Malek Labidi : « La cuisine tunisienne a toujours été notre secret le mieux gardé »

Avec « La Table du Nord », un livre de recettes issues des sept gouvernorats du septentrion du pays, la cheffe dévoile quelques secrets du patrimoine culinaire tunisien.

La cheffe tunisienne Malek Labidi (à g.). © Facebook Malek Labidi

La cheffe tunisienne Malek Labidi (à g.). © Facebook Malek Labidi

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Publié le 15 juin 2024 Lecture : 5 minutes.

Vous souhaitez découvrir la cuisine tunisienne ? La Table du Nord, itinéraire à travers le Nord de la Tunisie, de Malek Labidi, vous ravira avec ses multiples recettes. Mais c’est plus qu’un livre de gastronomie : à travers le terroir des sept gouvernorats du Nord, il nous apprend sur l’histoire, la géographie et la culture du pays.

Institut Paul Bocuse

Formée au prestigieux Institut Paul Bocuse, à Lyon (France), la jeune cheffe tunisienne aime la cuisine pour ses plats et surtout pour le partage. Avec ce beau livre, illustré par des photos sublimes, elle fait acte de transmission pour le plus grand nombre. Et valorise le patrimoine tunisien en mettant en avant aussi bien la cuisine ancestrale que la street food et la cuisine innovante. À l’idée que c’est le premier volume d’une série de quatre, on se pourlèche les babines. Rencontre.

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Jeune Afrique : Comment êtes-vous passée d’une école préparatoire aux écoles de commerce à l’Institut Paul Bocuse ?

Malek Labidi : J’ai grandi en Tunisie, et l’un de mes premiers souvenirs est le goût de la pastèque. J’adorais ce fruit. Depuis toute jeune, j’ai été attirée par la cuisine, cela me rend profondément heureuse. Elle permet plein de petits instants de convivialité quand on prépare à manger, qu’on partage le repas… J’avais des facilités à l’école, j’ai eu de bons résultats au baccalauréat et j’ai fait, parallèlement, une école préparatoire à HEC et un master à Paris car mes parents ne concevaient pas que je fasse une école d’art culinaire – ce que je comprends, rétrospectivement.

En prépa HEC, un professeur de culture générale nous a enseigné que le vrai héros de la Grèce antique n’est pas celui qui est tout le temps victorieux, mais celui qui écoute sa voix intérieure. Cette voix-là m’a ramenée vers la cuisine.

La transition a-t-elle été facile ?

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Mes parents ont été étonnés. J’étais engagée dans une voie d’excellence, et voilà que je leur annonçais que je voulais revenir à ma passion pour la cuisine. Ils ont extrêmement bien réagi et m’ont dit : « Alors, entre à l’Institut Bocuse ». Le passage d’une filière à l’autre a été compliqué parce que j’ai toujours été cérébrale, et réutiliser mes mains n’a pas été évident. Au début, je n’étais pas habile. Il m’a fallu rigueur et abnégation pour y parvenir.

Qu’aimez-vous dans la cuisine ?

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Le produit, la connexion avec la terre. J’aime cueillir, toucher, prendre le produit dans mes mains, cela met en éveil les cinq sens. Après mes études à l’Institut Bocuse et mes stages dans de grandes maisons comme le Plaza Athénée, je me suis dit qu’il fallait que je revienne en Tunisie. C’était un appel de la terre, quelque chose de très spirituel.

Dès votre retour, en 2011, vous avez l’idée de ce livre, mais vous ne l’écrivez pas immédiatement. Pourquoi ?

J’ai été approchée par la télévision et la radio tunisiennes pour faire des émissions culinaires. J’ai aussi été membre du jury de MasterChef, en Algérie, pendant trois saisons. Ma présence à la radio et à la télévision a duré dix ans, pour plus de mille émissions au total.

