Entre exploration et répression, quand la France s’imposait en Mauritanie
À quelques jours de l’élection présidentielle, retour sur la façon dont est née la Mauritanie moderne, sous l’influence du colonisateur français qui souhaitait occuper l’espace entre le Sénégal et le Maghreb pour ne laisser aucune autre puissance occidentale y prendre ses quartiers.
Pour comprendre les conditions dans lesquelles fut préparée la création de la Mauritanie sous sa forme actuelle, il faut remonter les horloges de l’Histoire aux dernières décennies du XIXe siècle, à l’époque où la politique impérialiste de la France et de l’Europe est en pleine accélération. L’Hexagone, maître de l’Algérie et de la Tunisie mais également du Sénégal et d’autres pays subsahariens, se met en tête d’explorer le Sahara pour mieux le contrôler.
À l’époque, la France souhaite exercer une mainmise pacifique. Et le promoteur de cette pénétration à la française du Sahara est l’anthropologue Xavier Coppolani (1866-1905) qui, de fil en aiguille, va rallier de nombreux cheikhs – chefs touaregs mais aussi maures – à sa cause. Dans la région de Trarza, il aura ainsi l’oreille attentive des cheikhs Sidiya Baba et Saad Bou. Il faut dire que Coppolani possède un atout imparable pour échanger avec ses interlocuteurs : il est arabophone. Les pourparlers se font donc directement, sans le truchement d’un interprète, ce qui augmente le capital-confiance.
Avec l’anthropologue, « l’autorité française inaugure alors une nouvelle politique : elle sépare enfin les pays du nord du fleuve – le trab el-beïdan – du Sénégal et entreprend une action originale et suivie en les plaçant sous l’autorité spéciale d’un commissaire du gouvernement général : Xavier Coppolani », résume l’historienne Geneviève Désiré-Vuillemin dans son Histoire de la Mauritanie, des origines à l’indépendance. Il va de soi que cette politique, quelle qu’en soit la teneur, ne plaît pas à tout le monde. Notamment au cheikh Ma el-Aïnin qui voit en elle une menace sur son fief.
Le 12 mai 1905, Coppolani et plusieurs de ses hommes tombent dans un traquenard et sont assassinés. Un épisode que la France ne peut pas laisser passer sans réagir, et qui va peser lourd sur la politique de Paris dans la région.
Coppolani vs Gouraud : après le pacificateur, place au militaire
À l’explorateur pacifique succède alors un militaire : le colonel Henri Gouraud. Celui-ci a débuté sa carrière en 1894 sur le continent, lorsque le gouverneur général de l’Afrique occidentale française (AOF), Ernest Nestor Roume, a fait appel à lui. En 1908, trois ans après la mort de Coppolani et alors que le cadre sécuritaire se dégrade en Mauritanie, le ministre des Colonies en personne, Eugène Milliès-Lacroix, fait le déplacement à Dakar pour prendre le pouls des événements avec Gouraud et le gouverneur général. Leur constat : l’anarchie est en train de se réinstaller dans le territoire, il faut une main ferme pour redresser la situation.
Entre la disparition de Coppolani et l’arrivée de Gouraud, le colonel Montané-Capdeboscq a tenté de poursuivre la politique apaisante du premier. En vain. Sur les deux années, la France va subir pas moins de 125 attaques. Le bilan est lourd : trois officiers, cinq sous-officiers, 134 tirailleurs tués. La politique de pénétration pacifique qui prévalait auparavant est reléguée aux calendes grecques, Gouraud veut passer en force et l’état-major ne lésine pas sur les moyens.
Les troupes françaises, armées jusqu’aux dents, sont regroupées au sein de la colonne de l’Adrar, du nom de la région qui donne du fil à retordre à la France. « Les événements des années précédentes, l’avis unanime de mes prédécesseurs, comme des Maures qui étaient fidèles, l’étude topographique de la région, tout montrait que le nœud de la question était dans l’Adrar et que nous n’arriverions pas à assurer la paix tant que nous n’aurions pas réduit ses tribus à l’impuissance », indique Henri Gouraud lui-même dans La Pacification de la Mauritanie, journal des marches et opérations de la colonne Adrar.
Maîtriser l’insurrection de Ma al-Aïnin et ses partisans dans cette région de la Mauritanie permettrait de s’assurer le contrôle de tout le pays, juge l’officier français. Qui n’attend plus que le moment opportun pour mener à bien son expédition. Dans son journal de marche, il en dresse la composition. « Dans les premiers jours de décembre, la colonne était réunie au complet sous les murs du poste de Moudjeria. Elle comprenait quatre compagnies de tirailleurs à pied, deux sections de Sénégalais à chameau, un peloton de spahis, deux pièces de 80 de montagne, un goum d’une soixantaine de partisans maures, et un convoi emportant trois cents cartouches de réserve par homme, cinq cents coups de canon, deux mois de vivres, le matériel sanitaire nécessaire, et un équipage de transport d’eau ; au total 24 officiers, 44 sous-officiers et canonniers, un millier de combattants indigènes dont 200 montés à chameau et 800 chameaux de charge. »
Une task force qui ne tardera pas à museler toute tentation de rébellion en Mauritanie. Cette campagne victorieuse vaudra à Gouraud une promotion : on l’envoie au Maroc prêter main forte au général Moinier qui peine à maîtriser l’insurrection qui a éclaté dans le royaume, où ont commencé les affrontements qui déboucheront quelques années plus tard sur la guerre du Rif.
Patey et la police à dos de chameau
Le départ vers le nord du colonel Gouraud laisse la place à un nouvel officier, le colonel Patey. Celui-ci entre en fonctions le 1er janvier 1910 en tant que commissaire général en Mauritanie. Il est tout naturellement chargé de consolider l’héritage de Gouraud et s’attèle avec zèle à la charge. En 1911, l’officier rédige un rapport au gouverneur général préconisant la création d’une force de police à même de pacifier mais également d’unifier l’espace mauritanien. Mettant en avant la nécessité d’une « compagnie saharienne » afin de pérenniser les acquis, il souligne que celle-ci devrait chevaucher des chameaux, seuls animaux aptes à vaincre les étendues désertiques.
Dans un premier temps, Patey estime que trois cents hommes, répartis en pelotons méharistes de 20 à 30 policiers, seront suffisants pour traquer les insurgés mauritaniens. La nouvelle force entre très rapidement en action et obtient en janvier 1912 une première victoire : la capture de l’émir de l’Adrar. Un an plus tard, la preuve de leur efficacité à traquer des insoumis à travers le Sahara est faite. Pas de doute, le chameau (ou le dromadaire) se révèle bien plus efficace que le cheval dans les immensités désertiques de la Mauritanie.
Composée à la fois de Maures et de Noirs, l’unité militaire des méharistes fut aussi, à l’instar de la Mauritanie actuelle, une première expérience de cohabitation entre deux ethnies. Mais elle n’a pas suffi à oblitérer un clivage social profond entre les Beïdanes (les Blancs), nomades éleveurs, et les Noirs sédentaires, cultivateurs proches des frontières du Sénégal.
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