En Iran, la mort du président Raïssi ouvre-t-elle la porte à Mojtaba, le fils du guide suprême Ali Khamenei ?
Depuis le 19 mai, la République islamique est privée de son président et le guide suprême, Ali Khamenei, de son successeur potentiel. C’est maintenant le fils de ce dernier, Mojtaba, qui semble tirer les ficelles de la scène politique nationale et qui apparaît comme le véritable leader de l’ombre.
Le décès du président Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère, intervenu le 19 mai, fait l’effet d’un tsunami dans les arcanes du pouvoir iranien. Principalement parce que le défunt était pressenti comme le grand favori à la succession de l’actuel guide suprême, Ali Khamenei, âgé de 85 ans et à la santé déclinante. Raïssi, considéré comme le président le plus docile de l’histoire d’Iran, était un proche confident du gardien de la révolution, son supérieur hiérarchique, en poste depuis 1989.
Il y a six mois pourtant, l’« Assemblée des experts » aurait retiré Raïssi de la liste des successeurs potentiels, à cause de sa baisse de popularité et de sa mauvaise gestion socio-économique du pays. Mais un lobbying intensif mené par une frange d’influents religieux aurait rétabli le cours des choses. Sa disparition brutale rebat aujourd’hui totalement les cartes et ouvre la porte à des luttes intestines sans précédent au sein même de la République islamique. D’autant plus que le guide suprême ne semble pas avoir de carte joker.
Mohammad Mokhber et Ali Bagheri Kani, deux soutiens de Mojtaba
Pour l’instant, c’est Mohammad Mokhber, nommé vice-président en août 2021, qui joue le rôle de président par intérim. Cependant, dans l’ombre, et alors que des élections permettant de désigner le nouveau président sont annoncées en juin, c’est Mojtaba Khamenei qui semble jouer un rôle central dans la refonte de la scène politique iranienne. Selon le Wall Street Journal, qui a révélé l’information, ce dernier « n’occupe aucun rôle officiel mais il est l’une des personnalités les plus influentes d’Iran ». Et pour cause : il n’est autre que le second fils du guide suprême, Ali Khamenei.
Pour le peuple iranien, Mojtaba est une énigme. Il n’a pas de fonction officielle, n’a jamais été élu et apparaît rarement lors des événements publics. Et pourtant, depuis la mort de Raïssi, tous les regards se sont tournés vers lui, tant il apparaît désormais comme le candidat naturel à la succession de son père. Dès août 2022, l’agence de presse iranienne Rasa, avait même accolé à son nom le titre d’« ayatollah », condition requise pour prétendre au poste de guide suprême. Rien n’est pourtant acquis, d’autant qu’Ali Khamenei lui-même serait réticent à la candidature de son fils, notamment parce qu’il est opposé au système de gouvernement héréditaire, ayant lui-même contribué à renverser la monarchie du Chah en 1979.
Mais dans les faits, « Mojtaba et son réseau règnent en maître depuis deux décennies », affirme Hamid Reza Hazizi, chercheur iranien à l’Institut des affaires internationales et de sécurité, en Allemagne, interrogé par le Wall Street Journal. Mohammad Mokhber, l’actuel président par intérim, chargé d’organiser les élections à venir, gère aussi le fonds Setad (un milliard de dollars d’actifs dans le secteur immobilier), dans lequel Mojtaba Khamenei joue également un rôle. Et l’actuel ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Bagheri Kani, a quant à lui un lien de parenté par alliance avec Mojtaba. En effet, son frère, Misbah Al-Huda Bagheri Kani, est marié à Hoda, sœur de Mojtaba et fille du guide suprême. Autant de liens qui, dans cette période de latence, permettent au benjamin de la dynastie Khamenei de compter sur le soutien, et probablement l’allégeance, de deux membres clés du gouvernement.
Un pur et dur artisan de la répression
Mojtaba Khamenei entretient aussi des liens très étroits avec l’establishment militaire et sécuritaire. Né en 1969, il fait partie de la génération envoyée au combat au cours de la guerre Iran-Irak, entre 1980 et 1988. Au sein de son bataillon, il s’est lié d’amitié avec Hussein Taeb, ex-chef du renseignement des Gardiens de la révolution, et Hussein Najat, responsable de l’unité des Gardiens chargée de réprimer les contestations. C’est avec eux que Mojtaba s’est fait un nom et une réputation. En 2009, il a pesé de tout son poids afin de soutenir Hussein Taeb, chef de file de la répression contre la « révolution verte » née de la réélection du président ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad, que les prestataires qualifiaient de fraude électorale. Selon le camp réformiste iranien, Mojtaba – et tout le clan Khamenei avec lui – avait été à l’époque l’artisan de la victoire d’Ahmadinejad.
Puissant, influent, Mojtaba est aussi très controversé, en Iran comme à l’étranger. En 2019, il a fait l’objet de sanctions américaines pour son rôle auprès de son père dans la répression nationale et les entreprises de déstabilisation au Moyen-Orient. En septembre 2022, juste après la mort de Mahsa Amini – alors qu’elle était détenue par la police des mœurs pour port de vêtements « inappropriés » –, Mojtaba est devenu l’une des cibles principales des manifestants. Tout comme le défunt Raïssi, Mojtaba est donc perçu comme « le bourreau de Téhéran », l’incarnation la plus dure du régime iranien. À ce titre, il semble plus faire partie du problème que de la solution.
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