du business, notamment en promouvant les lieux où des tournages ont eu lieu, comme le fait l’Italie en organisant des circuits sur les sites où ont été tournés des films adaptés de romans d’Umberto Eco, illustre-t-elle. Le but du Pavillon, c’est d’éveiller les consciences et d’utiliser les bons outils pour que notre cinéma existe par lui-même. »
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