Départ de la Monusco de RDC : au Sud-Kivu, quel espoir pour les civils en danger ?

Après la fin des activités de la Mission de l’ONU dans la province du Sud-Kivu, la protection des habitants incombe désormais exclusivement au gouvernement congolais. Un défi qu’il devra relever en associant la population à ses projets à travers plusieurs mécanismes, dont la protection civile non armée.

Une femme déplacée à cause de la guerre se promène à côté d’une église où plus de 200 familles ont trouvé refuge dans le centre de Minova, au Sud-Kivu, dans l’est de la RDC, le 10 mars 2024. © ALEXIS HUGUET / AFP

Une femme déplacée à cause de la guerre se promène à côté d’une église où plus de 200 familles ont trouvé refuge dans le centre de Minova, au Sud-Kivu, dans l’est de la RDC, le 10 mars 2024. © ALEXIS HUGUET / AFP

Suzanne Ngo-Mandong © UNFPA
  • Bintou Keita

    Représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU en RDC et cheffe de la Monusco.

  • et Suzanne Ngo-Mandong

    Représentante du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) en RDC

Publié le 11 juin 2024 Lecture : 6 minutes.

Esther et Ina, deux jeunes filles de 14 ans originaires de l’un des territoires de la province du Sud-Kivu, en RDC, ont vu leur vie basculer il y a deux ans. De retour d’une source d’eau, elles ont été kidnappées par les membres d’un groupe armé qui les ont transformées en esclaves sexuelles.

Leur calvaire a pris fin quelques mois plus tard, quand elles ont été libérées du joug de leurs ravisseurs par l’action conjointe de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et des Forces de défense et de sécurité congolaises.

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Elles vivent désormais à Bukavu dans un centre soutenu par la Mission et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). Elles y tentent de se reconstruire et ont repris leurs études. Leurs enfants, issus des viols qu’elles ont subis, y sont aussi pris en charge et scolarisés. L’histoire d’Esther et Ina est presque similaire à celle des autres pensionnaires du centre.

Favoriser la participation populaire

Avec la cessation des activités de la Monusco dans le Sud-Kivu, le 30 avril 2024, plusieurs préoccupations concernant la protection de civils comme Esther et Ina sont apparues. Cette fin de mission rend cruciale la mise en œuvre de nouvelles options pour assurer la protection des civils et la prévention de la violence. Ainsi, l’approche UCP, un des outils de la composante globale du mandat des Nations unies dénommé « Protection des civils (PoC) », est préconisée.

Si cette solution avait été adoptée au sein de la communauté d’origine d’Esther et Ina, elles auraient sans doute pu bénéficier d’une protection non armée à travers une combinaison de différentes solutions, des innovations et mécanismes impliquant les membres de leur communauté. Leurs ravisseurs auraient également pu recevoir des formations les dissuadant de s’en prendre à deux filles sans défense.

Cette approche repose en effet sur l’engagement actif des responsables, y compris la police, les leaders et fonctionnaires locaux, afin de s’assurer qu’ils répondent aux besoins de la communauté, en particulier ceux des groupes marginalisés, des influenceurs de paix. L’UCP vise aussi à favoriser une participation populaire significative aux initiatives de paix et de sécurité.

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Dans le contexte du désengagement de la Monusco, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) a conçu un projet dénommé « Protection et engagement des civils non armés (Pecina) ». Il repose sur l’implication de la communauté. Cette initiative va s’appuyer sur les expériences acquises durant les deux décennies de présence de la Monusco en maintenant les mécanismes communautaires de gestion de conflits existants tels que les comités locaux de paix et de sécurité et les comités de gestion de conflits coutumiers.

Fidèle à sa politique d’appui aux initiatives de consolidation de la paix menées par le système des Nations Unies en RDC, le Fonds de consolidation de la paix (PBF) a débloqué 2. 5 millions de dollars pour soutenir le projet. Afin de faire face aux défis en matière de protection des civils consécutifs au départ de la Monusco, l’UNFPA a associé la Non-Violent Peaceforce à la mise en œuvre du projet, qui sera officiellement lancé en juillet 2024. Il sera en outre déployé dans les quatre territoires du Sud-Kivu les plus touchés par les conflits intercommunautaires et les plus affectés par les groupes armés (Uvira, Kalehe, Bukavu et une partie de Fizi). Et s’appuiera sur l’expérience acquise au sein des communautés dans le domaine de la protection des civils grâce à l’action de la Monusco.

