Cyrielle Ndjiki Nya, du pop rock à l’opéra
L’Afrique sur un air d’opéra
Avec une série de portraits, Jeune Afrique braque ses projecteurs sur quatre sublimes chanteuses lyriques qui portent haut les couleurs de l’Afrique dans un domaine où on ne les attend pas forcément.
« C’est un rôle qui me donnera du fil à retordre. » La soprano Cyrielle Ndjiki Nya est au festival Tangente de Saint Pölten, en Autriche, pour la reprise, en ce mois de mai, de l’opéra Justice, d’Hèctor Parra, sur un livret de l’écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila. Une œuvre engagée, jamais enregistrée, qui s’inspire de faits réels : le tragique accident, en février 2019 au marché de Kabwe, en RDC, d’un camion chargé d’acide sulfurique destiné à l’extraction minière. Ce jour-là, 21 personnes sont mortes, sept ont été grièvement blessées, toutes percutées par le camion. De nombreux champs ont aussi été contaminés et des maisons endommagées.
Strauss, Verdi, Wagner, Mozart…
Dans cette fiction qui puise librement parmi les témoignages des victimes auxquelles elle donne voix, Cyrielle Ndjiki Nya reprend le rôle de la mère de l’une des jeunes victimes, précédemment tenu par son amie et collègue Axelle Fanyo. « Quand on est parmi les premiers interprètes d’une œuvre, on dispose, évidemment, de peu de références. La rythmique et la musique sont assez pointues aussi, mon intervention chantée s’effectuant en partie en swahili. » Pourtant, loin de se laisser impressionner, la trentenaire, de son soprano rond et lumineux, s’amuse à passer du baroque au contemporain : « Il faut nourrir sa curiosité, rechercher ce qui fait qu’on est un artiste singulier, trouver ce qui nous plaît et entretient cette envie de continuer à chanter. »
Après l’Autriche, Cyrielle Ndjiki Nya reviendra à l’Opéra de Montpellier (France) où elle sera la soprano solo dans la quatrième symphonie de Mahler. Nul ne peut nier que la petite fille de Creil (banlieue parisienne) commence à s’imposer dans le milieu, tant elle multiplie les rôles, alors même qu’elle se désole de la trop faible présence, sur les scènes nationales et internationales, de chanteuses lyriques d’ascendance africaine. Elle a incarné la Comtesse dans Les Noces de Figaro avec Opera Fuoco, sous la direction de David Stern, l’«un des rôles les plus longs et les plus exigeants qu’il [lui] a été donné de chanter. » Car, dit-elle, « on ne peut pas tricher avec Mozart. »
Cyrielle Ndjiki Nya a aussi été la Grande Prêtresse d’un mémorable Aïda, de Verdi, à Montpellier (« un petit rôle que j’aborderai toujours avec beaucoup de plaisir : c’est le genre d’écriture qui sied à ma voix »), la quatrième servante dans Elektra, de Strauss (« un tout petit rôle, mais des phrases très intenses, audibles et très frappantes pour l’auditoire, qui me mettaient bien en valeur »), Fidalma dans Mariage secret de Domenico Cimarosa, ou encore Ortlinde dans La Walkyrie de Wagner.
La lauréate de différents concours, qui espère voir plus de femmes noires émerger ou tenter de tracer leur voie dans ce secteur encore trop cloisonné de l’opéra, explique : « J’ai la chance d’avoir été repérée alors que j’étais étudiante de deuxième année au Conservatoire national de musique et de danse. J’ai ainsi pu effectuer mes premiers pas sur scène à l’Opéra de Bordeaux dans des rôles secondaires mais qui m’ont vraiment permis de gagner progressivement en confiance, de prendre conscience, aussi, de la scène, de mes autres collègues, des attentes d’un metteur en scène, des demandes d’un chef d’orchestre… L’année suivante, j’étais dans La Walkyrie de Wagner. C’est un petit milieu, faire bonne impression ouvre des perspectives. »
Des débuts au piano
Parrainée par le Musée d’Orsay et la fondation Royaumont, Cyrielle Ndjiki Nya a publié en 2022 un premier CD particulièrement remarqué dans le milieu, Muses éternelles, un opus ambitieux en quatre langues – français, russe, allemand et anglais : « Grâce aux cours de diction lyrique, nous arrivons, par mimétisme, à reproduire les inflexions d’une langue » –, qu’elle présente comme un voyage musical à travers plus de deux siècles de musique classique, en compagnie de la pianiste Kaoli Ono. « Derrière chaque mélodie de ce CD, il y a une femme, inspiratrice, poétesse ou compositrice : l’épouse de Strauss chantant ses mélodies, les poèmes produits par Rachmaninov sous l’influence de deux femmes… » Cette culture musicale, beaucoup l’imagineraient tirée d’un héritage familial des Ndjiki Nya. Pourtant, ni son père camerounais ni sa mère ivoirienne n’écoutaient de chant lyrique.