Par ailleurs, j’ai eu pendant trois ans mon propre restaurant, Le Bô M, à Tunis. J’aime beaucoup la gastronomie, mais j’ai réalisé que j’étais à la recherche du partage. Il a fallu ma rencontre avec la Fondation BIAT pour que ce projet, que je portais depuis si longtemps, se concrétise. Cette fondation, qui œuvre pour la valorisation et la transmission du patrimoine, m’a apporté un soutien précieux, elle m’a accompagné tout en me laissant très libre. Depuis 2021, je travaille sur ce projet. Cela a pris du temps parce que j’ai dû faire énormément de travaux de documentation et de recherches historiques.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire sur la cuisine tunisienne ?

Malheureusement, la bonne cuisine tunisienne ne se trouve pas beaucoup dans les restaurants en Tunisie, elle est dans les maisons. Notre cuisine a toujours été notre secret le mieux gardé. Orale, elle se transmet de mère en fille. Il y a très peu d’ouvrages sur le sujet, et ce savoir risque de se perdre. Il est urgent de protéger la cuisine tunisienne et de la vulgariser.

En quoi se distingue-t-elle des autres cuisines du Maghreb ?

Il n’y a pas une « cuisine tunisienne » comme il n’y a pas une « cuisine algérienne » ou une « cuisine marocaine ». Dans les pays du Maghreb, les spécificités existent région par région. Dans le nord de la Tunisie, on ne mange pas du tout la même chose que dans le Sud. Cela reste néanmoins des cuisines méditerranéennes, dont le premier produit est l’huile d’olive, et on a un socle commun, amazigh, qui nous a entre autres permis d’avoir les couscous. Puis, il y a des spécificités. En Tunisie, c’est la harissa.

Comment avez-vous procédé pour trouver les recettes ?

La Tunisie est composée de 24 gouvernorats. Nous avons choisi d’écrire un livre pour chaque terroir, il y en aura quatre au total. Dans La Table du Nord, je parle de Bizerte, Béja, Jendouba, du Kef, de Siliana, Zaghouan, Tunis. On a sélectionné des recettes qui peuvent être reproduites, sans négliger les recettes ancestrales.

Par exemple, nous sommes partis dix fois à Bizerte faire la même recette avec des personnes différentes jusqu’à trouver celle qui nous paraissait la plus juste, avec les experts régionaux, qui nous accompagnaient toujours. Et, en amont, nous avons aussi fait un gros travail de documentation.

Vous présentez des plats du quotidien, des grandes occasions, de la pâtisserie et de la street-food. Quel plat préférez-vous, dans chaque catégorie ?

Pour la street food, mon péché mignon ce sont les fricassés, des petit beignets salés, farcis avec une petite harissa allégée à l’eau, du thon, des œufs hachés, parfois des pommes de terre, et c’est unique. Pour les pâtisseries, c’est le kaâk warka : des petits ronds avec de la pâte d’amande et de l’eau d’églantier, c’est très fin. Au quotidien, c’est la chakhchouka, on peut en faire de toutes les couleurs. Dans le livre, elle est verte avec des épinards, mais il existe une très grande variété. Et le plat des grandes occasions, le couscous au poisson ou le couscous au poulpe.

La Table du Nord est un beau livre, aux illustrations particulièrement soignées. Était-ce important de mettre en valeur la cuisine tunisienne par les lettres mais aussi par l’image ?

Oui, et ce travail, je ne le porte pas seule. Le soutien de la Fondation BIAT a été très précieux et j’ai été assistée d’une équipe extraordinaire. Ma principale collaboratrice, Nadia Dimassi, est une passionnée sans qui rien n’aurait été possible, et Béchir Zayene, est un photographe de mode qui a relevé le défi de rendre la cuisine tunisienne esthétique tout en préservant son côté authentique. Nous n’avons pas voulu revisiter la cuisine tunisienne, nous l’avons mise en valeur.

La Table du Nord, itinéraire gourmand à travers le Nord de la Tunisie, de Malek Labidi (Editions Nirvana, 408 p., 60 DT, 35 euros).

"La Table du Nord, itinéraire gourmand à travers le Nord de la Tunisie", de Malek Labidi. © DR

"La Table du Nord, itinéraire gourmand à travers le Nord de la Tunisie", de Malek Labidi. © DR

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