Des avions militaires russes utilisent-ils vraiment l’aéroport de Djerba ?
C’est la presse italienne qui s’en est fait l’écho, relayant des « craintes américaines » sur des rotations régulières d’appareils russes sur l’île tunisienne. Rien ne semble pourtant, à ce stade, le confirmer.
L’article, mis en ligne le 19 mai sur le site internet du grand quotidien italien La Repubblica et signé de son correspondant à New York, affiche un titre choc : « Avions militaires russes en Tunisie, les États-Unis alertent : « Moscou se déploie » ». Quant au texte lui-même, il évoque la présence régulière d’avions militaires russes à Djerba, ce qu’aucune autorité tunisienne n’a jamais publiquement annoncé ni confirmé.
Aussitôt l’article paru, certains imaginations se sont enflammées, et les « avions russes » sont devenus, dans certaines versions, des appareils du groupe Wagner. En l’absence de précisions officielles, il est important de revenir à la source de l’information, et donc à ce que rapporte le correspondant de La Repubblica. Celui-ci cite un représentant du département d’État américain faisant état des préoccupations de son administration à propos de mouvements et de présence russe en Tunisie.
Dans une citation, celui-ci explique en particulier : « Nous continuons d’être préoccupés par les activités de Wagner, ainsi que par celles soutenues par la Russie sur le continent africain, qui alimentent les conflits et favorisent la migration irrégulière, y compris vers la Tunisie ». Le journal poursuit, laissant entendre que du matériel a été déchargé à Djerba et que des hommes y seraient présents.
Des informations qui circulent déjà dans le pays depuis plusieurs semaines sous la forme de rumeurs. Plus particulièrement depuis la fin de mars, quand Ras el-Jdir, le point de passage frontalier plus important entre la Libye et la Tunisie, a été fermé. Les informations qui circulent à Tunis, toutefois, évoquent bien la présence de personnels, mais pas celle d’avions. Tandis que du côté de la diplomatie italienne, toujours très attentive à ce qu’il se passe dans cette Tunisie si proche, on évoque « une crainte de la présence de “forces Wagner” dans la région qui facilite le processus d’immigration vers la frontière tunisienne ».
Des rumeurs, des suspicions, mais peu de faits avérés, finalement. Qui connaît Djerba et son aéroport sait que si des mouvements inhabituels avaient lieu sur le site, totalement ouvert, ceux-ci n’auraient pas échappé aux habitants du nord de l’île. « Les avions russes font le plein à Djerba depuis des mois, précise le chercheur et spécialiste de la Libye, Jalel Harchaoui. Mais aucun militaire russe n’a été déployé sur le sol tunisien. »
Le sujet évoqué entre Giorgia Meloni et Joe Biden
D’autres spécialistes des questions de défense soulignent aussi que la sortie de ces informations est d’autant plus étonnante qu’elle coïncide avec le début de l’exercice militaire multi-nations African Lion 2024 (AL24) qui, sous l’égide du commandement de l’United States Africa Command (US Africom), se déroule conjointement, du 19 au 31 mai, au Ghana, au Maroc, au Sénégal et… en Tunisie. Difficile, avancent ces observateurs, d’imaginer des troupes russes évoluant à Djerba, alors même que les unités américaines et celles de leurs alliés se déploient à quelques kilomètres.
On sait par ailleurs que la question d’une éventuelle présence russe en Tunisie a été évoquée par la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, lors de sa visite officielle à la Maison Blanche le 1er mars dernier. Face à Joe Biden, la dirigeante italienne avait tenté de convaincre son hôte que si le Fonds monétaire international ne se montrait pas plus accommodant avec la Tunisie et ne se décidait pas à lui accorder les crédits demandés, celle-ci risquait de passer sous influence russe. Depuis, les services de renseignement italiens tentent d’obtenir confirmation de ces supposés va-et-vient d’appareils russes à Djerba, mais semblent avoir du mal à l’obtenir.
Certains sources affirment qu’il s’agit essentiellement d’acheminer du personnel, mais aussi des caisses de vodka à destination de militaires russes passant leur permission sur l’île tunisienne. Une autre hypothèse, beaucoup plus fantaisiste et pas plus étayée, veut que certains appareils transporteraient des candidats à la migration afin de saturer les points de passage vers la Tunisie et de mettre celle-ci en difficulté. Un scénario que rien ne vient accréditer à ce stade et qui s’appuie sur un seul fait réellement confirmé : la présence de combattants russes de Wagner dans la Libye voisine, contribuant à alimenter toutes les rumeurs.
C’est d’ailleurs l’ambassade de Russie en Libye qui a fini par réagir, qualifiant de « mensonges » les informations de l’article de La Repubblica.
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