Le football algérien malade de ses hooligans

Le 3 juin, le stade de Constantine a été saccagé par des supporters à l’issue d’une rencontre de championnat national. Ce phénomène prend de l’ampleur et s’installe dans la durée.

Violences pendant le match du championnat de Ligue 1 entre le CSC et l’USMA, au stade Hamlaoui, à Constantine, le 3 juin 2024. © Capture vidéo

Violences pendant le match du championnat de Ligue 1 entre le CSC et l’USMA, au stade Hamlaoui, à Constantine, le 3 juin 2024. © Capture vidéo

FARID-ALILAT_2024

Publié le 6 juin 2024 Lecture : 4 minutes.

Ce lundi 3 juin, à Constantine, troisième ville d’Algérie, la première mi-temps de la rencontre entre le CSC et l’USMA, au stade Hamlaoui, se déroule sans une ambiance survoltée, mais sans incidents. Au retour des vestiaires, pourtant, les esprits s’échauffent. Dans les gradins, les supporters arrachent des sièges, une poignée d’énergumènes envahissent la pelouse avant d’être rapidement maîtrisés. Ces incidents mineurs préfigurent une tempête de violence, qui se déchaînera à la fin de la rencontre.

La sanction de la Ligue de football

Dès le coup de sifflet final, des centaines de supporters font irruption sur la pelouse. Ceux qui sont restés dans les gradins s’en prennent aux sièges, qu’ils arrachent pour les jeter sur les supporters et les forces de l’ordre. Saccages, affrontements avec les services de sécurité, bagarres entre fans des deux clubs, tentatives d’incendie des gradins, arrachages de poteaux… Le stade Hamlaoui devient une arène de combat.

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Le lendemain, l’enceinte n’est plus qu’un champ de ruines. Les dégâts ne sont pas encore évalués, mais ce stade – dont la rénovation, il y a deux ans, avait coûté 400 millions de dinars, soit 2,7 millions d’euros – devra subir de nouveaux travaux. D’autant qu’il y a deux mois, des tribunes avaient déjà été endommagées par des jeunes, qui avaient descellé quelque 2 100 sièges.

Le 4 juin, les premières sanctions tombent. La commission de discipline de la Ligue de football oblige les deux clubs à payer tous les frais de réparation. Des peccadilles pour ces deux équipes, financées par l’argent public. De son côté la Fédération algérienne de football (FAF) décide que les deux prochaines journées du championnat se joueront à huis-clos. Le CSC de Constantine écope en outre d’une sanction de six matchs à huis-clos.

Le parquet de Constantine, quant à lui, a ouvert une enquête, qui a abouti à l’arrestation de 59 personnes, dont 20 mineurs. Poursuivies, notamment, pour destruction d’infrastructures et de biens publics, port d’armes blanches, actes de violences et atteintes aux dépositaires de l’autorité publique, trente-sept d’entre elles ont été placées sous mandat de dépôt.

Si ces décisions mettent momentanément les stades à l’abri de nouveaux saccages et affrontements, elles ne contribueront en rien à enrayer un phénomène qui s’est installé, au fil des mois, comme une tradition.

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Violences au stade Nelson-Mandela

Le 9 mars 2024, à Blida (à 50 km à l’ouest d’Alger), le stade Tchaker a lui aussi fait l’objet d’actes de vandalisme de la part des fans d’un club algérois. Avec des dégâts importants, alors que ce stade avait été rénové il y a moins de deux ans pour une somme de 500 millions de dinars (3,4 millions d’euros).

Une semaine plus tard, c’est au tour du « 5-Juillet » d’Alger de subir le même sort, avec là encore arrachage des sièges et envahissement du terrain. Le 25 avril, à Baraki (banlieue de la capitale), des violences ont éclaté entre supporters de deux clubs algérois à la sortie du stade Nelson-Mandela. Pas moins de dix-sept bus de la régie de transports de la capitale, qui avaient servi à transporter ces mêmes supporters, ont été endommagés au cours de ces affrontements.

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Si les violences et les déprédations à l’intérieur et en dehors des stades ne sont pas nouvelles, elles sont de plus en plus récurrentes et prennent de l’ampleur. Le phénomène est d’autant plus inquiétant que les supporters se déplacent massivement à travers le territoire au gré des matchs du championnat. Des déplacements amplifiés sur les réseaux sociaux, ce qui suscite une sorte de compétition entre fans des différents clubs et, partant, encore davantage de risques de confrontations et d’affrontements.

Ces déplacements, qui mobilisent des milliers de supporters, compliquent davantage encore le travail des services de sécurité. Même si tant la police que la gendarmerie algériennes sont aguerries à la « gestion démocratique » des foules, la récurrence de ces actes de violence rend difficile leur mission de maintien de l’ordre dans les stades.

Exutoire pour la jeunesse algérienne

Comment expliquer un tel vandalisme ? En 2018, le sociologue Nacer Djabi expliquait  à Jeune Afrique qu’en Algérie les stades sont de plus en plus fréquentés par des jeunes, souvent des mineurs, qui s’y rendent après avoir consommé de la drogue et divers psychotropes. Six années plus, ce constant semble toujours d’actualité. La quasi-majorité des personnes qui ont commis des violences dans le stade de Constantine ont à peine 20 ans.

Devant la fermeture des lieux d’expression libre, comme les médias ou la rue, le stade devient le seul lieu où les jeunes peuvent se défouler, avec un sentiment d’impunité. Au fur et à mesure que l’Algérie se verrouille de l’intérieur, les stades se sont mués en arènes politiques, exutoire à toutes leurs frustrations. C’est d’ailleurs dans un stade d’Alger qu’est née la célèbre chanson « La Casa d’El Mouradia », devenue, en 2019, l’hymne du hirak, qui a fait chuter le régime d’Abdelaziz Bouteflika.

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