L’aventure musicale de la future soprano commence alors qu’elle est au CM1. Obéissant à ses parents qui exigent de leurs enfants qu’ils pratiquent une activité extrascolaire, Cyrielle opte pour le piano et s’inscrit à l’école de musique municipale. Dans la maison familiale, où musique africaine et variété française résonnent sans discontinuer, l’adolescente, « qui a toujours aimé chanter », interprète des tubes pop rock entendus à la radio avec ses copines. « Mais je ne savais ni respirer, ni placer ma voix. »
Lui vient alors l’idée de prendre des cours de chant. Mais la professeure n’enseigne que le chant lyrique. « J’y suis allée sans grande conviction, me disant que je ne risquais rien. Et j’ai tout de suite accroché. Ma professeure, elle, trouvait que j’avais une voix « dense, à forte identité », et que j’avais toutes mes chances si je voulais la cultiver professionnellement. » Ndjiki Nya se montre dubitative : « Une noire ne peut pas être chanteuse lyrique. » Elle n’a pas de référence en la matière. Les noms de Jessye Norman, Barbara Hendricks et Leontyne Price lui sont étrangers. Elle commence un cursus de médecine, qu’elle abandonne deux années plus tard, lorsque les démons du chant reviennent la hanter. « J’ai compris que la musique serait ma voie. J’ai aussi réalisé qu’il serait impossible d’y revenir après une parenthèse de dix années en médecine. » Elle tranche, intègre le très prestigieux Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.
Un choix qui contrarie ses parents. « Pour mon père, il était hyper important que l’aînée de la fratrie fasse médecine », se souvient-elle. Quant à ses amis, ils se montrent intrigués, certains insinuant même qu’elle aurait opté pour la musique par facilité : les études de médecine n’étaient pas à sa portée. « Si j’avais voulu choisir la simplicité, j’aurais continué mes études de médecine jusqu’au bout, plutôt que de me jeter dans l’inconnu, en intégrant une filière dont j’ignorais tout et qui ne garantit absolument pas un emploi. »
Modeler sa voix pour trouver sa voie
Trouver sa voie grâce à cette voix qu’elle-même dit « puissante, large et longue » (elle manie aisément à la fois le grave et l’aigu) exige patience et abnégation. Il lui a fallu modeler, perfectionner, dompter, ce qui est désormais son instrument de travail. « Il évolue tout le temps. Le moindre changement entraîne des répercussions : les fluctuations hormonales, la fatigue, la prise ou la perte de poids, le manque de sommeil, la maladie, le manque d’hydratation… » Pour arriver à ses fins, elle s’est entourée « des bonnes personnes », celles qui, d’emblée, lui ont fait comprendre que le travail assidu était la seule baguette magique à manier. « J’ai un certain don, des aptitudes, mais il fallait être consciencieux et régulier dans l’apprentissage. On ne peut pas s’arrêter de chanter pendant six semaines et escompter une quelconque progression. Dans l’idéal, il faut s’astreindre à une petite demie-heure de chauffe au quotidien. En préparation d’un rôle ou d’un récital, je peux chanter jusqu’à trois heures d’affilée. »
Dans un documentaire de la chaîne internationale TV5 Monde, « Travailler avec sa voix avec Cyrielle Ndjiki Nya », on découvre le long chemin que la jeune soprano a parcouru et continue de parcourir. Et cela implique de la préparation physique. « En cela, le yoga est utile. Si la posture est mauvaise, la respiration trop courte, si on se tient penché, si le dos n’est pas droit, si les appuis au niveau des jambes ne sont pas assez solides, on le paie. Il faut vérifier que le corps est équilibré, que la respiration est libre, que le diaphragme réagit bien : il faut développer une force en souplesse. » Cela suppose aussi des moments de lâcher-prise total pour cette grande amoureuse de littérature adepte de tricot et de couture.
Dans une interview accordée à Radio France internationale (RFI), elle regrettait d’en savoir si peu sur le lyrique africain. Elle ne désespère pas de faire figurer un jour dans son répertoire l’œuvre de l’un de ses compositeurs. Certains ont reproché à la jeune femme, qui peut parfois se sentir bien seule, de défendre une culture qui n’est pas forcément la sienne. Pour Cyrielle Ndjiki Nya, c’est à cause de telles idées que les artistes d’ascendance africaine sont si peu représentés en France et sur les scènes mondiales.
« Combien de fois m’a-t-on répété : tu es chanteuse, que ne fais-tu du gospel ? Ce n’est pas parce que je suis noire que je me dois de faire du gospel, rétorque Cyrielle Ndjiki Nya. Le lyrique n’est pas un langage occidental. C’est juste un langage musical qu’on peut s’approprier comme n’importe quelle langue, si on en a envie et si on s’en donne les moyens. J’en ai appris les styles, les différentes langues et époques. Il n’y a donc pas de raison que je ne le défende pas. »
Pour cette jeune femme sculpturale qui fait l’unanimité à chaque concert et entend bien s’imposer dans ce milieu de plus en plus compétitif, le chant lyrique véhicule des émotions universelles. « Tout le monde, à un moment, a déjà eu peur, été blessé par amour, été angoissé, dévoré par la jalousie pour une raison x ou y. Il faut juste savoir se connecter à ces émotions. Même si on ne les appelle pas de la même manière dans toutes les langues, tout le monde les a ressenties. »
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