Nda Chi, mystique fondateur du « lessa groove »
Membre éminent de la société secrète Nelong’o et fondateur du lessa groove, Nda Chi a transformé la musique en un puissant vecteur de reconnexion avec les racines. Portrait d’un énigmatique chantre.
Son crâne lisse comme une feuille surplombe un visage où brille un regard profond. Ses vêtements traditionnels et ses colliers d’or, symbole de richesse et de puissance, lui donnent une aura presque mystique, une présence de sorcier. En cette matinée du 2 juin, à Paris, invité par l’ambassade de France au Cameroun, Nda Chi ne se laisse pas aller à réfuter ces affirmations : il les accueille avec un humour corrosif.
« Sous prétexte que je me perds chaque nuit dans le royaume des esprits, les gens m’attribuent des pouvoirs surnaturels. Qui sait si leurs dires sont fondés ? » lance-t-il, concluant sa remarque d’un rire taquin. Derrière son vrai nom, Armand Noël Ntoungchi Kamtchoua, se cache un homme issu d’une lignée de reines et de notables. Dès son plus jeune âge, il a été initié aux mystères de la société secrète Nelong’o, dédiée à l’exploration de l’art musical et de sa dimension spirituelle.
« J’avais trouvé ma voie, pas ma voix »
C’est là, dans ce double univers énigmatique, qu’il a découvert sa vocation, sa « raison d’être sur cette Terre ». « En dehors des CD et des magnétophones que mon grand-père ramenait à la maison, car il voyageait beaucoup, c’était principalement le son des tam-tams et les chansons traditionnelles du village qui me portaient. En fait, le chant n’était pas mon fort, au départ. J’étais plutôt orienté vers la musique instrumentale et je n’avais pas encore vraiment découvert ma voix, au sens littéral du terme : j’avais trouvé ma voie, mais pas ma voix. »
Sa voix, ce n’est qu’en franchissant les portes du lycée classique de Bafoussam, lors de sa quatrième année, que ce descendant de reines la découvre, à l’occasion de sa rencontre avec une talentueuse chanteuse gospel du nom de Ngo Djébaï Grace. Un jour, en rentrant de cours, il entend cette camarade chanter et se souvient d’une expérience vécue bien des années plus tôt. « J’avais onze ans et une cantatrice m’avait touché avec sa voix et sa manière de transmettre de l’émotion. Je me suis alors dit qu’avec la voix, il était possible de transmettre ce que l’on a. » Avec Ngo Djébaï Grace est venu le déclic. « Nous chantions ensemble en classe, et j’ai commencé à participer à des compétitions scolaires que je remportais grâce à ma voix, qui se révélait magnifique, bien que très féminine. On me disait que tant qu’on ne me voyait pas chanter, on croyait entendre une fille. »
Enfant spirituel
À partir de cette prise de conscience, cet « enfant spirituel », comme il se revendique, intensifie sa participation à diverses activités musicales, avant d’être coopté par des groupes de danse patrimoniaux de l’université de Dschang, alors qu’il est encore lycéen. Après l’obtention de son bac D – avec mention –, il se consacre à la musique de 2014 à 2017 et oublie un temps la chanson. Puis il devient chorégraphe au sein du groupe « Otitié, étoile du Cameroun » d’Ayissi Le Duc. Après avoir navigué dans différents groupes, il crée, avec le concours d’Ariane Domguia, « Modern Afro soul », son propre ensemble spécialisé dans la fusion des danses patrimoniales et urbaines.
À la fin de 2018, Nda Chi ravive la flamme de sa passion pour le chant et enregistre son premier single, Dis Moi. L’année suivante, sa chanson Tam-tam, qui est un appel au retour aux sources, conquiert les cœurs et remporte le prestigieux concours national de chanson, Mützig Star. Malgré les ombres de la pandémie en 2020, Nda Chi transcende les défis et sort son premier album, une œuvre éclectique intitulée « Ngì Ngùng » – la « voix des peuples ». Cet album, couronné du prix du meilleur album aux Visartculture Ouest Awards, se veut « une voix pour le peuple », reflétant sa vision de l’unité et de la richesse culturelle de son pays.
La pièce maîtresse de cet opus, Ndǎ’Shì, qui se traduit par « seulement Dieu », est une dédicace à la providence divine et au destin. L’album explore des questions existentielles et incarne la volonté de célébrer et de préserver les valeurs culturelles et spirituelles camerounaises. Avec chaque note, l’artiste nous invite à un voyage poétique où la beauté de la diversité et l’essence de l’authenticité se rencontrent et s’harmonisent. En 2021, le Camerounais est l’un des vainqueurs du Concours international d’écriture de chansons (ISC), obtenant une mention honorable. En 2022, il remporte le concours du salon international Les Voix de Femmes Scala Bento, axé sur les violences de genre. En 2023, il remporte la médaille d’or dans la catégorie chanson des XIe Jeux de la francophonie à Kinshasa.
« Dans toutes les autres sociétés, chacun fait l’effort d’être connecté avec les pratiques, les traditions, les cultures, explique l’artiste, déplorant que les jeunes Camerounais s’en éloignent de plus en plus. C’est vraiment ce qui m’intéresse, la volonté de créer un trait d’union entre tradition et modernité. »
Affirmer notre identité
« Nous devons toujours affirmer notre identité : présenter au monde ce que nous faisons, comment nous pensons, comment nous chantons, comment nous parlons, comment nous nous habillons, voici qui nous sommes. » En 2021, l’artiste élargit son engagement en se concentrant sur la condition des femmes dans une société patriarcale.
Nda Chi prépare aujourd’hui la sortie de son prochain album, le 27 septembre. « Men’Shì » signifie « enfant spirituel, enfant de la terre, enfant de Dieu ». Cet album incarne parfaitement l’essence du lessa groove, le style musical novateur de ce chantre de l’émancipation. Le lessa groove se veut une fusion harmonieuse des rythmes traditionnels camerounais, en particulier le lessa, une musique profondément enracinée dans son village de Baleng, connue ailleurs sous le nom de samali. Cet album marie des voix gospel, spirituelles avec des guitares funky, rock, des synthpop, créant une alchimie musicale vibrante d’énergie.
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