En Tunisie, Kaïs Saïed avance vers la présidentielle bien épaulé
Alors qu’il devrait briguer un deuxième mandat en octobre prochain, le dirigeant tunisien a profondément fait évoluer son entourage, comme l’a illustré l’éviction, fin mai, de deux ministres considérés comme des fidèles de la première heure.
Dans sa démarche de président, Kaïs Saïed a évolué. Il est désormais le chef et s’appuie sur deux cercles d’hommes clés dans la nouvelle architecture institutionnelle qu’il a façonnée depuis qu’il s’est arrogé tous les pouvoirs, le 25 juillet 2021. Au fil des mois est apparu un autre dirigeant, qui assume ses choix en ayant opéré en parallèle une refonte politique et un recentrage de son entourage. Il semble s’être détourné de ses compagnons de route initiaux pour déployer son projet, faisant primer le pragmatisme sur les vieilles amitiés.
La première équipe, constituée de proches qui avaient œuvré à sa campagne électorale, et qui a franchi le portail du palais à ses côtés, n’est donc plus en place. Kaïs Saïed a choisi de s’éloigner de la configuration classique d’un cabinet présidentiel en privilégiant une structure peu conventionnelle. Le processus de composition de cette équipe s’est étalé sur un certain temps et a consisté, le plus souvent, à ne pas remplacer les partants.
Si bien qu’aujourd’hui, au palais, il n’y a plus de directeur de cabinet présidentiel. On y croise par contre un bon nombre de conseillers chargés de dossiers précis qui ne sont pas en contact avec le grand public, lequel apprend leur nomination ou leur fin de fonction par le Journal officiel.
Dans ce dispositif qui prévaut désormais à Carthage, le président s’appuie sur deux hommes qui font figure d’exception, puisqu’ils sont à ses côtés depuis son investiture, en 2019. Le plus en vue est Khaled Yahyaoui. La réputation d’abnégation, de patriotisme et de droiture du directeur de la sécurité présidentielle, qui avait également servi, à partir de 2011, les prédécesseurs de Kaïs Saïed, n’est plus à faire. Il est, selon beaucoup d’observateurs, proche du président qui apprécie la précision des évaluations et analyses de cet officier qui a effectué un passage par la brigade antiterrorisme (BAT) avant d’intégrer la Direction générale de la sûreté du chef de l’État et des personnalités officielles. La confiance entre le président et son directeur de sécurité est telle que certains prêtent à Khaled Yahyaoui une influence grandissante, au point qu’il serait à la manœuvre sur des dossiers délicats que le dirigeant tunisien entend traiter de manière confidentielle.
À Carthage, le diplomate Walid Hajjem est devenu lui aussi un homme du président. Arrivé au palais de la République avec le premier directeur de cabinet, l’ambassadeur Tarek Bettaieb, il n’en est plus parti. Ce natif d’un quartier populaire de Tunis s’est construit une carrière en occupant différents postes à l’étranger notamment, mais il semble que ce conseiller en affaires étrangères ait vu son champ d’intervention s’élargir en se retrouvant également chargé de manager les conseillers et de faire office, quand nécessaire, de porte-parole de la présidence.
Moins de fidèles de la première heure, plus de techniciens et de femmes
À ce dispositif, Kaïs Saïed ajoute une relation directe avec le chef du gouvernement, Ahmed Hachani, tout en menant, en l’absence de conseiller économique, des entretiens réguliers avec la ministre de la Justice, Leïla Jaffel, la ministre des Finances, Sihem Nemsia et le ministre de l’Intérieur, Kaled Nouri. Certains relèvent que le président, en écartant la semaine dernière l’ancien ministre de l’Intérieur Kamel Fekih et celui des Affaires sociales, Malek Ezzahi, s’est défait là aussi de ses derniers compagnons de route pour privilégier des profils de hauts commis de l’État et miser sur les femmes, qu’il n’hésite pas à désigner à des fonctions ministérielles. À l’image de Feryel Ouerghi, nommée en janvier ministre de l’Économie et de la Planification.
Alors qu’approche l’échéance de la prochaine élection présidentielle – même si la date officielle n’en a toujours pas été annoncée –, Kaïs Saïed se souvient sans doute aussi qu’il puise sa popularité dans une opinion qui a été travaillée au corps grâce à une stratégie numérique depuis la campagne de 2019 et l’offensive politique du 25 juillet. Lors de ces deux moments clés de son ascension, sa démarche a été promue par différents influenceurs comme Thamer Bdida ou Ben Arfa qui, après une période de silence, s’expriment maintenant de manière critique. Tout comme l’avocate Wafa Chedly, ancien appui inconditionnel du président qui a pris ses distances.
« En soi, cela ne signifie rien, on peut tous les voir revenir en soutiens inconditionnels du président », remarque un observateur des réseaux sociaux. Ils rejoindraient alors un quarteron de soutiens toujours actifs parmi lesquels on compte Nizar Dax et Haykel Dkhil, et qui serait en lien avec les milieux sécuritaires et Borhène Ben Chaabane, cousin de Kaïs Saïed, l’un des irréductibles de l’équipe.
Influenceurs au populisme primaire
Dans les faits, cette nébuleuse d’influenceurs, souvent auteurs d’un populisme primaire, ne sont pas réellement suivis. Ils semblent plutôt amuser la galerie, contrairement à certains journalistes qui soutiennent ostensiblement le chef de l’État – on pense notamment à Nejib Dziri, Riadh Jrad et Bassel Torjeman, directeur du site d’information Al Jarida – et qui ont souvent eu, avant 2019, des penchants complètement à l’opposé de leur position actuelle. « Rien d’étonnant : comme les députés, ils ont fait du nomadisme politique », précise un expert des médias.
D’autres partisans de Kaïs Saïed ont émergé lors de la période de mise en place de la nouvelle Constitution et durant la campagne pour les législatives de fin 2022. Ahmed Chaftar, qui a en a été un des porte-voix, n’a pas remporté le scrutin législatif comme escompté et se contente désormais d’intervenir de loin en loin dans les médias. Autre figure de cette période, le coordinateur de la consultation nationale Abdeslam Hamdi – connu sous le surnom d’ « Abdou » – semble avoir fait son temps après qu’il a contribué à fonder le mouvement des Forces de la Tunisie libre (FTL), avec les proches du président, Ridha Chiheb el-Mekki – dit « Ridha Lénine » – et Sonia Charbti – surnommée « Sonia Marx » –, épouse de Kamel Fekih, qui faisaient partie de l’équipe de 2019.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...