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Consolider l’expertise de la Monusco

Dans le cadre de la mise en œuvre de son mandat de protection des civils, la Monusco a mis en place et consolidé son système de réseau d’alerte communautaire dans les villages vulnérables où des points chauds ont été identifiés. Dès 2014, la Mission a progressivement instauré et soutenu l’opérationnalisation du mécanisme des Comités locaux de protection (LPC) à travers lesquels les questions de protection et de sécurité locale ont été discutées avec toutes les parties prenantes et les partenaires extérieurs (gouvernement, acteurs humanitaires déployés dans la zone). Les membres de ces comités sont devenus des points focaux clés des réseaux d’alerte communautaires, transmettant facilement des informations importantes à la Monusco pour la protection des civils.

Ainsi, la Monusco a considérablement contribué à la stabilisation et à l’amélioration de l’environnement protecteur de la mission dans les anciens points chauds et les zones de conflits armés. Les outils, gérés par les communautés locales avec le soutien de la Monusco, ont aussi permis de prévenir, d’atténuer ou d’arrêter les menaces sur les droits de l’homme et leurs violations. Certaines des victimes enlevées ont été retrouvées à la suite d’une coordination Monusco-FARDC pour l’intervention et les opérations militaires. Dans d’autres localités affectées, des vies ont été sauvées, des problématiques humanitaires résolues, des points chauds nécessitant une sécurité ont été identifiés, et des auteurs de violations des droits de l’homme localisés, dénoncés et arrêtés.

Du fait de son mandat, l’UNFPA a beaucoup d’expérience dans le domaine de la prévention de la violence communautaire dans d’autres pays. Cette expérience pourra positivement orienter ses interventions en RDC. En effet, le fonds a élaboré un projet de cohésion sociale et de sécurité communautaire au Burundi en développant des approches non armées pour la réduction de la violence communautaire juste après la crise politique de 2015 dans le pays. Des équipes comprenant des agents de changements positifs ont contribué au rétablissement de la confiance entre les jeunes dits des quartiers contestataires et des jeunes qui étaient affiliés aux partis politiques.

De même, dans le nord de l’Éthiopie, le fonds onusien a renforcé les capacités de jeunes leaders communautaires afin de contribuer à la prévention de la violence à la suite de la guerre qui avait déchiré le tissu social et généré des conflits ethnico-religieux. Des actions in situ ont contribué à restaurer la confiance entre les jeunes des régions touchées par les conflits (Tigré, Amhara et Afar).

S’appuyer sur la Non-Violent Peaceforce

L’organisation non gouvernementale Non-Violent Peaceforce (NP) a une expertise internationale reconnue en matière de gestion de conflits et de réduction de la violence communautaire, selon l’approche UCP. Elle intervient dans plusieurs pays et a contribué à la gestion de conflits, à la prévention des violences et à la cohésion sociale en Iraq, en Ukraine ainsi qu’au Soudan du Sud. Le retrait de la Mission des Nations unies de ce dernier (Minuss) a entraîné l’émergence de gangs. Des groupes de jeunes sont devenus une préoccupation majeure en matière de sécurité. La Non-Violent Peaceforce a misé sur un engagement proactif auprès d’eux pour répondre à ce défi lors de patrouilles régulières et d’activités de présence protectrice.

Au fil du temps et grâce à de multiples interactions, le personnel de l’ONG a établi des relations de confiance avec les gangs autour de 2020-2021. Ainsi, sur les dix gangs qui étaient actifs avant l’intervention de NP, seuls quatre le sont encore aujourd’hui. Les comportements violents et activités criminelles des membres de gangs se sont sensiblement réduites et les incidents de violence sexuelle les impliquant ont nettement diminué.

Alors que la Monusco a cessé de protéger les civils au Sud-Kivu, c’est désormais le gouvernement qui porte l’entière responsabilité de leur sécurité. Dans le cadre du désengagement de la Monusco, il s’est engagé à opérer une montée en puissance de ses forces de défense et de sécurité dans la province.

En complément de cette responsabilité régalienne, les Nations unies sont mobilisées pour le succès de la mise en œuvre de ce projet qui offre une précieuse alternative à la protection physique armée et qui correspond au contexte local. Avec le soutien de tous les acteurs impliqués, il va générer des résultats positifs. La protection permanente de jeunes filles comme Esther et Ina sera à ce prix.

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